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Sauvés du génocide par des « convois de la vie », des enfants rwandais racontent 30 ans après

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L'écrivaine franco-rwandaise Beata Umubyeyi Mairesse, rescapée à l'âge de 15 ans du génocide des Tutsi au Rwanda, lors d'une séance photo à Paris le 22 décembre 2023. L'écrivaine a raconté pour la première fois son sauvetage et celui d'un millier d'autres enfants et orphelins par des convois humanitaires suisses en 1994 dans son livre "Le convoi" © AFP JULIEN DE ROSA

Paris (AFP) – Dans l’abîme du génocide des Tutsi, orphelins ou séparés de leurs familles décimées, leur vie d’enfant n’a tenu qu’à un fil en 1994 au Rwanda, celui de convois humanitaires suisses dont l’histoire est pour la première fois mise en lumière, 30 ans après.

L’écrivaine franco-rwandaise Beata Umubyeyi Mairesse, qui avait alors 15 ans, et sa mère ont fait ce voyage dans le convoi du 18 juin. La plupart du temps « allongées au fond » du camion, « recouvertes de tissus » pour se cacher, car les autorités rwandaises avaient donné l’accord pour le sauvetage des enfants de moins de 12 ans seulement…

A chaque passage terrifiant de barrages, les miliciens inspectaient le camion. Des enfants s’asseyaient alors sur Beata et sa mère – qui se recouchaient sous les pagnes et retenaient leur souffle – pour les dissimuler encore plus… Les semaines précédentes, ces rescapées avaient traversé l’effroyable, obligées de se séparer parfois, se terrant où elles pouvaient, réchappant de peu aux tueries à plusieurs reprises.

Beata a raconté l’histoire méconnue de ces « convois vers la vie » en 2024 dans son livre « Le convoi ».

Une bouleversante enquête de plusieurs années qu’elle a menée « aux confins de mémoires étiolées », pour reconstituer les évènements de son sauvetage et des autres « enfants des convois », « leur rendre » une part de leur histoire et rendre hommage à ceux qui ont permis qu’ils aient la vie sauve, en risquant eux-mêmes leur vie.

Le génocide contre la minorité tutsi au Rwanda, orchestré par le régime extrémiste hutu au pouvoir, a fait près d’un million de morts entre avril et juillet 1994. Un processus d’extermination systématique, perpétré notamment par des militaires et des miliciens « Interahamwe », et qui a visé les habitants tutsi: voisins, amis, hommes, femmes, enfants, vieillards…

Entre juin et juillet 1994, un millier d’enfants ont pu être sauvés d’une mort certaine grâce à l’opération des convois de l’ONG suisse Terre des hommes (Tdh) et à l’engagement de plusieurs étrangers et Rwandais (couple d’humanitaires suisses, consul, journalistes, prêtre, religieuses) qui permettront leur exfiltration au Burundi voisin.

L’AFP a pu retrouver plusieurs de ces orphelins adoptés ou accueillis à l’étranger et qui ont avancé avec courage dans leur reconstruction.

Camions bondés

Sur les photos qu’a pu consulter Beata, les regards apeurés ou interloqués des petits fixent le photographe depuis l’intérieur des camions ou à l’arrivée au Burundi.

Ces enfants étaient déjà placés en orphelinat ou centre d’accueil avant les massacres ou bien des orphelins tutsi dont les parents venaient d’être tués.

Ils ont été exfiltrés dans des bus ou des camions bondés, leurs frêles silhouettes blotties les unes contre les autres; beaucoup rescapés des massacres et portant des bandages, la mort rôdant autour d’eux à chaque passage de barrages sur les routes tenues par les extrémistes hutu.

Jean-Luc Imhof, humanitaire suisse travaillant depuis 30 ans pour Tdh et qui a aidé l’autrice dans ses recherches dans les archives de l’ONG, est un témoin rare.

Il était en poste au Rwanda en 1993 et 1994 – notamment pendant le génocide, jusqu’au 18 avril – pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), et il y était ensuite retourné en 1995 en mission pour Tdh.

L’organisation de ces convois était « chaotique », rappelle-t-il. Le génocide est perpétré depuis des semaines, et alors que la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR) – qui mettra fin au génocide – progresse et que les combats se rapprochent, les militaires et les Interahamwe « deviennent comme fous » en sentant la défaite imminente.

« Terre des hommes se retrouve face à une situation incroyable: la responsabilité de ces plus de 1.000 enfants recensés ». « C’était surtout des petits, entre cinq et dix ans, et des moins de trois ans… Beaucoup étaient blessés, notamment par des coups de machette », explique-t-il.

 Barrages

L’ONG prend la décision, de concert avec d’autres organisations humanitaires internationales et institutions, d’organiser leur exfiltration.

Le premier convoi début juin, en partenariat avec le CICR, parvient à rejoindre le Burundi.

Celui du 18 juin, qui n’a pas pu se faire avec le CICR, « ça a été encore plus risqué ».

« Le convoi avance dans une incroyable inconnue; il y a des barrages où les militaires font sortir des enfants, ils risquent leur vie à chaque fois… », relate M. Imhof.

Il rappelle les drames dont ont été témoins ces enfants pendant leur survie et les « traumatismes qu’ils ont emportés avec eux ». Beaucoup « ont vu leur famille se faire massacrer ».

« Leur quotidien, c’était échapper à la mort plusieurs fois par jour: la vie était suspendue à très peu de choses », souligne-t-il.

