Bogotá (AFP) – Ce qui frappe d’abord chez Alex Lucitante, c’est la chemisette bleu et le foulard rouge noué autour du cou, marié à l’arborescence de magnifiques colliers de perles et de dents d’animaux, caractéristiques des indigènes Cofan vivant dans les confins amazoniens entre la Colombie et l’Equateur.
Puis, inévitablement, on est captivé par la détermination derrière la douceur du regard : « la situation est particulièrement critique dans nos territoires. Je veux lancer un message à la fois de résistance, de rébellion et d’amour pour la vie (…) La COP est une occasion de porter au monde ce message avec plus de force », plaide auprès de l’AFP Alex Lucitante.
A une semaine de la COP16 (21 oct – 1er nov), grand rendez-vous planétaire pour la défense de la nature qui se tiendra à Cali (Colombie), Alex sera l’une voix indigènes qui tenteront de se faire entendre des gouvernants.
« La destruction avance »
Il est issu de la communauté Cofan Avie, connue en Equateur pour avoir remporté en 2018 une victoire juridique historique sur l’industrie minière, avec l’annulation par la justice locale de 52 concessions de mines d’or attribuées par l’État équatorien sans avoir consulté ni même informé la communauté.
Alex, 31 ans, fils d’un célèbre chamane, est celui qui a organisé la riposte aux chercheurs d’or, en mettant sur pied une garde indigène, des patrouilles et un système de drones de surveillance pour collecter les preuves des violations du territoire de la communauté. Tout en menant de front le combat devant les tribunaux.
Ce combat a été couronné en 2022 par le Prix Goldman, le Nobel des défenseurs de l’environnement.
Les Cofan Avie, ce sont une dizaine de familles élargies réparties sur 55.000 hectares de rivières et de jungle luxuriante et pleine de vie, avait constaté en 2023 l’AFP sur place.
C’est aussi un territoire en sursis, cerné par l’économie prédatrice et une myriade de groupes armés qui sévissent dans cette dangereuse zone frontalière.
« Tout autour de nos terres, la destruction avance, les menaces sont plus fortes », s’alarme Alex. « Nous pouvons être les meilleurs militants, les plus valeureux guerriers du monde ; nous ne sommes pas capables de faire face à tous les périls qui nous menacent et s’aggravent ».
« Plus participative »
« Les mines illégales détruisent tout, les gouvernements ne font absolument rien. Dans ma région, la déforestation arrive tout près, plus un seul ruisseau n’a une eau propre. Cela va jusqu’aux menaces physiques contre nos vies », souligne le leader Cofan, désigné par des ONGs comme un « héros du climat ».
« Tout cela se passe au su et au vu des institutions, de la force publique », qui ont « parfois des liens » avec les acteurs « illégaux », dénonce-t-il.
Alex Lucitante dit avoir lui-même été « directement menacé » pour « avoir rendu public un cas d’activité illégale sur le territoire de sa communauté ». « J’ai dû parler haut et fort pour éviter de graves problèmes entre mon peuple et ces gens ».
« Je n’ai jamais participé à une COP de cette importance », confie-t-il. Mais de toutes les COP déjà tenues, « en réalité nous n’avons pas vraiment vu de changements significatifs », déplore-t-il.
« Nous souhaiterions une COP plus participative, plus inclusive pour les peuples indigènes. Que nos représentants prennent part aux réunions où se prennent les décisions les plus importantes », plaide-t-il encore.
« Les gouvernements affirment dans ces réunions défendre les droits des indigènes et de la nature. Mais en réalité dans nos territoires, rien de tout cela ne se voit », accuse le militant. « Au contraire, parfois ce sont ces mêmes gouvernements qui promeuvent la destruction de la biodiversité, en accordant et négociant des concessions pétrolières et minières. Tout en persécutant les indigènes ».
« Retour du jaguar »
Il souhaite que cette COP « soit l’opportunité de faire connaître (…) les réalités et les menaces auxquelles » les indigènes sont confrontés.
« Trop souvent les aides allouées à la protection de la biodiversité restent en ville et n’arrivent jamais jusqu’à nos communautés. Là pourtant où nous luttons contre ceux qui attentent à la vie, aux rivières, aux forêts… »
Ses comptes sur les réseaux sociaux racontent l’histoire de son combat aux côtés des autres communautés indigènes. Ils sont aussi une ode à la vie, à la nature, une incitation à écouter la « sagesse des aînés » et les secrets de la « médecine sacrée », la plante hallucinogène d’ayahuasca dont certains peuples amazoniens -les Cofan en particulier- font grand usage.
Alex est également un compositeur et guitariste confirmé. Ses mélodies, chantées lors des cérémonies nocturnes d’ayahuasca, louent « la terre et le ciel, la pêche, la chasse, les jours remplis d’abondances », la « force des plantes sacrées ». Et partout où l’homme et la nature le permettront, le « retour du jaguar ».
© AFP
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