En Roumanie, un sanctuaire des ours confronté au retour de la chasse

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Un ourson brun au sanctuaire "Libearty" de Zarnesti en Roumanie le 16 octobre 2024 © AFP Mihai Barbu

Zarnesti (Roumanie) (AFP) – Au coeur des Carpates roumaines, le centre « Libearty » voit arriver de nouveaux oursons: depuis la récente réautorisation de la chasse, des orphelins ont été recueillis dans ce havre de paix ouvert aux rescapés du fusil ou de la captivité.

« Ils viennent de la forêt où leur mère a été tuée », précise Florin Ticusan, un imposant barbu qui gère avec son équipe 128 mammifères à Zarnesti, sur un domaine arboré de 69 hectares présenté comme le plus important au monde.

A « Libearty » – jeu de mot créé en anglais avec « liberty » et « bear », soit « liberté » et « ours », on redoute les conséquences d’une loi adoptée en urgence l’été dernier après l’attaque mortelle d’une jeune fille de 19 ans.

Même si l’espèce est protégée dans ce pays membre de l’Union européenne, la Roumanie a autorisé pour cette année 481 prélèvements, contre 220 l’année dernière et 140 auparavant. Surpopulation et hausse des incidents, justifient les autorités.

« On leur prend tout »

Absence de volonté politique, rétorque-t-on plutôt dans ce sanctuaire animalier ouvert en 2005, où l’on énumère les solutions: bacs à ordures non accessibles, installation de clôtures électriques, sensibilisation…

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Pour Cristina Lapis, présidente de l’association « Des millions d’amis » à l’origine du projet, les ours s’aventurent hors de leur habitat naturel en raison de la « déforestation » et du manque de nourriture dans un pays qui est « un gros exportateur de fruits des bois et de champignons ».

« On leur prend tout et après, on se demande pourquoi ils descendent en ville », s’indigne cette énergique « mère des ours bruns » qui croit au « vivre ensemble ».

Avec l’aide de Brigitte Bardot, l’ancienne star française de cinéma reconvertie dans la protection des animaux, elle et son mari avaient remué à l’époque ciel et terre en vue de récupérer les malheureux ours maintenus en cage pour attirer le chaland dans les stations-service, restaurants ou cirques.

Alors que le pays compte 8.000 bêtes, selon des estimations du gouvernement – la plus large population en Europe hors Russie – c’était une tradition de montrer les plantigrades, malgré les traumatismes irréversibles.

Pédagogie

Mura, Lidia, Cristi… ils avaient perdu leur instinct et il était impossible de les réintroduire dans leur milieu naturel. Certains ours ne connaissaient que le pain, d’autres maintenus en cage n’avaient jamais marché sur l’herbe.

Plusieurs tournent encore en rond près des clôtures, sans profiter de la forêt derrière eux et des plans d’eau.

Mais grâce au centre, les mentalités ont évolué et aujourd’hui, les ours chez des particuliers se comptent sur les doigts d’une main.

Le refuge accueille aussi des captifs venus des zoos de l’Ukraine voisine en guerre ou encore d’Albanie, d’Arménie et même des Etats-Unis.

Chaque matin, il est ouvert aux écoles et aux visiteurs, au nombre de 30.000 par an.

Pédagogie: ici les responsables n’ont que ce mot à la bouche. Il faut éduquer les enfants, insiste Mme Lapis. Ils apprennent par exemple qu’il ne faut pas attirer les ours en leur offrant un sandwich pour quelques photos-souvenirs.

Sur la route Transfagarasan, un itinéraire de montagne spectaculaire qui fait la fierté des Roumains, il n’est pas rare de les croiser. Ils « ont totalement changé leurs habitudes », déplorait récemment le ministre de l’Environnement Mircea Fechet.

« Mendier sur la route est devenu leur principale source de nourriture, ce qui pose un danger pour les touristes », a-t-il dit, prônant leur transfert dans des lieux comme Libearty.

 8.000 euros l’ours

Devant la reprise de la chasse – dont il est trop tôt pour mesurer l’impact, Cristina Lapis s’inquiète.

« Nous n’avons pas vocation à accueillir tous les ours » encore à l’état sauvage, explique-t-elle.

« On pourrait les réhabiliter et les renvoyer dans la forêt, mais à cause de cette récente loi, c’est contre-nature ». Sauver des ours et les remettre en liberté « pour qu’ils soient de la viande à canon à la fin? », s’interroge-t-elle.

Interdite depuis 2016, la course aux trophées a de nouveau repris avec la hausse des quotas. Elle défrayait la chronique il y a quelques années, quand les grands de ce monde, du Prince du Liechtenstein au roi d’Espagne, se payaient des parties.

Sur internet, l’AFP a trouvé des forfaits tout compris sur deux jours. Ioan Banucu, à la tête d’une agence spécialisée, raconte avoir organisé des expéditions pour des étrangers: cinq ours ont été tués depuis octobre. « Il y avait de l’excitation au début même si certains clients hésitent » pour des raisons financières, affirme-t-il à l’AFP.

Car le grand prédateur a un prix. Jusqu’à 8.000 euros, en fonction de la taille.

© AFP

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