En Colombie, le volcan interdit et ses anges gardiens indigènes

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Le gardien indigène Jorge Arevalo, de l'ethnie Pasto, devant la Lagune verte, à Tuquerres, dans le département de Narino, le 29 août 2024 en Colombie © AFP JOAQUIN SARMIENTO

Volcan Azufral (Colombie) (AFP) – Emeraude, perroquet, olive, jusqu’au turquoise… Dans les montagnes andines du sud-ouest de la Colombie, le cratère d’un volcan abrite une « lagune » enchanteresse aux cinquante nuances de vert, trésor naturel un moment menacé par le tourisme de masse sur lequel veille désormais une communauté indigène.

L’ascension du volcan Azufral, qui culmine à 4.070 mètres dans le département du Narino, non loin du Pacifique, n’est pas simple affaire de trekking et de condition physique.

« Les ancêtres de la lagune n’aiment pas être dérangés (…) Il faut d’abord demander la permission à la nature », conte Jorge Arevalo, 41 ans.

Ce matin-là, ils sont une poignée, dont Jorge, membres de la « garde indigène » de la réserve, à accompagner une équipe de l’AFP pour cette visite exceptionnelle jusqu’au cratère.

Depuis sa fermeture au public par les indigènes autochtones Pastos, on ne monte à la « lagune verte »,  en fait des lacs de montagne, qu’avec l’autorisation expresse du gouverneur indigène local.

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Trésor caché

Site comparable aux lacs bleus à la beauté légendaire de Band-e Amir en Afghanistan, la « lagune verte » est longtemps restée « l’un des secrets les mieux gardés » de Colombie, selon la presse, qui en parlait encore en 2011 comme d’un « trésor » caché.

Modernité -et tourisme- oblige, le trésor naturel n’est plus resté caché bien longtemps, et de plus en plus de visiteurs ont alors commencé à gravir les pentes herbeuses du volcan.

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Saccagés par ce tourisme incontrôlé, l’accès au lac et aux 7.503 hectares de parc ont été décrétés fermés du jour au lendemain en septembre 2017 par les autorités indigènes, propriétaire de ces terres. Une décision finalement avalisée en 2018 par l’exécutif local.

« Il y avait des détritus partout », se souvient Jorge avec dégoût. « Des gens montaient jusqu’au cratère en moto. Un maire du coin a même tenté d’amener un bulldozer pour aménager une route! »

« Les dommages sur cet écosystème unique » assurant l’approvisionnement en eau de toutes les localités aux alentours « étaient terribles ».

« Il y avait jusqu’à 1.500 personnes par jour, c’était très invasif », regrette Diego Fernando Bolaños, de la direction du tourisme du Narino. « La lagune verte est un joyau. Malheureusement il n’y a pas eu une bonne gestion du site », reconnaît le fonctionnaire.

Chasser les intrus

« En sept ans de fermeture, les dommages ont été réparés », se félicite Jorge. Les volontaires de la garde indigène patrouillent régulièrement pour repérer et chasser les intrus.

« Je ne savais pas que c’était interdit », s’étonne avec de gros yeux ronds Inga, Néerlandaise quadragénaire, montée la veille en solo et qui a bivouaqué à l’entrée du parc. « Là-haut c’est magnifique. Ils ont eu raison de fermer ».

Avant l’ascension, les cinq membres de la garde indigène organisent un rituel en présence de leur taïta (chaman), Florentino Chasoy, pour louer le « cycle de la vie ».

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« Sans nos Dieux, sans la nature, l’eau, les montagnes… nous ne sommes rien », rappelle le chaman. Chacun demande « l’autorisation de monter » au sommet et « de contempler la beauté » du lac. S’excuse par avance du « dérangement » qu’il va causer « aux plantes, aux animaux », ou d’avoir à « perturber le silence » de ce « lieu sacré » pour les indigènes Pastos.

Une oraison à la « Pacha Mama », une prière à la Vierge Marie, un « nettoyage spirituel » à coups de parfum… et en route vers le sommet!

Après une ascension de près de deux heures, ce sont en fait trois lacs qui s’offrent au visiteur, au fond d’un cratère de 3 km de large.

La « laguna verde » tient toutes ses promesses, illuminant le regard au gré des rayons du soleil. Un autre étang stagne au pied d’une montagnette jaunâtre d’où s’échappent des fumerolles et une âcre odeur de soufre. Et plus loin, la « lagune noire » aux eaux sombres, réputée « ensorceler » ceux qui s’y attarderaient un peu trop, selon les guides.

On s’approche de l’eau sulfureuse. « Il ne faut pas s’y baigner », met en garde Jorge. Au début des années 2000, « deux plongeurs y ont trouvé la mort, leurs corps n’ont jamais été retrouvés ». Ils voulaient explorer le fonds pour y récupérer l’or supposément jeté là en offrande pendant des siècles par les indigènes.

« Merveilleux héritage » 

« Il ne faut pas déranger les ancêtres », répète-t-il, son traditionnel bâton à la main, protégé du froid par sa « ruana » (poncho) en laine de brebis. « Cette lagune est un héritage de nos anciens, c’est une merveille ».

A l’initiative de l’UE, Jorge devrait être invité à la COP16 sur la biodiversité fin octobre à Cali pour y raconter l’expérience du volcan Azufral. « Le travail de protection et de récupération de la Laguna verde par la communauté indigène Pasto exprime très bien la connexion entre action locale et changement climatique », commente à l’AFP l’ambassadeur de l’UE en Colombie, Gilles Bertrand.

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« Les Pastos protègent un site sacré essentiel pour leur culture, mais aussi un écosystème de haute montagne indispensable pour la conservation de l’eau et le cycle des saisons de l’Amazonie, duquel dépend l’équilibre climatique de l’Europe et du monde », souligne M. Bertrand, qui lui-même a pu visiter la lagune en août.

Que faire maintenant? Tout le monde semble d’accord pour ne pas revenir à la situation d’avant, y compris le département, dont certains fonctionnaires -comme guides ou à la tête de tours opérateur- étaient eux-mêmes partie prenante de l’invasion touristique.

Des indigènes voient dans ce lieu emblématique une source inespérée de revenus, alors que la communauté vit modestement de la culture des pommes de terre et du lait.

Il faudrait « rouvrir progressivement » avec des accès payants, sur un modèle plus « durable », plaide M. Bolaños.

« Nous ne nous opposons pas à ce que des gens visitent le site, nous nous opposons à un tourisme incontrôlé », insiste pour sa part Jorge. « Personne ne faisait rien », martèle-t-il, « nous sommes les seuls à avoir agi contre cette folie »

© AFP

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