Patrick Criqui, directeur de recherche au CNRS à propos des enjeux de la COP29 : « réduire les émissions de gaz à effet de serre est moins couteux dans les pays du Sud que dans les pays du Nord »

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Centrale solaire thermodynamique NOOR 1, près de Ouarzazate, Province de Ouarzazate, Région du Drâa-Tafilalet, Maroc (31° 0'30.90"N - 6°51'37.08"O) © Yann Arthus-Bertrand,

La COP29 sur le climat débute le 11 novembre à Bakou en Azerbaïdjan. Alors que la réalité du changement climatique ne fait plus de doutes et que les projections montrent que limiter le réchauffement à 2 degrés reste possible d’ici la fin du siècle, mais difficile, cette nouvelle COP est perçue comme une session de négociations techniques axée sur les financements. Au cours de cette interview avec GoodPlanet Mag’, Patrick Criqui, économiste spécialisé dans le climat et l’énergie et directeur de rechercher CNRS au Laboratoire d’économie appliquée de Grenoble décrypte les grands enjeux de cette nouvelle session des négociations climatiques.

Quels sont les enjeux principaux de la COP29 ?

Un des enjeux majeurs de la COP29 est l’alimentation du fonds pertes et dommages. Il fait, depuis longtemps, l’objet de discussions entre les pays du Nord et ceux du Sud. Le fonctionnement et les sommes allouées à ce fonds reviennent comme un sujet central dans les COP.

« Un des enjeux majeurs de la COP29 est l’alimentation du fonds pertes et dommages. »

L’autre enjeu concernera les engagements pris pour sortir des énergies fossiles, en particulier du charbon. Ce sujet reste sur la table en raison de l’absence d’engagements forts de la part des nations qui continuent de produire et/ou de consommer du charbon.

La COP29 est présentée comme une session technique très axée sur la finance. Pourquoi est-ce quand même important de suivre les discussions ?

Depuis toujours, les négociations sur le climat alternent entre des COP politiques et des COP plus techniques, même si la politique n’est jamais très loin. Leur tonalité dépend de l’avancement des négociations, des changements dans l’environnement politique international, de l’état des relations internationales ainsi que du déploiement au niveau national des politiques climatiques. Il y a donc des temps forts avec des enjeux politiques importants. Parfois, cela se passe bien comme la COP21 de 2015 à Paris qui a abouti à un accord, parfois cela se passe mal comme la COP15 de Copenhague en 2009 qui avait été un échec sur la question de l’extension du Protocole de Kyoto.

« Les négociations sur le climat alternent entre des COP politiques et des COP plus techniques, même si la politique n’est jamais très loin

Il y a donc des moments décisifs pour la définition des ambitions climatiques et la construction des accords internationaux. Et, il y a des COP dans lesquelles on aborde des sujets techniques comme les financements. Même si c’est moins spectaculaire, c’est tout aussi, si ce n’est plus, important, car cela traduit l’effectivité des engagements et la base des futures discussions et actions.

« Même si c’est moins spectaculaire, c’est tout aussi, si ce n’est plus, important, car cela traduit l’effectivité des engagements et la base des futures discussions. »

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Est-ce que l’échec de la COP16 sur la biodiversité, notamment en raison de des désaccords sur les financements aura un impact sur les négociations climat ?

L’échec de la COP16 sur la biodiversité n’envoie pas un bon signal. Que ce soit pour la biodiversité ou le climat, le sujet du financement se révèle un sujet extraordinairement complexe. Elle se montre aussi centrale, en particulier sur le financement des investissements à réaliser par les pays du Nord dans les pays du Sud, notamment ceux qui en ont le plus besoin et disposent aujourd’hui des plus faibles moyens. L’équation est d’autant plus critique que les pays du Nord font eux-mêmes actuellement face à des situations difficiles concernant leurs équilibres financiers.

« Que ce soit pour la biodiversité ou le climat, le sujet du financement se révèle un sujet extraordinairement complexe.»

