Arrêté au Groenland depuis le 21 juillet 2024, le militant écologiste Paul Watson attend en prison de savoir s’il sera extradé ou non vers le Japon. Une décision du ministre danois de la Justice est attendue courant décembre. Jean Tamelet est l’avocat français de Paul Watson. Dans cet entretien avec GoodPlanet Mag’, il donne des nouvelles du défenseur des baleines et du dossier. Avocat au cabinet King & Spalding, Jean Tamelet est responsable du collectif de défense de Paul Watson.
Tout d’abord, comment va Paul Watson avec qui vous avez été récemment en contact ?
Paul Watson offre toujours le visage rassurant d’un patriarche qui nous réconforte par sa force et par son engagement. Il est trop humble pour montrer quand il ne va pas bien. Ce qui compte pour lui, ce sont les océans. Sa personne, en termes de considération, il l’a effacée il y a plusieurs décennies. Il est donc difficile de s’en rendre compte.
« Il est trop humble pour montrer quand il ne va pas bien »
Néanmoins, quand on le connaît un peu, on voit qu’il est très touché par la situation. Il a cette souffrance d’être humain à qui ses enfants et sa femme manquent énormément. Il souffre principalement d’être éloigné de sa famille, de son combat et des océans.
En même temps, il tire parti du paradoxe qu’on n’a jamais autant parlé, du moins depuis longtemps, du « whaling », c’est-à-dire de la chasse à la baleine. Paul essaye donc de trouver un aspect positif à son incarcération. C’est complètement lui.
« On n’a jamais autant parlé, du moins depuis longtemps, du « whaling », c’est-à-dire de la chasse à la baleine. »
Dans quel état d’esprit est-il alors qu’une nouvelle décision sur sa détention est attendue ?
Il y a effectivement une décision imminente qui peut être prise à tout moment, cette semaine ou en début de semaine prochaine. À notre avis, le ministre de la Justice du Danemark a déjà une idée assez claire de la décision qu’il va prendre sur l’extradition ou non de Paul Watson vers le Japon. Paul est suspendu à cette décision dont il sait que, le cas échéant, elle peut se montrer très injuste, comme l’est son incarcération et les décisions successives de son maintien en détention.
« Des décisions bidon et une procédure abusive. »
Tout ceci repose sur des décisions bidon et une procédure abusive. Aujourd’hui, on peut dire que Paul Watson est un prisonnier politique du Danemark.
Où en est le dosser au Danemark ?
Le dossier est ridiculement simple. Paul Watson a été arrêté par la police danoise au Groenland, qui est une colonie danoise. Quand les autorités danoises de Copenhague ont appris que le navire de Paul Watson allait y refaire le plein et lancer une campagne contre les baleiniers japonais, elles ont dépêché des policiers danois sur place. Ils ont alors immédiatement arrêté Paul en exécution d’un très vieux mandat d’arrêt japonais. Ce dernier remonte à des faits datant du début 2010, soit plus de 14 ans. À l’époque les autorités d’autres pays, dont la France et les États-Unis, avaient estimé que ce mandat d’arrêt ne justifiait pas une arrestation de Paul Watson.
« Ce mandat d’arrêt ne justifiait pas une arrestation de Paul Watson »
Le Danemark a, pour sa part, décidé de l’arrêter et de réfléchir sérieusement à son extradition vers le Japon pour des faits qui sont faux. Même s’ils étaient vrais, ils sont trop ridicules pour justifier l’arrestation de qui que ce soit.
Aujourd’hui, on attend donc la décision du ministère danois de la justice sur l’extradition…
On attend aujourd’hui la décision, qui est susceptible de recours, du ministre de la Justice, qui est l’autorité, d’extrader ou de ne pas extrader Paul Watson vers le Japon. Deux faits sont reprochés à Paul Watson : avoir laissé quelqu’un lancer une boule puante sur le pont d’un bateau japonais et d’avoir laissé cette même personne monter sur un navire baleinier japonais afin de présenter une facture à son capitaine. C’était la facture du bateau qui avait été pulvérisé quelques jours plus tôt par le navire japonais en question.
Le bateau détruit, c’était l’Ady Gil ?
