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Le chercheur à l’IRD Oumarou Malam Issa à propos de la COP16 sur la désertification : « un changement de regard sur la problématique de la dégradation des sols »

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Massif de l'Aïr - Arlit : ville - Niger © Yann Arthus-Bertrand

La COP16 sur la désertification se déroule à Ryad (Arabie Saoudite) jusqu’au 13 décembre. Lors du sommet de la Terre de Rio de 1992, en plus du climat et de la biodiversité, les pays du monde entier ont signé une convention de lutte contre la désertification. L’enjeu est crucial tant pour faire face aux sécheresses que pour assurer la sécurité alimentaire. Présent à la COP16, Oumarou Malam Issa est directeur de recherche à l’IRD (Institut de recherche sur le développement), enseignant à l’université de Reims. Il participe aussi au projet de Grande Muraille Verte dans 11 pays du Sahel et du Sahara. Ses travaux portent sur la dégradation et la restauration des terres. Dans cet entretien avec GoodPlanet Mag ‘, Oumarou Malam Issa revient sur les enjeux de la COP16 sur la désertification.

Oumarou Malam Issa
Oumarou Malam Issa POTO DR

Selon les chiffres, entre 40 % et 75 % des terres émergées sont touchées par le phénomène de la désertification. Pourquoi est-ce important de s’en préoccuper ?

La désertification se définit comme la dégradation des terres dans les zones sèches et arides. Au niveau mondial, les zones arides représentent 40 % des terres émergées. Or, ce sont aussi des terres productives. C’est pourquoi, le sujet de la désertification est important tant d’un point vue économique que social et environnemental.  Plus d’un milliard de personnes vivent dans les régions sèches, leur subsistance dépend en grande partie de la productivité des sols.

« Plus d’un milliard de personnes vivent dans les régions sèches »

En effet, la moitié du pastoralisme mondial est pratiquée dans ces régions arides. Donc, si les terres sont dégradées cela affecte l’élevage, la production alimentaire, l’économie. Cela peut être un facteur de migration.

Enfin, préserver les terres permet d’atténuer les effets du changement climatique. La dégradation des terres a un impact sur le changement climatique, puisque les sols et les végétaux participent au stockage et à la s séquestration du carbone.

« Préserver les terres permet d’atténuer les effets du changement climatique. »

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Qu’est-ce qui explique que la désertification, qu’on pourrait croire avant tout d’ordre local, fasse l’objet de discussions et de négociations internationales ?

Aujourd’hui, le phénomène n’est pas forcément un sujet local car il concerne beaucoup de territoires. Les terres arides sont réparties sur 40 % de la surface émergée de la planète.  De plus, la dégradation des terres doit être comprise en lien avec les sécheresses. Par exemple, des pays africains autrefois réputés pour être humides, comme le Kenya ou la Tanzanie, font aujourd’hui face à ce problème, que la crise climatique accentue et va exacerber avec l’augmentation des événements climatiques extrêmes.

« La désertification est restée pendant longtemps un sujet méconnu »

Certes, la désertification est restée pendant longtemps un sujet méconnu. Comme elle peut affecter des pans entiers de l’économie, elle devient progressivement un sujet global en raison des liens qu’elle a avec la biodiversité et le climat. Elle implique de nombreux défis qui en font un sujet important au niveau mondial. Les discussions de la COP16 à Ryad tentent de les adresser.

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Avec la crise climatique et les sècheresses à répétition, les COP de la Convention sur la désertification semblent susciter plus d’intérêt, est-ce le cas ?

C’est effectivement le cas. Une des particularités de la COP16 de cette année à Ryad est que le sujet de la sécurité alimentaire est abordé. C’est une nouveauté par rapport aux précédentes COP qui considéraient le sujet de la désertification comme un phénomène isolé.

Aujourd’hui, fort du lien avec la biodiversité et le climat, depuis la COP15 en Côte d’Ivoire, on parle de convergence entre les 3 conventions que les Nations Unies ont signés en 1992 à Rio. Depuis, beaucoup de chemin a été parcouru. 

« Une des particularités de la COP16 est que le sujet de la sécurité alimentaire est abordé »

Justement, quel bilan est-il possible de tirer de 30 années de discussions et de COP sur la désertification ?

Le premier bilan à tirer est celui d’un changement de regard sur la problématique de la dégradation des sols. Au départ, les COP de la convention sur la désertification étaient vues comme les COP des pauvres et des pays africains. Maintenant, de plus en plus de pays s’y intéressent. Ils ont compris que la désertification est un phénomène global. Durant la COP16 la France va faire une déclaration pour se dire concernée par le sujet.

« Les COP de la convention sur la désertification étaient vues comme les COP des pauvres et des pays africains »

On a aussi beaucoup évolué sur les réponses à apporter au défi de la restauration des terres. Il n’est plus vu uniquement comme un enjeu local comme le montrent des projets transnationaux comme la Grande Muraille Verte. Il y aussi des déclarations et des appels à la neutralité en matière de dégradation des terres au niveau mondial.