De plus, mon avis personnel, sans doute non partagé par tous mes confrères, est que le fait d’aborder la question du financement sous le prisme d’une dette climatique des pays riches du Nord envers les plus pauvres du Sud ne constitue pas la meilleure approche. Le financement est alors perçu comme un dû des pays industrialisés envers les pays en développement. Mais l’évaluation de cette dette pose des problèmes insolubles et pourrait conduire à des négociations sans fin. Je suis convaincu de la nécessité de transferts financiers, très certainement massifs, du Nord vers le Sud. Il me semble plus pertinent et réaliste de traiter cette question comme un sujet de besoin de financement de la part des pays en développement et de capacité de financement de la part des pays riches. En plus de ces flux économiques, il faut veiller à transférer les technologiques permettent de décarboner dès maintenant les économies en développement. Une telle approche pourrait se révéler gagnante des deux côtés.

« Le fait d’aborder la question du financement sous le prisme d’une dette climatique des pays riches du Nord envers les plus pauvres du Sud ne constitue pas la meilleure approche. »

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C’est-à-dire que la réalité de l’économie présente doit prendre le dessus sur le principe de la responsabilité historique qui demeure depuis longtemps un point d’achoppement des négociations ?

Selon moi, oui, exactement.  J’estime qu’en matière de financement, il est plus efficace de trouver des solutions pratiques que de chercher systématiquement à faire jouer un principe de responsabilité difficile à établir : dès aujourd’hui les émissions historiquement cumulées des pays du Sud se rapprochent de celles des pays du Nord. Si le sujet de la dette ouvre la voie à des débats sans fin c’est en raison de la complexité des dynamiques économiques, on ne pourra jamais vraiment déterminer les responsabilités.  Le concept de dette écologique est certes un bon argument de plaidoyer, mais il ne doit pas conduire à des blocages dans la recherche de solutions pratiques.

« Réduire les émissions de gaz à effet de serre est moins couteux dans les pays du Sud que dans les pays du Nord.»

Or, les solutions pratiques en termes de financement seraient aussi dans l’intérêt des pays du Nord car réduire les émissions de gaz à effet de serre est moins couteux dans les pays du Sud que dans les pays du Nord. Ce qui devrait rationnellement conduire ces derniers à financer les investissements décarbonés chez les premiers.

Pourquoi est-ce moins couteux de décarboner dans les pays en développement ?

Les plus pauvres des pays du Sud ne sont pas véritablement dans une situation de transition dans le sens où la faiblesse initiale de leurs infrastructures énergétiques fait qu’ils peuvent directement déployer les énergies renouvelables ou de nouvelles technologies bas carbone. De plus, leurs potentiels dans le solaire ou l’éolien sont souvent très importants.

« Eviter que les pays du Sud ne suivent des trajectoires et des modèles de développement économique carboné »

L’enjeu, posé depuis plus de 30 années de COP, est donc d’éviter que les pays du Sud ne suivent des trajectoires et des modèles de développement économique carboné reposant sur les énergies fossiles. En effet, en l’absence de financements associés à des objectifs de réduction ou de limitation des émissions de gaz à effet de serre, le risque est grand que ces pays se tournent davantage vers les énergies fossiles puis pâtissent d’irréversibilités et d’actifs échoués. En clair, il sera alors difficile de se débarrasser de toutes les centrales à charbon qu’on construit aujourd’hui. C’est pourquoi il vaut mieux dès à présent déployer des solutions décarbonées.

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Est-ce que les d’événements récents, comme l’élection américaine, les conflits en cours et les catastrophes naturelles en Amérique du Nord, en Asie et en Europe, peuvent peser sur l’attitude des pays riches lors des négociations ?

Oui, de multiples manières. Pour reprendre la thèse du philosophe Pierre Charbonnier dans son ouvrage « L’écologie de guerre », il y a depuis le conflit en Ukraine un changement de perspective. La puissance et la souveraineté des États passent aujourd’hui par des politiques écologiques. Pour l’Union européenne, il y a une convergence à établir entre politique énergétique et souveraineté, ce que la Chine et États-Unis ont déjà bien compris et intègrent dans leur stratégie.