Trente ans après, Claire Umutoni, orpheline du génocide des Tutsi avec ses quatre soeurs, raconte ainsi ces moments avec une acuité qui vous secoue.

« Nous avons reçu un appel téléphonique vers le 20 avril d’une personne dont mon père a reconnu la voix; il savait qu’il s’agissait d’un des dignitaires de la ville de Butare (sud), qui lui a dit: +ton heure est arrivée+ ».

Les parents demandent alors à leurs filles de quitter immédiatement la maison. Claire, 17 ans, et ses soeurs trouvent refuge dans différents lieux dont elles seront finalement chassées…

La jeune fille devient brutalement cheffe de famille de ses 4 soeurs après la mort dans une « cruauté inimaginable » de sa mère le 26 avril et de son père le 10 mai.

La fratrie est réfugiée dans une école.

« Des bombes tombaient près de l’école où nous logions avec plusieurs orphelins; les enfants avaient toutes sortes de blessures, sur le corps ou émotionnelles, c’était terrible », souffle Claire, jointe au Canada où elle vit.

C’est le 3 juillet que Claire sera emmenée dans l’un des convois avec plusieurs orphelins jusqu’au Burundi.

« Chaos »

« Je me souviens que sur la route il y avait beaucoup de génocidaires qui fuyaient avec des marteaux, des machettes…; c’était le chaos car le FPR était aux portes de Butare, mais y’avait toujours les génocidaires qui voulaient tuer les Tutsi… »

Elle se rappelle des « quatre barrages » tenus par des miliciens qui avaient « des gourdins, des grands couteaux d’abattoir, des grenades » et de son « sentiment de peur permanente. »

Finalement, Claire et ses soeurs seront recueillies par des tantes.

« Puis ma tante a décidé de m’envoyer au Canada en 1999, un pays lointain, pour commencer une nouvelle vie, me reconstruire… et j’ai choisi de ne pas tomber dans la folie… », confie Claire, aujourd’hui fonctionnaire au Bureau du Conseil privé du Canada et mère de « trois beaux enfants ».

Elle retournera pour la première fois en 2008 au Rwanda pour enterrer ses parents, finalement identifiés.

Pour Beata, 30 ans après le génocide des Tutsi, l’année 2024 marque une « prise de conscience ».

« C’est aussi le début de cette reconnexion plus globale de ces enfants des convois; ceux qui étaient petits apprennent enfin cette histoire, c’est fort… »

Depuis la parution de son livre, elle a été contactée par plusieurs anciens enfants des convois qu’elle n’avaient pas réussi à retrouver et par des humanitaires.

« Quand quelqu’un me contacte, j’explique que je peux lui envoyer des photos et on essaie de déterminer dans quel convoi il était ; le livre a un impact ».

« Grâce à vous »

Le 30 juin dernier, plusieurs ex-enfants des convois – dont un venu de Kigali- ont pour la première fois revu des humanitaires et des journalistes ayant participé à leur exfiltration. Cette rencontre, autour de Beata et à laquelle l’AFP a assistée, était organisée au Mémorial de la Shoah à Paris.

Lorsque Nadine Umutoni Ndekezi, qui vit en Belgique, prend la parole, plongeant dans ses souvenirs du convoi du 3 juillet qui l’a exfiltrée depuis l’orphelinat où elle s’était réfugiée alors qu’elle n’avait que neuf ans, l’assistance est étreinte d’émotion.

Avec force, elle remercie « pour leur courage » les acteurs essentiels de ce sauvetage. « On est là aujourd’hui aussi grâce à vous, parce que vous n’avez pas lâché », lance Nadine, devenue travailleuse sociale dans la santé mentale et mère d’un adolescent de 14 ans.

Elle remercie Beata pour son travail, qui lui a permis de savoir « enfin » qui étaient les protagonistes de son sauvetage.

Elle raconte comment en arrivant à l’orphelinat, elle avait retrouvé l’enfant d’un voisin qu’elle gardait souvent. Il était très gravement blessé à la tête.

« Avant, l’enfant parlait, marchait… mais il avait tout oublié, il a dû tout réapprendre; je me suis dit que si des adultes peuvent faire ça, alors je ne voulais pas devenir adulte… Je n’avais plus confiance », lâche-t-elle en sanglots.

« Je crois que c’est grâce à ces acteurs du sauvetage que j’ai repris espoir, ils ont gardé leurs valeurs malgré l’injonction de protéger leurs vies d’abord », souffle-t-elle. « Les parents de cet enfant ont été exterminés… Il est parti avec vous le 18 juin: je ne vous remercierai jamais assez de votre initiative, vous avez sauvé notre humanité et notre envie d’avancer ».

« Ce sont nos héros, ils ont fait une action incroyable », renchérit Claire Umutoni auprès de l’AFP.

A la fin de l’entretien, Claire résume pour tous ces 30 dernières années: « J’ai choisi de vivre au nom des nôtres qui ont été assassinés alors qu’ils n’étaient pas coupables. Pour rester digne et debout face aux génocidaires. »

Sur le même sujet, lire le Grand angle « Pour les orphelins rwandais, 30 ans de reconstruction l’esprit « toujours là-bas ».

© AFP

À (re)voir aussi, le film Rwanda, récits d’un génocide, réalisé pour le projet 7 milliards d’Autres de la Fondation GoodPlanet

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