Quels enjeux pour la COP16 dédiée à la biodiversité qui démarre à Cali en Colombie ?

cop16 enjeux cop cali colombie biodiversité

Méandre d'une rivière près de Misio, Brazzaville, république du Congo © Yann Arthus-Bertrand

Lundi 21 octobre 2021, les deux semaines de négociations internationales sur la biodiversité, qui se tiennent dans le cadre de la COP16 de la CBD (Convention sur la Diversité Biologique), démarrent à Cali en Colombie. Cette COP16 se tient deux années après la précédente édition retardée et délocalisée à cause de la pandémie de Covid-19. La COP15 avait abouti à l’Accord de Kumming-Montréal. Ce Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal (ou CMBKM), comme il est appelé, doit encore être consolidé et faire ses preuves. Tous ces sujets seront au centre de l’attention des négociations en Colombie. Décryptage des enjeux de la COP16.

Les COP sur la biodiversité, 30 ans de négociations pour des progrès limités

Un petit retour en arrière est nécessaire. Car, si la CBD demeure mal connue du grand public, les COP sur la biodiversité sont jusqu’à présent moins médiatisées que leurs homologues sur le climat. Elles ne datent pas d’hier. La CBD est en effet une des 3 conventions-ancres des Nations Unies signées lors du Sommet de la Terre de Rio de 1992. Les deux autres traités portent sur le climat (le thème le plus connu, ses COP annuelles font souvent la Une) et la désertification.

L’objectif de la CBD est de prendre en compte la préservation et la protection de la biodiversité au niveau international. Les États déterminent des objectifs, comme la création d’aires protégées, et s’efforcent de les atteindre.

La COP15 de 2022, un succès

En 2022, la COP15 sur la biodiversité s’était conclue sur un accord salué pour l’ambition des engagements en faveur vivant. L’Accord de Kunming-Montréal fixe une feuille de route avec 4 objectifs principaux et 23 cibles à atteindre pour 2030. Parvenir à protéger 30 % des surfaces terrestres et maritimes d’ici 2030 constitue l’objectif le plus marquant de ces engagements.

[À lire aussi pour revenir sur les avancées de la précédente COP COP15 sur la biodiversité, le point de vue de la Fondation GoodPlanet : « il est désormais temps de concrétiser les bonnes intentions » ]

Dans le même temps, la prise de conscience du rôle et de la valeur a la biodiversité a progressé. Notamment son rôle dans le « bon fonctionnement » de l’économie et la résilience des sociétés. La Banque mondiale estime que « plus de 50 % du PIB mondial, soit 44 000 milliards de dollars en valeur économique, dépendent des ressources naturelles. »

[À lire aussi Déclin de la biodiversité : alerte sur les points de bascule des écosystèmes]

Cependant, les alertes sur l’érosion du vivant se sont multipliées. On parle même de 6e extinction de masse de la biodiversité, ce qui représente un péril pour la survie de l’humanité et les activités humaines. Selon l’IPBES (l’équivalent du Giec pour la biodiversité), « environ 1 million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction », ce qui correspond à 1 espèce sur 5. Récemment, le WWF a alerté une fois de plus sur la diminution sans précédent des populations de mammifères sauvages en un demi-siècle. Or, les animaux vertébrés ne sont qu’une infime partie du vaste iceberg qu’est le monde vivant.

[À lire aussi Le constat du dangereux déclin de la nature avec l’accélération « sans précédent » du taux d’extinction des espèces] et Le nouveau rapport de l’IPBES sur l’ampleur de l’exploitation des espèces sauvages par l’humanité et la nécessité de les préserver

Quels enjeux pour les négociations de Cali ?

La COP16 s’avère donc une étape cruciale dans un processus long et ambitieux. Sébastien Treyer, directeur général de l’IDDRI (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales) se réjouit de « la visibilité inhabituelle de cette COP » en ajoutant que « quand on suscite de l’attention, on suscite des attentes ». Il indique par ailleurs qu’en dehors des chefs d’État venus du Sud, Amérique latine et Afrique, peu de décideurs de premier rang feront le déplacement à Cali, un écueil déjà observé lors de la précédente édition.

[À lire aussi Le changement climatique et l’eutrophisation affaiblissent la biodiversité des milieux d’eau douce]

Comme pour les négociations climatiques, une fois que des objectifs ont été fixés dans un accord, il faut les rendre opérationnels et les concrétiser. Tout l’enjeu de cette COP sera donc de trouver les moyens d’atteindre les ambitions du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal. Et, c’est souvent au moment d’entrer dans le dur avec la mise en œuvre des décisions que les négociations se complexifient et se tendent.

Des États à la traine pour convertir les ambitions mondiales en cibles nationales et en stratégies d’action

D’une part, le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal est un accord volontaire des États, il n’est donc pas contraignant. D’autre part, à quelques jours de la COP16, un petit nombre de pays ont communiqué sur leurs stratégies et plans d’action nationaux en faveur de la biodiversité (SPANB) ainsi que leurs cibles dans ce domaine. Ils doivent répondre aux ambitions mondiales de préservation de la biodiversité. Juliette Landry, responsable de recherche gouvernance internationale de la biodiversité au sein de l’IDDRI explique que « seulement une vingtaine de pays ont déposé leurs plans nationaux d’action, dont 8 membres de l’Union européenne. Une soixantaine de pays ont présenté des cibles nationales. » C’était en effet un compromis de la précédente COP de permettre aux États de présenter seulement des cibles car élaborer une stratégie et un plan d’action prend du temps.