Oui, c’était exactement ce navire-là qui était la propriété de Pete Bethune. Nous avons des vidéos sur ce qui s’est passé. Le Japon sait que nous sommes très documentés. Ainsi, nous avons la vidéo de la discussion durant laquelle Pete Bethune indique à Paul Watson avoir pris la décision d’aller présenter la facture au capitaine japonais qui a volontairement détruit son trimaran mettant en péril la vie de 7 personnes. Paul Watson, loin de lui donner un ordre de faire quoi que ce soit, lui dit écoute, s’il te semble que c’est la chose que dois faire, alors fais-le. À ce moment-là, je le rappelle, Pete Bethune n’est pas membre de Sea Shepherd. Il est indépendant et seulement sympathisant de Sea Shepherd. Qui était Paul Watson pour interdire à cet individu de faire ce qu’il avait décidé de faire ?
[À (re)voir L’Ady Gil percuté par le Shonan Maru No. 2]
L’autre fait reproché à Paul Watson est aussi documenté en vidéo. C’est la fameuse boule puante. On voit très bien sur les images qu’elle est lancée sur un point dégagé, où personne n’est présent. En revanche, on voit, que quelques minutes auparavant, des membres de l’équipage japonais s’envoient du gaz lacrymogène dans le visage par accident. Ils visaient un navire de Sea Shepherd mais le vent leur renvoie le gaz à la figure. Si quelqu’un a éventuellement été blessé par du gaz, c’est par du gaz qu’ils ont eux-mêmes lancé.
« Complicité de lancement de boule puante »
Tous ces faits sont documentés en vidéo. Ce qui veut dire que les accusations sont fausses. Et, si, pour les besoins de la démonstration, elles étaient vraies, elles n’auraient jamais justifié l’arrestation, plusieurs mois de prison et un risque d’extradition de qui que ce soit. Imaginez, complicité de lancement de boule puante et complicité de présentation d’une facture pour un navire brisé. C’est de ça dont on parle et pour lequel le Japon veut mettre Paul Watson en prison pour 15 ans minimum. Or, on sait très bien en droit japonais que lorsque vous êtes soupçonné de quelque chose vous êtes condamné dans 97 % des cas.
« En droit japonais que lorsque vous êtes soupçonné de quelque chose vous êtes condamné dans 97 % des cas. »
On espère que le Danemark va se ressaisir et comprendre qu’il n’est pas possible d’envisager d’extrader Paul vers le Japon.
Qu’en est-il de la demande de Paul Watson afin d’obtenir la nationalité française ?
Paul Watson a effectivement fait une démarche pour obtenir la nationalité française. Elle a été accueillie avec beaucoup de bienveillance par le Président de la République Emmanuel Macron. Plusieurs ministres du gouvernement démissionnaire ont exprimé publiquement leur soutien. Le Conseil d’État, qui serait susceptible de l’accorder, y serait favorable.
Mais, nous savons également qu’il y a des pressions diplomatiques de la part du Japon. Le pays menace littéralement de s’en prendre aux accords commerciaux qu’il a avec la France en cas d’octroi de cette nationalité française. Je soupçonne d’ailleurs que c’est à cause de ces pressions diplomatiques du Japon que la nationalité ne lui a toujours pas été accordée. Donc, pour le moment Paul Watson est toujours un ressortissant américain.
« Un citoyen américain qui se retrouve prisonnier politique d’un pays de l’Union européenne à la demande du Japon »
Les autorités américaines regardent de près la situation qui les préoccupe. Ils ont un citoyen américain qui se retrouve prisonnier politique d’un pays de l’Union européenne à la demande du Japon. Ce qui constitue une situation assez incongrue puisqu’il est sous protection du consulat des États-Unis.
D’ailleurs quel est le soutien de la part des autorités françaises ?
On peut imaginer qu’il y a des discussions à un très haut-niveau avec un soutien concret des autorités françaises et des États-Unis d’Amérique. Maintenant, le Danemark va devoir faire un choix entre ses relations commerciales très importantes avec le Japon et se fâcher avec les Etats-Unis et le reste de l’Europe.
Qu’est-ce qui est en jeu ?
Nous savons que le Danemark a plusieurs contrats importants avec le Japon, dont un d’au moins 20 ans pour un parc éolien gigantesque et des accords avec des entreprises semi-publiques danoises dans le domaine du médicament. Le Danemark est donc dans une situation ambiguë. D’expérience, nous savons que dans les cas d’extradition le Japon a coutume de faire pression sur les contrats commerciaux.
