Une étude publiée dans le magazine Science propose un outil pour prédire les zones où le risque de collision entre navires et cétacés est le plus important. L’occasion de faire le point sur ces accidents, parfois mortels et les solutions qui doivent être mises en place.
Les transports se sont développés de façon massive depuis l’ère industrielle, avec la mise en place des infrastructures afférentes, toujours de plus en plus imposantes, détruisant directement les habitats naturels par une bétonisation à grande échelle. Par air, sur rail ou sur route, tous nos modes de transport ont été la cause directe d’accidents sur le vivant, humains et non-humains inclus.
Par exemple, sur les routes, le nombre de morts a motivé la mise en place d’une politique volontariste sur la sécurité routière. Mais qu’en est-il des espèces non humaines ? Les chiffres sont tout autre : sur nos autoroutes, ce sont 37 000 chouettes effraies tuées par an, et concernant les mammifères, ce sont plus de 40 000 collisions par an. Au niveau européen, on peut parler d’une réelle hécatombe avec 220 millions d’individus non humains tués, et aux États-Unis, on estime que plus d’un million de collisions ont lieu chaque année.
En France, la SNCF indique que plus de 10 000 trains ont été impactés par des collisions en 2022, motivant la mise en place de plusieurs dispositions pour les réduire, ce qui montre une réelle considération de ce problème écologique, même si le discours visant à rejeter la responsabilité sur les non-humains est maladroit.
Que se passe-t-il en mer ?
Le nombre de collisions en mer est corrélé au développement du commerce maritime mondial qui n’a cessé d’augmenter, et de façon spectaculaire dans les 20 dernières années, avec 6 à 11 milliards de tonnes de marchandises transportées.
Malheureusement, il est difficile d’avoir des chiffres précis, notamment parce qu’il est rarement possible d’identifier ce qui a été percuté, évoquant alors des objets flottants non identifiés (OFNI).
Toutefois, des estimations sont possibles dans certaines conditions.
Tout d’abord lorsqu’il y a des blessés à bord du navire ou des dégâts matériels nécessitant réparation, car il est alors nécessaire de préciser la cause. C’est également le cas lorsqu’il y a des espèces pour lesquelles on prête davantage d’attention. C’est le cas pour les cétacés, car nous avons davantage d’informations sur leur présence que pour les autres espèces, et parce qu’il faut bien reconnaître qu’on a une empathie naturelle pour ces mammifères marins. Par ailleurs, il y a de plus en plus de témoins visuels en mer et qui n’hésitent pas à partager leurs observations sur les réseaux sociaux. Plusieurs pays ont mis en place des « réseaux échouages » qui ont pour mission de recenser les cétacés morts sur les côtes. Dans leurs constats, ils relèvent un certain nombre d’informations, et notamment les blessures constatées sur les corps et pouvant provenir de collisions. Il existe également des organismes œuvrant pour la protection des cétacés qui mènent des enquêtes et collectent des données puis rédigent des rapports sur ces collisions, comme la World Cetacean Alliance ou la Pacific Whale Foundation.
Un nouvel outil de prédiction des risques de collision
Alors au-delà d’un nombre précis de collisions, on peut déjà tenter de localiser des zones à haut risque. C’est ce qu’a fait l’écologue américaine Anna Nisi, dans une étude qui vient tout juste de paraître dans Science. Elle propose un modèle de prédiction tenant compte des positions connues de 176 000 bateaux marchands naviguant sur tous les océans qu’elle a croisées avec 435 000 positions de quatre espèces de grands cétacés : baleines bleues, rorquals communs, baleines à bosse, cachalots.
Elle fait ainsi une estimation des probabilités de collisions encourues et montre d’ailleurs que malheureusement toutes les zones à haut risque ne sont pas protégées, avec seulement 7 % pour lesquelles des mesures ont été prises pour limiter les collisions. Cette étude montre également que ces risques sont localisés dans les zones exclusives économiques (ZEE). Cela est très intéressant pour deux raisons : d’une part, il s’agit des zones proches des côtes et non en haute mer. D’autre part, ces ZEE sont sous la responsabilité directe des pays, et donc plus faciles à gérer, notamment par la mise en place de réglementations et de contrôle du trafic maritime.
Pourquoi autant de collisions ?