Même si de nombreux pays ont pris la mesure du sujet, un des enjeux de cette COP16 est d’y intéresser le secteur privé, notamment sur la question des financements pour la réhabilitation des terres.

Après 3 séries de négociations (climat, biodiversité et plastiques) internationales assez peu fructueuses pour l’environnement en cette fin d’année 2024, la COP16 sur la désertification peut-elle envoyer un signal positif sur la gouvernance mondiale des enjeux écologiques ?

Il y a effectivement en Arabie Saoudite des échos des déceptions qu’ont été la COP16 sur la biodiversité et la COP29 sur le climat. J’ai néanmoins l’impression qu’un sujet fait l’unanimité chez les participants aux discussions sur la désertification : celui de la sécheresse. Il concerne de nombreux pays même si la question des financements sur ce sujet demeure. Ce qui devrait permettre de trouver un consensus. Les organisateurs saoudiens semblent disposés à porter une résolution sur la question de la prise en charge de la sécheresse. Il est encore trop tôt pour en être sûr, mais il peut y avoir des avancées dans le cadre de cette COP16 sur la sécheresse et sur la participation du secteur privé à la restauration des terres.

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Quels sont d’ailleurs les enjeux de la COP16 de la Convention des nations unies sur la lutte contre la désertification ?

La manière de réhabiliter les 1,5 milliards d’hectares de terres dégradées est un des grands enjeux de cette COP. Comment financer cette restauration ? Comment convaincre le secteur privé de financer la restauration ? Et avant cela, comment éviter d’investir dans des projets qui participent à la dégradation des sols ? Ce sont autant de questions à laquelle les négociateurs tentent de répondre.

« Réhabiliter les 1,5 milliards d’hectares de terres dégradées est un des grands enjeux de cette COP. »

Depuis un demi-siècle, la désertification concerne aussi l’Europe. On parle de 10 % du territoire européen touché, de 74 % du territoire ibérique concerné par le phénomène et de 12 % pour la France. Quelle est la situation actuelle en France ?

En France, jusque-là, la question de dégradation des terres en lien avec l’aridité n’était pas forcément perçue ou abordée. Lors de cette COP, la France pourrait se déclarer comme un pays touché par le phénomène. Il concerne la partie sud du pays située en zone méditerranéenne. Le désert ne s’arrête pas aux portes des Pyrénées, il ne connait pas les frontières.  L’Espagne s’est déjà déclarée concernée par la désertification.

« Le désert ne s’arrête pas aux portes des Pyrénées, il ne connait pas les frontières. »

Qu’est-il possible de faire afin de préserver les sols et de limiter la désertification ?

La première action est évidement de limiter la dégradation des sols. La deuxième action est de parvenir à accroitre l’infiltration de l’eau dans le sol. Des techniques employées dans la Grande Muraille Verte ont fait leurs preuves dans ce domaine, notamment en misant sur des techniques traditionnelles ou des plantes qui favorisent l’absorption de l’eau.

« La régénération naturelle assistée qui consiste à aider les végétaux à se maintenir, »

Il y a aussi ce qu’on appelle la régénération naturelle assistée qui consiste à aider les végétaux à se maintenir, plutôt que des les couper, on les entretient, on les élague. En augmentant le couvert végétal, on prévient et limite l’érosion du sol. Il est également envisageable de mettre en œuvre la re végétalisation et les pratiques agroécologiques pour, d’une part, limiter la dégradation des sols, d’autre part favoriser leur régénération des capacités de production des sols.

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Cela passe par une meilleure gestion des sols et de l’eau. Elle implique de limiter la surexploitation et l’artificialisation des sols.

Avez-vous un dernier mot ?

De par ma casquette de scientifique, je voudrais rajouter qu’il faut prendre en compte les résultats des recherches qui montrent que, sur les terres et le climat, nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire. Si rien n’est fait en termes de limitation de la dégradation des terres et de financements, la situation va empirer. La science propose des méthodes et des solutions pour agir en prévenant la dégradation des terres ou en aidant à leur restauration. À l’image de ce que j’observe avec la Grande Muraille Verte, ce sont des approches complexes car elles impliquent de nombreux acteurs. Mais, la bonne nouvelle est que les solutions sont disponibles et demandent à être déployées pour relever le défi qui est mondial.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Grande muraille verte : où en est-on ? | sur le site Web IRD

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Un commentaire

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    • François

    Tout cela transpire les bons sentiments Des sommes considérables ont été dépensées pour compenser et bloquer la sécheresse Je pense à la ceinture verte Quelles actions locales concrètes? Quels résultats ? Quel budget dépensé ? Quels acteurs au ras du sol? Des entreprises mandatées par des ONG ou des administrations locales. Bref quoi de concret? Les mots ne suffisent pas