Les cibles et les plans d’action pour la biodiversité déployée au niveau d’un pays sont importants car ils témoignent de la bonne volonté des partis de respecter l’accord tout en légitimant leur parole et leur crédibilité sur le sujet lors des discussions. Sans parler du fait que ces éléments aident à juger des avancées, ou non, sur les objectifs globaux. « Sauf que le nombre de cibles et de stratégies à l’heure actuelle ne se montre pas représentatif de l’ambition mondiale agrégée », relève Juliette Landry. Elle s’interroge aussi sur le fait que la COP va aborder les moyens à mettre en œuvre pour élaborer ces stratégies et analyser leur qualité.

De surcroît, comme le rappelle le Ministère de l’Écologie, ce type d’accord implique un suivi, ses modalités font donc l’objet de discussions : « la COP16 doit finaliser les éléments du mécanisme de mise en œuvre, notamment les indicateurs du « cadre de suivi » et les modalités d’organisation du bilan mondial. »

Comment financer l’action en faveur de la biodiversité, un point clé des discussions

Alors que les subventions et incitations économiques néfastes à la biodiversité sont évaluées à 2600 milliards de dollars, les besoins de financement en faveur de la biodiversité sont colossaux. Le sujet des financements reste un point central des discussions à venir.

« Dans les négociations, il y a effectivement la question du financement », rappelle Juliette Landry de l’IDDRI. De nombreux pays et organisations alertent sur la difficulté pour les pays en développement, qui en ont besoin, d’accéder à l’argent, tandis qu’à l’heure actuelle, au vu des enjeux, les sommes allouées semblent dérisoires.

Juliette Landry évoque le fait que pour la COP16 de Cali, « une stratégie de mobilisation des ressources », qu’elles soient publiques ou privées, va être adoptée. La COP15 était parvenue à concrétiser une demande des pays du sud, avec la création d’un nouveau fonds multilatéral dédié à la biodiversité : le Global Biodiversity Framework Funds. Celui-ci est indépendant du Fond pour l’environnement mondial (FEM) qui existait déjà auparavant. L’objectif était de répondre aux critiques des pays en développement sur le fonctionnement du FEM. Néanmoins, au-delà de la création de ce nouveau fonds multilatéral, des sujets persistent. Ils occupent toujours depuis 2 ans une place importante des discussions entre les pays du nord et les pays du sud. On les retrouvera donc à Cali. Le nouveau fonds dédié à la biodiversité (le Global Biodiversity Framework Funds) a été mis en place sans pour autant atteindre ses ambitions. Ce dernier n’a reçu que 400 millions de dollars de promesses, mais seulement la moitié des sommes a été versée.

C’est pourquoi, au sujet des financements et du fonds multilatéral, 3 hypothèses de travail sont envisagées pour la COP de Cali, selon la spécialiste gouvernance de la biodiversité de l’IDDRI. Soit les discussions s’orientent, sous la pression des pays africains, vers la création d’un nouveau fonds. Soit la COP16 décide d’attendre la COP17 pour évaluer le bon fonctionnement du Global Biodiversity Framework Funds qui a réussi à être mis en place rapidement et doit encore progresser. Soit, les pays optent pour conserver une forme de statu quo sur ce sujet, cette dernière option est portée par les pays donateurs.

Rester cohérent sur les sujets environnementaux

Enfin, pour sa part, l’UICN insiste dans une note sur ses positions en amont de la COP16 sur le lien entre les crises du climat et du vivant. Elle y écrit : « il est crucial de prendre des mesures climatiques décisives, d’éviter ou de minimiser l’impact négatif des réponses aux changements climatiques sur la biodiversité, de prendre en compte les impacts existants et prévus des changements climatiques sur la biodiversité lors de la mise en œuvre de l’ensemble du Cadre. » Elle appelle donc à aborder ces deux sujets « de manière cohérente et synergique. Les objectifs climatiques ne pourront être pleinement atteints sans atteindre pleinement les objectifs et cibles du KMGBF. Le climat, la conservation de la biodiversité et la santé mondiale sont intimement liés. »

 Julien Leprovost

Cet article vous a plu ? Il a été rédigé par un de nos rédacteurs, soutenez-nous en faisant un don ou en le relayant.
Vous êtes intéresse par d’autres articles sur l’écologie ? Inscrivez-vous 
gratuitement à notre newsletter hebdomadaire.

Pour aller plus loin

COP 16 : un printemps pour la biodiversité ? sur le sire Internet de  IDDRI

COP16 : Alex Lucitante, une voix indigène et de « résistance » pour la nature

Pour sa COP16, la Colombie s’affiche en championne de la biodiversité

À lire aussi sur GoodPlanet Mag’

Les solutions fondées sur la nature principalement déployées en Europe pour le moment

L’agroforesterie, une solution naturelle sous-estimée dans la lutte contre le réchauffement climatique

Préserver la biodiversité : une nécessité pour les Français

L’agroécologie pour combattre la dégradation des sols

La diminution des populations d’animaux sauvages se poursuit, selon le dernier rapport Planète Vivante du WWF

Ecrire un commentaire