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L’expédition Transarctique: l’étude des glaces à bord du Commandant Charcot

Brise glace

Le Commandant Charcot en Arctique ©Christian Haas-AWI

Lucia Sala Simion est guide-conférencière. Cette année, elle a embarqué en expédition scientifique à bord du brise-glace français Le Commandant Charcot pour atteindre le pôle Nord. Elle livre un témoignage privilégié de cette expédition tout en racontant le changement climatique dans cette région du monde confrontée à la disparition d’une partie de la banquise.

Nous sommes le 15 septembre 2024: à bord du brise-glace français Le Commandant Charcot de la flotte Ponant, nous venons d’atteindre le pôle nord géographique (90°00’00”), le point au sommet de la planète convoité par de si nombreux explorateurs depuis des siècles. Comme pour célébrer l’événement le soleil se pare d’un parhélie (phénomène optique consistant en l’apparition de deux répliques du soleil, ndlr) l’ambiance est magique. La mer autour de nous – au coeur de l’océan Arctique – est une mosaïque de plaques de banquise enneigée et d’étendues d’eau recouvertes d’une délicate couche de très jeune glace qui se fendille doucement au passage du navire.

« La banquise était deux fois plus épaisse qu’aujourd’hui »

« En 1991, quand je suis venu ici pour la première fois à bord du Polarstern – me dit Christian Haas, professeur de géophysique de la glace de mer et de télédétection à l’université de Brême en Allemagne et directeur du groupe de recherche sur la glace de mer à l’Alfred Wegener Institute (AWI)  – la banquise était deux fois plus épaisse qu’aujourd’hui ». Haas est un des vingt scientifiques internationaux embarqués sur le Charcot lors d’une expédition qui sillonne l’océan Arctique d’ouest en est – de Nome en Alaska à Longyearbyen aux Svalbard : une première. Un parcours de 6.400 kilomètres pour réaliser toute une série de projets différents, réunis sous l’acronyme CHARCOT: An oceanographic snapshot in the CHanging ARctiC passing thrOugh The North Pole. Les scientifiques aiment beaucoup les sigles. En clair: collecter une série de données sur l’évolution de l’environnement arctique face au changement climatique, qui est particulièrement important dans cette région du globe, à cause de l’amplification polaire.

Evolution du niveau de la banquise
L’évolution de l’étendue de glace en Arctique ©NASA-National Snow and Ice Data Center (NSIDC)

La glace de mer – la banquise – est une composante majeure du système climatique de la planète: son étendue et son épaisseur sont en relation avec les températures de l’air et de l’eau, mais également avec les vents et les courants qui la disloquent constamment. En naviguant au coeur de l’océan Arctique nous sommes les témoins privilégiés de ce remaniement constant subi par la banquise pendant l’été boréal durant lequel deux tiers de la banquise fondent. Nous traversons des étendues d’eau libre, puis de vastes plaques enneigées appelés des “floes”, puis des canaux recouverts d’une fine couche de cristaux de glace qui ondule mollement – le frazil; des champs de glace recouverts de minuscules fleurs de givre, puis des crêtes de compression, là où les plaques se heurtent et se chevauchent l’une sur l’autre. Ces murs de glace et de neige peuvent atteindre quelques mètres de hauteur hors de l’eau et plusieurs mètres sous l’eau.

A bord du Commandant Charcot

Le Commandant Charcot – 150 m de longueur pour 28,3 m de largeur – est un des brise-glaces les plus puissants actuellement existants. À la fois paquebot et plateforme scientifique, il peut briser une banquise de 2,5-3 mètres d’épaisseur. À sa proue un instrument prénommé le SIMS (Sea Ice Monitoring System, Système de Surveillance des Glaciers en Mer, ndlr) développé en collaboration avec le Alfred Wegener Institute mesure en temps réel l’épaisseur de la banquise. Mais des mesures sur place sont indispensables pour calibrer les instruments et les mesures satellitaires.

Voyage Transarctique du Commandant Charcot
Voyage Transarctique du Commandant Charcot ©Christian Haas-AWI

Naviguer à bord du Charcot signifie aussi partir en exploration. Lors de cette TransArctique, avec le commandant Etienne Garcia à la barre- nous avons atteint le pôle nord géographique mais également deux autres pôles, dont le le pôle nord d’inaccessibilité, le point de l’océan arctique le plus éloigné de toute terre, situé à 85° 48’ N – 176° 09’ E. Le Commandant Charcot a été le premier navire a y parvenir, le 12 septembre. Le 13 septembre nous avons rejoint le pôle magnétique nord, le point de l’hémisphère nord où les lignes de force du champ magnétique terrestre pointent verticalement à la surface de la planète. C’est un point errant à la surface de la Terre. Ce jour là, sa position était de 85° 51’ N – 139° 28’ E.