« La puissance et la souveraineté des États passent aujourd’hui par des politiques écologiques »

Pour en revenir aux implications de cette vision des relations internationales sur les discussions sur le climat : pendant longtemps, sur les enjeux climatiques, on a raisonné sur une base idéaliste en considérant que les États pourraient agir en prenant en compte des intérêts communs supérieurs de long-terme. Or, dans la réalité, il faut reconnaitre que tous les États agissent plutôt en fonction de leurs intérêts à court-terme. Selon Pierre Charbonnier, l’approche idéaliste qui prédominait dans les négociations climatiques n’a pas vraiment fonctionné jusque-là. Compte-tenu de l’état du monde, il faut envisager de défendre une finalité idéaliste « sauver la planète » mais en utilisant des moyens réalistes c’est-à-dire en se basant sur les intérêts bien compris des différents pays. 

« Sur les enjeux climatiques, on a raisonné sur une base idéaliste en considérant que les États pourraient agir en prenant en compte des intérêts communs supérieurs de long-terme. »

Comment ce changement de paradigme se traduit-il ?

Ainsi, concrètement, depuis la guerre en Ukraine, les pays ont modifié leurs politiques énergétiques et donc climatiques, avec le quatorzième plan quinquennal en Chine, l’Inflation Reduction Act aux États-Unis et en Europe, en plus du Pacte Vert, le plan REPowerEU. Ce dernier cherche à miser sur la transition énergétique pour s’affranchir de la dépendance aux énergies fossiles venues de Russie. L’Europe a pris conscience de ce changement de perspective, le rapport Draghi traduit aussi ce changement.

« Envisager de défendre une finalité idéaliste « sauver la planète » mais en utilisant des moyens réalistes»

Au niveau des négociations, ce changement de vision peut se traduire aussi par une volonté de mieux alimenter les financements et les fonds destinés aux pays du Sud. Puisque, au-delà du plaidoyer sur la dette écologique et la responsabilité, il existe un intérêt bien compris. Pour les pays industriels, il est en effet plus efficace d’agir et financer une partie de l’action climatique des pays en développement. Les inondations dramatiques en Europe montrent les impacts et les coûts du réchauffement, pourtant l’Europe en elle-même ne représente aujourd’hui qu’une petite proportion des émissions mondiales et une part croissante des émissions actuelles provient des pays du Sud. Donc même si l’Europe atteignait la neutralité carbone, sans que rien ne change dans les pays en développement, le réchauffement climatique serait accéléré et se répercuterait aussi en Europe.

« Pour les pays industriels, il est en effet plus efficace d’agir et financer une partie de l’action climatique des pays en développement »

On le sait désormais, le résultat d’une COP dépend en partie du pays organisateur, qu’est-il possible d’attendre de l’Azerbaïdjan, qui fait déjà l’objet de critiques en raison de la corruption endémique et la présence du lobby des énergies fossiles ?

Cela fait partie des vicissitudes du multilatéralisme environnemental. Il est impossible d’éviter dans le cadre onusien que le cadre institutionnel ne conduise à des situations, disons paradoxales. De prime abord, organiser la COP en Azerbaïdjan ne présage pas de résultats favorables, il faut pourtant se rappeler que la précédente COP aux Émirats Arabes Unis n’avait pas eu des résultats si négatifs que ça. Elle a marqué, à défaut d’une volonté active, au moins une prise de conscience des pays exportateurs de pétrole sur l’importance et le caractère incontournable du problème. En raison du système de négociation multilatéral, en difficulté aujourd’hui, il faut accepter qu’il y ait des COP qui se déroulent dans des contextes favorables, comme la COP21 à Paris, et d’autres dans des contextes moins favorables.

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Propos recueillis par Julien Leprovost

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