Nuuk (AFP) – Avec une piste désormais capable d’accueillir les longs-courriers, l’aéroport de Nuuk, la capitale du Groenland, veut rapprocher l’île arctique du reste du monde et faire décoller le tourisme, au risque de saturer ses infrastructures dans un écosystème fragile.
A partir du 28 novembre, touristes et locaux n’auront plus à faire escale plus au nord, à Kangerlussuaq, ancienne base militaire américaine qui était le seul aéroport à pouvoir accueillir des longs-courriers et donc le point de passage obligatoire depuis et vers l’étranger.
« Dans le passé, il a été très difficile de voyager vers le Groenland et avec les nouveaux aéroports [ndlr: celui d’Ilulissat, plus au nord, ouvre en 2026], cela va complétement changer les infrastructures pour s’y rendre », explique un porte-parole de l’aéroport, Milan Lund Vraa.
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Nuuk, où réside un tiers des 57.000 habitants de ce territoire autonome danois, va devoir augmenter ses capacités d’accueil pour en profiter.
« Il y a beaucoup de touristes à Nuuk, et il va y en avoir tellement qu’il n’y aura pas assez de places pour eux « , prédit Gideon Lyberth, maire de Maniitsoq, un peu plus au nord, qui espère pouvoir profiter du surplus de visiteurs venus admirer la beauté des fjords et des paysages bruts.
Le nombre de touristes augmente déjà de 9% par an depuis plusieurs années, note M. Lund Vraa.
Un récent rapport estime que la capitale groenlandaise aura besoin de nouvelles chambres d’hôtel dès septembre 2027 si le nombre de touristes croît de 5% par an. Il faudra aussi certainement ouvrir de nouvelles tables, Nuuk ne comptant que 15 restaurants.
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Ce rythme pourrait être largement dépassé grâce aux liaisons avec le Danemark, et l’Amérique du Nord, avec un direct Nuuk-New York deux fois par semaine.
Le développement de l’aéroport « représente une opportunité énorme pour les voyageurs férus d’aventure qui souhaitent être les premiers à visiter une destination nouvelle et unique », estime la directrice de recherche de l’ATTA, la fédération des voyagistes d’aventure, Heather Kelly.
« Venise du Groenland »
A Maniitsoq, 2.500 habitants sur un rocher, on mise sur les touristes.
« On en a besoin. Dans ma ville, il y a de moins en moins de monde, les gens déménagent vers des villes plus grandes, avec plus d’emplois », explique un marin, Michael.
Dans cette « Venise du Groenland », connue pour ses maisons colorées à flanc de rocher, les opérateurs locaux se lancent timidement, souvent en couple ou en famille.
« Les dernières années, on a vu que des jeunes ont commencé à devenir opérateurs touristiques », se félicite le maire.
Un « boom » touristique, tel que le connaît l’Islande voisine depuis les années 2010, prendra du temps.
« Toute l’infrastructure doit être en place avant, et ce n’est pas quelque chose qui va se produire du jour au lendemain », juge Taatsi Fleischer, un porte-parole de l’organisation Arctic Circle, qui encourage et soutient les entrepreneurs de l’ouest groenlandais.
C’est une « étape » qui devrait faciliter le quotidien des Groenlandais, juge-t-il.
Mais que pensent-ils des touristes?
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L’attitude face aux paquebots de croisière, très polluants, est ambivalente et une nouvelle loi pourrait leur interdire certaines zones.
Les touristes que déversent ces immeubles flottants « viennent et se promènent en ville. Je ne sais pas grand-chose d’eux car ils ne parlent pas aux gens », explique Michael, un marin de Maniitsoq.
Il voit d’un oeil plus favorable les voyageurs venus en avion, qui restent sur place plus longtemps.
Paysages en disparition
Pourtant, le tourisme arctique est directement affecté par le changement climatique.
Ski, randonnées et croisières « sont directement impactées par le retrait glaciaire et les processus associés qui compliquent l’accès aux sites », prévient Emmanuel Salim, maître de conférence en géographie à l’Université de Toulouse.
« Développer une telle destination aujourd’hui nécessite de réfléchir dès maintenant à l’image et à la réalité du devenir d’un paysage post-arctique, dans lequel les reliefs enneigés, les ours polaires et les banquises – qui ont façonné l’image de ces lieux – ne sont plus », ajoute-t-il.
Les locaux alertent sur la nécessité d’un développement touristique raisonné.
« Je pense que le Groenland n’est pas prêt pour le tourisme de masse, notamment à cause des infrastructures dont nous disposons », estime Paaliit Mølgaard Rasmussen, une habitante de Nuuk.
« L’hôpital manque de personnel et les sentiers de randonnée ne sont pas entretenus », relève-t-elle.
Développer le tourisme ne marchera qu’en l’intégrant à l’économie locale, défend l’universitaire Michael Hall, spécialiste du tourisme.
« Si l’on veut développer des infrastructures touristiques, cela doit faire partie d’un développement à long-terme, de qualité pour les rendre résistantes aux changements environnementaux », dit-il.
En 2023, le tourisme a rapporté 1,9 milliard de couronnes (250 millions d’euros) au Groenland, près de 10% du PIB
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