Il y a de moins en moins d’enfants dehors, que ce soit dans les villes ou dans la nature, s’inquiète le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) dans un rapport qui interroge la société française sur l’urbanisme, la place et les libertés laissées aux plus jeunes.
Le sujet soulevé par le rapport Quelle place pour les enfants dans les espaces publics et la nature ? Éducation, santé, environnement peut sembler anodin, pourtant il soulève de nombreux enjeux sociétaux, voire anthropologiques, éducatifs, écologiques, sanitaires et citoyens. Ses auteurs écrivent d’ailleurs que le phénomène a des répercussions sur la manière d’habiter le monde : « les études montrent que le retrait des enfants des lieux extérieurs se poursuit encore aujourd’hui en faisant apparaître la figure de l’« enfant d’intérieur » ».
Les « enfants d’intérieur », symptôme d’une organisation de l’espace public à repenser
Le rapport Quelle place pour les enfants dans les espaces publics et la nature ? Éducation, santé, environnement, qui agrège tout au long de ses 250 pages de nombreuses études, a été rendu public courant octobre 2024. Il dresse le constat de l’essor d’un phénomène qui touche la France et d’autres pays : les « enfants d’intérieur ». Cette expression traduit le fait que les enfants et les adolescents passent de moins en moins de temps dans les rues des villes, dans les espaces publics comme les squares et les parcs ou bien dans la nature à s’y déplacer ou à y jouer en autonomie. Ils restent de plus en plus souvent chez eux. Concrètement, les enfants font moins de petites courses pour leurs parents, jouent moins dehors ou effectuent de moins en moins seuls leurs trajets du quotidien comme se rendre à l’école.
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Instituteur de CM2 à Paris, Gilles Vernet confirme voir de plus en plus « d’enfants d’intérieur » dans ses classes. Ils ont une « moindre santé » et « rayonnent moins ». C’est « quelque chose de grave pour la société », en plus d’impliquer « des problèmes de santé et de bien-être » peut se s’avérer « la marque d’un repli sur soi » que les écrans facilitent.
Les enfants se retrouvent moins seuls dehors. Le HCFEA relève que « tout comme le jeu libre, les déplacements autonomes des enfants deviennent de plus en plus rares en tendance. 97 % des élèves de l’élémentaire mais aussi 77 % des élèves du collège sont accompagnés pendant leur trajet école-domicile ». Les mobilités douces et actives, comme la marche ou le vélo diminuent alors que ce sont des habitudes bénéfiques tant pour la santé que pour la planète. Une demi-heure à une heure quotidienne d’exercice physique modéré, comme la marche sont préconisées Or, même si un enfant sur deux doit faire moins de 2 km pour se rendre à l’école – soit une vingtaine de minutes en marchant, 60 % des trajets des enfants pour s’y rendre sont réalisés en voiture ou en bus (dont 31,7 % pour la voiture).
Ces transformations dans la manière de vivre la ville ne datent pas d’hier puisque les rapporteurs du HCFEA soulignent que « la pratique des modes actifs de déplacement et la longueur des trajets à pied et à vélo diminue progressivement d’une génération à une autre, même si la période post-Covid – qui comprend aussi les Jeux Olympiques 2024 accueillis par Paris – est marquée par une augmentation et un renforcement de la visibilité des campagnes de promotion de l’activité physique et du sport-santé ». À la réduction de temps passé à l’extérieur pour jouer s’ajoute celle des occasions de déplacement dans les espaces publics sans l’accompagnement d’un adulte. »
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Ces transformations s’expliquent par des craintes pour la sécurité des mineurs ou encore par un urbanisme inadapté faisant la part belle à la circulation des véhicules à moteur, la réduction de la taille des trottoirs ou leur encombrement, la réduction des espaces verts ou encore la pollution de l’air. De plus, le rapport pointe un changement dans les attentes sociales du rôle des parents. Laisser les enfants jouer dans la rue expose au risque d’être perçu comme de « mauvais parents » d’autant plus que les familles font face à « l’accroissement des risques perçus avec la multiplication des automobiles, mais aussi avec le traitement médiatique des divers risques (accident, violence, pédophilie, etc.) ».
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« Les parents ne se demandent pas la probabilité, mais si l’accident ou la mauvaise rencontre survenait, ce qui est insupportable », analyse Gilles Vernet à propos des craintes des familles sur le fait de laisser dehors les enfants. Or, selon l’enseignant et père de famille, qui est aussi réalisateur de documentaires, notamment Et si on levait les yeux ? l’accès aux écrans renforce la tendance des enfants à rester chez eux. Ce que le rapport laisse aussi entendre arguant de l’augmentation constante du temps passé sur les smartphones, tablettes, téléviseurs et ordinateurs.
L’instituteur n’a pas participé au rapport mais travaille avec ses classes de CM2 sur des sujets de société : « tout ça est permis à cause d’une addiction aux écrans qui s’est développée parmi les enfants ». Il nuance son propos en précisant que la situation reflète aussi le comportement des adultes : « les enfants se plaignent de leur solitude dans la famille, d’être isolé dans la famille car tout le monde est sur son écran. » D’autant plus que les écrans permettent de garder les enfants à domicile, ce qui rassure une partie des parents. Or, selon lui, il existe un paradoxe avec d’un côté une surprotection des enfants dans le monde réel, mais une « sous-protection » de ces derniers dans leurs activités en ligne. « Ils y passent des heures » entre Roblox, Fortuite et TikTok. Ils sont susceptibles aussi d’y « faire des mauvaises rencontres ou d’être confrontés à des contenus inappropriés » sans parler des autres dangers liés à l’usage prolongé et non régulé des écrans, comme la sédentarité et les troubles de l’attention ou bien les difficultés dans les rapports avec autrui.
