La LGV Bordeaux-Toulouse, une menace pour la forêt du Ciron, plus ancienne forêt de France métropolitaine

La forêt du Ciron

La forêt du Ciron, dans le sud de la Gironde, est la plus vieille forêt de France métropolitaine. ©jacme31-Flickr

Dans le sud de la Gironde, des hêtres poussent dans la vallée du Ciron depuis 43 000 ans. Aujourd’hui, le projet de Ligne Grande Vitesse (LGV) Bordeaux-Toulouse prévue à proximité menace cette forêt, la plus vieille de France. Ancien chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), Alexis Ducousso a étudié l’écosystème exceptionnel de la vallée du Ciron. Aujourd’hui, il alerte sur les multiples menaces pour la biodiversité du projet de LGV.

Le 12 octobre, entre 800 et 1000 personnes se rassemblaient dans le sud de la Gironde contre le projet de LGV Bordeaux-Toulouse pour dénoncer l’artificialisation des terres. Elle concernerait 5000 hectares selon eux. Les travaux menacent aussi la forêt du Ciron dont des découvertes scientifiques ont établi l’exceptionnelle ancienneté.

Dans la forêt du Ciron, une hêtraie « unique » vieille de 43 000 ans

En effet, la hêtraie menacée de la vallée du Ciron est la plus vieille de France métropolitaine: elle est âgée d’au moins 43 000 ans.  « C’est un cas exceptionnel où une espèce d’arbre est encore présente dans son refuge glaciaire », explique Alexis Ducousso, ex-chercheur à l’INRA (désormais INRAE). Un refuge glaciaire est un écosystème qui a permis à l’essence de résister à l’ère glaciaire. C’est en se « promenant » qu’il a fait la découverte qui deviendrait son sujet d’étude. « Quand je suis arrivé dans cet hêtraie la première fois, j’ai eu un choc », raconte-t-il. « J’ai été obligé de ravaler tous mes cours d’écologie forestière d’un seul coup tellement c’était atypique. »

« Quand je suis arrivé dans cet hêtraie la première fois, j’ai eu un choc » 

La hêtraie fait de la vallée du Ciron un lieu « unique » doté d’une « diversité hors normes ». « La diversité s’accumule au cours du temps », explique le scientifique, qui estime que la forêt pourrait même avoir plus de 43 000 ans. La datation au carbone 14 ne peut pas dater au-delà de 50 000 ans d’ancienneté mais « il faut remonter à l’Eémien , il y a environ 110 000 ans, pour avoir des arbres dans la région », argumente-t-il.

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Déboisement, nappes phréatiques, espèces invasives : les multiples impacts de la LGV sur l’écosystème de la forêt

Le projet de LGV Bordeaux-Toulouse qui passe à proximité de la vallée fait peser de nombreuses menaces sur la forêt. Il vise à desservir Toulouse en TGV et réduire le trajet avec Bordeaux de 73 minutes. Tout d’abord, les constructions entraîneront un « déboisement » qui affectera « le microclimat local » dépendant de la forêt, prévoit Alexis Ducousso.

Le tracé de la LGV Bordeaux-Toulouse, à proximité de la forêt du Ciron
Le tracé de la LGV Bordeaux-Toulouse (en rouge) passe à proximité de la forêt du Ciron (entourée en vert). ©SNCF-GPSO

Les risques liés au « fonctionnement hydroécologique » de la forêt du Ciron sont plus compliqués à évaluer, précise le scientifique. Le sous-bassement de la voie perturbera les nappes phréatiques qui assurent l’alimentation de la vallée en eau « fraîche et bien oxygénée ». L’altération de ces nappes impliquerait un risque de bouleversement du « microclimat frais » de la vallée, avertit-il. De plus, le tracé de la voie perturbera des « affluents de la rive gauche du Ciron » . Le « triangle ferroviaire » séparant la voie en direction de Toulouse ou Bayonne se situera sur une zone marécageuse précieuse au sud de la forêt.

[Lire aussi: L’hydrologue Charlène Descollonges, auteur d’Agir pour l’eau : « les écogestes ne suffiront pas à rendre nos sociétés plus résilientes face aux extrêmes hydrologiques. »]

Autre aspect de l’installation de la LGV, « les invasions biologiques » favorisées par les constructions humaines. Des espèces envahissantes végétales de la région, « comme le robinier, l’érable négundo, le noyer noir », risquent de tirer parti du bouleversement du microclimat pour envahir la forêt au détriment des hêtres qui y poussent depuis plus de 40 000 ans.
Toutefois, les risques ne se limitent pas aux impacts directs des constructions. Les « travaux connexes liés à la LGV » peuvent causer les perturbations les plus importantes. Alexis Ducousso a déjà constaté un tel phénomène sur la construction de la voie Paris-Le Mans Paris-Tours. « La proximité, les possibilités qu’ont eues les agriculteurs de drainer plus facilement » du fait des « remembrements » pour la construction de la voie ont causé « les plus gros dégâts », détaille-t-il. Des risques très difficiles à évaluer dont les conséquences pourraient n’être constatées que dans quelques années.

La hêtraie du Ciron, étroitement liée aux écosystèmes de la région

Alexis Ducousso n’est pas optimiste pour l’avenir de la forêt en cas de poursuite des travaux de la LGV. « L’impact des travaux va être très rapide », prévient-il. « En quelques années, ça va être bouclé. » Toute la « faune » et la « fonge fagéticole » de la hêtraie risquent d’être définitivement perdus, avec ses spécificités comme ses « cinq espèces de champignons endémiques ».  Une possibilité qui l’alarme : « si les hêtres disparaissent, ça veut dire que l’ensemble des écosystèmes du secteur ont été fortement endommagés ». « La vallée du Ciron a une biodiversité extrêmement élevée du fait de son histoire mais on va perdre de la biodiversité aussi en dehors de la hêtraie », avertit-il. Des mesures de compensation seraient inimaginables au vu de la valeur écologique du site.

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« La vallée du Ciron a une biodiversité extrêmement élevée du fait de son histoire mais on va perdre de la biodiversité aussi en dehors de la hêtraie »

Une crise « souvent sous-estimée »

Pour Alexis Ducousso, le cas de la forêt du Ciron est symptomatique d’une « crise de la biodiversité » encore très peu connue du grand public et « souvent sous-estimée ». Pourtant, elle est « au moins aussi grave que la crise des changements climatiques », alerte le scientifique. La biodiversité ne se résume pas à des « histoires de petits oiseaux ». Elle « rend de nombreux services écosystémiques, régulation du climat, régulation du régime des eaux, régulation des parasites et des ravageurs des cultures », souligne-t-il. Des bienfaits dont bénéficient largement la société au-delà de l’écosystème de la forêt. Enfin, « plus vous avez une biodiversité élevée, plus vous aurez un niveau de bonheur élevé », affirme le chercheur.

Audrey Bonn

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