Les causes des collisions sont toujours les mêmes et ont été largement identifiées. Même si elles sont globales à tous les océans, ces collisions sont fonction de la densité des cétacés et de celle du trafic maritime. Par conséquent, elles sont plus importantes dans des zones présentant cette double forte densité comme dans le Saint-Laurent ou en Méditerranée. D’ailleurs, dans cette mer très fréquentée, les collisions de la marine marchande sont indiquées comme étant la première cause de mortalité pour les rorquals communs.
Je pense qu’une autre raison est due au manque de trajectoires figées sur des routes ou sur des rails. Comment anticiper des situations de risque lorsque les bateaux peuvent suivre leur route comme bon leur semble ou imposée par les conditions de mer ?
La vitesse doit également être pointée du doigt. Les porte-conteneurs avancent entre 15 et 20 nœuds, et certains ferrys à plus de 40 nœuds. Sur l’eau, ceci est très spectaculaire et m’incite à raconter ce qui est arrivé au début de ma mission à Gibraltar fin juillet 2024 : un cachalot est mort après avoir été percuté par un bateau.
Ce qui m’avait vraiment choqué, c’est que le lendemain, alors que l’événement était dans tous les médias et que chacun avait son avis à partager, aucun changement n’a été proposé, aucune décision n’a été prise : tous les tankers et les ferrys ont continué à traverser le détroit à la même vitesse, comme si de rien n’était. Il n’y a même pas eu un jour de doute, de regret ou simplement de prise de conscience sur le fait que potentiellement, avancer moins vite aurait pu éviter de tuer ce cachalot, pour lui laisser le temps de s’écarter, pour permettre au pilote de modifier sa trajectoire, ou au pire pour taper moins fort.
Des outils existent pour arrêter ces collisions
Contre ces collisions, il existe pourtant des solutions, dont certaines sont déjà mises en œuvre.
Il serait pertinent d’imposer à toutes les écoles de marine marchande des enseignements obligatoires sur la biodiversité marine, les écosystèmes, les habitats et les pressions des activités anthropiques. Il faudrait également que cette dimension soit ajoutée systématiquement dans tous les examens pour obtenir les diplômes professionnels.
Une information environnementale devrait être adossée aux plans de route, par exemple par des couleurs spécifiques sur les cartes marines. Autrement dit, lorsqu’un navire doit aller d’un port A à un port B, il serait souhaitable de renseigner, au moins, le capitaine de la présence de zones fréquentées par les cétacés, soit parce qu’ils sont résidents, soit au cours de leurs routes migratoires qui sont maintenant largement accessibles.
D’ailleurs, grâce au modèle d’Anna Nisi, il est même possible d’identifier les zones à haut risque dont le capitaine devrait avoir connaissance avant même de partir. Cette information serait déjà une avancée tellement importante car elle permettrait d’augmenter le degré de vigilance pendant la traversée, de réduire sa vitesse comme le propose le programme Blue Speed, ou mieux, de choisir une route alternative. D’ailleurs, cela fait d’ailleurs penser à l’obligation de contourner les Zones de Protection de la Biodiversité définies et mises en place cette année pour le Vendée Globe.
Pour finir, il faut recourir à l’ingénierie marine. Il existe actuellement trois solutions :
- les sonars directifs vers l’avant du bateau ;
- des caméras en haut des mâts qui scrutent ce qu’il y a devant la proue ;
- le recours à des pingers, klaxons censés faire peur aux cétacés pour qu’ils s’écartent, d’eux-mêmes, des navires.
Ces outils sont louables, mais avec deux réserves : tout d’abord, il faudrait que ces entreprises qui travaillent déjà avec des professionnels de la mer, collaborent aussi avec des biologistes, des éthologues et des écologues, quitte à signer des accords de confidentialité. Ensuite, il faut se poser la question de l’efficacité de ces outils en conditions réelles de mer. Car s’il n’y a aucun test de fait, aucun retour communiqué, aucun bilan partagé, comment penser à des ajustements et des améliorations pour les versions futures ? Ces technologies doivent être développées avec une forte considération de la pluridisciplinarité, afin d’avancer vite et bien.
Aussi, espérons qu’à la Conférence des Nations-Unies sur les Océans qui se tiendra à Nice en juin 2025, ce sujet soit abordé et que des régulations pour minimiser ces collisions soient actées par l’ensemble des délégations internationales.
Les cétacés sont menacés par des collisions dues au trafic maritime, pourtant des solutions existent, un article d’, expert en bioacoustique.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’original.
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