Une ville inadaptée aux enfants et à repenser
L’avenir risque d’être compliqué pour la place des enfants en ville. D’une part, actuellement sur 68 millions de Françaises et de Français, seulement 15 millions ont moins de 19 ans. La population vieillit et fait moins d’enfants. Ainsi, l’INSEE vient d’annoncer que le nombre des naissances en France a été en 2023 à son niveau le plus bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il y a eu 677 800 bébés en France l’an dernier, soit une baisse de 6 % par rapport à 2022 et de 20 % depuis 2010.
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D’autre part, le rapport met en avant : « une autre problématique : celle d’espaces peu adaptés aux enfants, ou au contraire trop spécialisés sur des activités ludiques très précises qui n’invitent pas au jeu libre ».
La place des enfants, un enjeu écologique et philosophique
Vouloir surprotéger les enfants est une tendance de l’époque, l’inquiétude des parents se comprend et est bien sûr légitime. Mais, selon le rapport, cette tendance devrait perdurer et même être renforcée par les crises écologies. En effet, « les comportements quotidiens des enfants et adolescents ont été affectés en profondeur par les implications à court et à long termes de ces évolutions sur les habitudes de vie. Demain, les menaces de pollution et de températures extrêmes forment un horizon où l’accès à l’extérieur apparaît à la fois entravé et anxieux. » Il n’est donc pas certain que les préconisations à transformer la ville, à la penser à hauteur d’enfant trouvent un écho dans une société vieillissante et craintive. Et ce alors même que les appels à se reconnecter avec la nature se multiplient que le Haut de la famille préconise de transformer la ville et de rendre plus accessible la nature. Or, pour ce dernier « une ville plus accueillante aux enfants, dans leur vitalité, leur diversité et leur fragilité l’est aussi pour tous » parce que, comme bien souvent, les aménagements pensés en termes d’accessibilité des plus vulnérables bénéficient au plus grand nombre. C’est aussi un moyen de refaire de la rue un espace public, de rencontres et d’échanges. « Être dehors dans un espace ouvert, public, est à la fois éducatif, citoyen et émancipateur pour les enfants », affirme le Haut conseil.
Le phénomène ne concerne pas que la jeunesse. « Il est vrai que l’on observe aujourd’hui une déconnexion physique des humains avec la nature liée en partie à l’urbanisation croissante et une augmentation de la distance entre le lieu d’habitation et un lieu naturel. A cette déconnexion physique s’associe une déconnexion culturelle », explique la chargée de recherche CNRS Gladys Barragan-Jason. Celle-ci trouve ses racines dans des visions philosophiques modernes occidentales « qui prônent une différence d’intériorité entre les humains et les autres êtres vivants, une hiérarchisation des êtres vivants avec une supériorité humaine justifiant une domination des non-humains. » Contactée par email, la scientifique qui étudie notamment le lien humain-nature et l’éducation à l’environnement donne un éclairage sur le propos du rapport du Haut Conseil pour la famille auquel elle n’a pas participé. Elle indique que ce lien avec le dehors et la nature est un « véritable levier pour atteindre les objectifs de soutenabilité et un futur souhaitable et durable » car la protection de l’environnement dépend du rapport qu’on entretient avec. Ce lien, à la fois intime et social, forme en partie durant l’enfance.
Le HCFEA abonde dans le même sens écrivant que : « avec une expérience limitée de la nature à transmettre à la génération suivante, chaque génération accepte une nature objectivement appauvrie comme étant la norme. Le déclin du contact direct, régulier et prolongé avec les espaces extérieurs et la nature a des conséquences non seulement sur la santé physique et mentale des enfants, mais aussi sur leurs sentiments et comportements concernant la nature, la biodiversité et les autres humains. »
« Plus on fera des enfants d’intérieur, plus on aura tendance à vouloir les protéger », affirme Gilles Vernet. Il ajoute que comme souvent lorsqu’on évoque les paradoxes et les injonctions contradictoires de notre époque et de notre société « les enfants ont bon dos » car les adultes ne font pas toujours ce qu’ils appellent de leurs vœux comme aller se balader dans la nature ou lire. Il prolonge sa réflexion en citant les vers du poème de Victor Hugo « Lorsque l’enfant paraît » se demandant si toutes ces questions sur la place de l’enfant dans notre monde ne témoignent pas d’une forme de tristesse de notre temps. Tout n’est peut-être pas perdu. Car, la jeunesse se façonne en allant explorer le monde, cela commence toujours en bas de chez soi. Enfin, il est étonnant de remarquer que le très sérieux rapport, Quelle place pour les enfants dans les espaces publics et la nature ? du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (une commission consultative créée en 2016 et rattachée au Premier ministre), s’ouvre pas une citation du philosophe Thierry Paquot. Elle est non-dénue de fantaisie tout en appelant à l’évasion : « les enfants sont des « chercheurs d’hors » qui doivent aller voir ailleurs s’ils s’y trouvent ! Tout enfant se met progressivement « hors » de son corps, de sa famille, de sa classe, de sa rue, de son territoire pour rendre intelligible le monde dans lequel il évolue. »
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Pour aller plus loin
Le rapport Quelle place pour les enfants dans les espaces publics et la nature ? Éducation, santé, environnement du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA)
Les infographies du rapport Quelle place pour les enfants dans les espaces publics et la nature ? Éducation, santé, environnement du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) DR
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