Des missions scientifiques variées

L’équipe d’une vingtaine de scientifiques à bord du Charcot étudie des domaines aussi variés que pontus. Par exemple, la microbiologie pour en savoir plus sur les bactéries piégées dans l’air arctique et capables de résister aux froids extrêmes ou encore l’océanographie pour mieux comprendre le cycle du carbone. On échantillonne l’air pour piéger des bactéries – il y en a plusieurs milliers d’espèces dans l’écosystème Arctique. Des chimistes travaillent aussi sur le rôle des toxines produites par une certaine espèce de phytoplancton en Arctique qui peuvent affecter les cétacés et les pinnipèdes. À bord, d’autres chercheurs étudient comment les micro-organismes marins colonisent et utilisent les microplastiques, qu’on retrouve hélas aussi cette région pourtant peu accessible à l’être humain. Enfin, pour terminer ce panorama, ajoutons que deux architectes navals étudient les propriétés mécaniques de la glace de mer en prélevant des carottes de glace de banquise.

Une banquise sous haute surveillance, mais qui se réduit

Depuis 1979 – presque un demi-siècle – des satellites de la NASA, de l’ESA et d’autres agences spatiales – observent et surveillent l’étendue de la glace de mer en Arctique et en Antarctique: ils nous montrent la banquise des régions polaires qui se forme en hiver et se dissous en été, année après année. C’est voir la planète qui respire, qui pulse. Mais il y a aussi d’autres moyens d’étudier la banquise, son bilan de masse, sa dérive ainsi que divers paramètres de l’air, de la neige, et de l’océan: il s’agit des bouées autonomes déposées sur ou sous la banquise. Elles transmettent les données par satellites au fur et à mesure de leur dérive, puis coulent quand la glace de mer fond. Lors de la traversée de l’océan arctique Christian Haas a installé deux balises, dont une au pôle nord géographique. Dans le passé on a également utilisé des données obtenues par des sous-marins qui ont navigué sous la banquise.

En Arctique la superficie maximum de la banquise est détectée à la mi-mars (en 2024 c’était le 14 mars, avec une étendue de 15,01 millions de km2, environ 27 fois la France métropolitaine); la superficie minimum se situant à la mi-septembre, entre le 11 et le 21 septembre, selon les données communiquées par le National Snow and Ice Data Center de l’Université de Boulder au Colorado (NSIDC).
Le 11 septembre 2024 – lorsque nous étions au coeur de l’Océan Arctique – l’étendue de la banquise était de 4,8 millions de kilomètres carrés (environ 8,7 fois la France): il ne s’agit pas de la superficie minimum enregistrée (le record revient à 2012 avec 3,39 millions de km2), mais cela confirme la tendance des dernières 18 années, avec une diminution de la banquise d’environ 77.000 km2 par an. Les observations satellitaires – et les mesures sur place – démontrent que l’épaisseur de la banquise est – elle aussi – globalement réduite: la glace de mer que nous observons du navire est une glace de première année, elle s’est formée lors du dernier hiver. Selon certaines prévisions, lors des prochaines décennies l’océan arctique pourrait être libre de glace – du moins pendant la saison estivale. À l’exception d’un endroit bien précis, prénommé Last Ice Area (LIA, la dernière zone de glace), situé dans l’extrême nord de l’archipel arctique canadien et du Groenland. C’est ici que l’on trouve les glaces pluriannuelles, la banquise “vieille” de plusieurs années et très épaisse. Cette région sera un refuge majeur pour les espèces marines de l’Arctique qui ont besoin de la glace de mer pour vivre.

Etendue glace Arctique 11 septembre 2024
L’étendue de la glace en Arctique le 11 septembre 2024, en comparaison avec son étendue minimum moyenne entre 1981 et 2010 (ligne jaune)
©NASA-National Snow and Ice
Data Center (NSIDC)

Lucia Sala Simion

Pour en savoir plus:

Marins des Glaces – GoodPlanet mag’

La webcam du Commandant Charcot 

La banquise arctique proche d’un niveau historiquement bas, la glace de l’Antarctique continue de décliner (NASA)

La banquise de l’Arctique continue de décliner (NASA Earth Observatory)

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