« Paul Watson est avant tout un homme qui a humilié publiquement le Japon dans les années 2010 avec la diffusion du film Whale Wars »
Je pense que le calcul devrait aller vers le risque de blesser un peu les Japonais et de garder de bonnes relations avec les États-Unis et la France. Je pense que ce serait un meilleur calcul diplomatique. Je ne suis pas diplomate, mais je suis avocat. Je pense que l’intérêt danois est de soigner ses relations avec l’Europe et les États-Unis plutôt qu’avec le Japon.
Selon vous, est-ce que le cas Paul Watson reflète une volonté plus marquée des gouvernements de criminaliser le militantisme écologique ?
Oui et non à la fois, tel est mon avis sincère. Je crois réellement que le cas spécifique de Paul Watson est très différent des autres cas de criminalisation du militantisme écologique. Parce que Paul Watson est avant tout un homme qui a humilié publiquement le Japon dans les années 2010 avec la diffusion du film Whale Wars. Il a utilisé la caméra comme une arme pour montrer le massacre des baleines. De la même manière qu’il l’utilise pour témoigner du massacre des dauphins aux iles Féroé qui sont, il faut le rappeler, également une colonie danoise. Dans les années 1970, il avait aussi grâce à des images rendues publiques le massacre des bébés phoques.
Paul Watson se situe un peu à part dans sa démarche et son action. Dans cette histoire, le Japon a demandé au Danemark le sacrifice de Paul Watson comme une sorte de cadeau commercial le cadre de leurs discussions commerciales. C’est une évidence grossière qui se voit comme le nez au milieu du visage.
« Le Japon a demandé au Danemark le sacrifice de Paul Watson comme une sorte de cadeau commercial »
Est-ce qu’il y a par ailleurs une criminalisation croissante des activités militantes ? Oui, c’est possible, mais il y a également une radicalisation des activités militantes. Elles peuvent parfois tomber sous le coup de la loi, il ne faut pas l’oublier. Jeter de la soupe sur un tableau dans un musée est une dégradation d’une œuvre d’art, ou une tentative symbolique. Elle peut être symboliquement grave. Monter sur le dos d’une baleine pour s’interposer entre harpon et elle, c’est autre chose. Paul Watson est quand même un peu différent des autres militants. Il y a une forme de courage qu’on retrouve dans les mouvements qu’il a créés et chez les personnes qui les suivent. Cet activisme n’a jamais blessé d’être humain ni dégradé des biens publics ou artistiques.
En revanche, il y a toujours des images spectaculaires : la première étant celle où on voit Paul Watson sur le dos d’une baleine. Son approche du monde nous interpelle. Quand il assène que si l’océan meurt nous mourrons, il affirme une vérité scientifique afin de nous rappeler que nous sommes en plein suicide écologique. L’humanité se met elle-même en péril avec une dynamique encore plus grave que le cumul de toutes les guerres mondiales. C’est une approche concrète et pragmatique. En essayant de sauver les baleines et les océans, il tente de sauver l’humanité.
« En essayant de sauver les baleines et les océans, il tente de sauver l’humanité. »
Avez-vous un dernier mot ?
Nous sommes dans l’attente d’une décision historique qui doit être prise par le ministre de la Justice du Danemark. Son nom sera gravé à jamais dans les livres d’histoire soit comme étant celui qui aura, de façon injuste et inexplicable, envoyé Paul Watson à la mort, soit comme celui ayant pris la décision juste et équilibrée de le libérer.
Ce dossier, comme d’autres avant lui, donne un éclairage sur le problème que la justice japonaise pose. Le Japon est un pays moderne, avec une magnifique culture et une belle réussite économique, sa justice reste pourtant médiévale. Même si nous n’avons pas de leçons à donner, il faut que le Japon la réforme. Juges, avocats, juristes et citoyens sont nombreux à le demander. De plus en plus de Japonais militent pour que le système judiciaire soit moins mafieux et nettoyé de l’influence des yakuzas et de riches grandes familles. Ce système doit devenir plus équilibré en termes de droits, de règles et de procédures en ce qui concerne les droits de la défense. Aujourd’hui encore, le Japon n’a que faire des procès équitables et des droits de la défense, c’est aussi pour cela que Paul Watson ne doit pas être extradé vers ce pays. Pour lui, il n’y a pas de défense possible là-bas.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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Pour aller plus loin
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2 commentaires
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Laure Joseph
Merci, article très éclairant. #freepaulwatson
Bremond jacqueline
Svp tenez-nous au courant de ce qui peut être fait pour aider Paul Watson!