Le pari fou du collectif Plastic Odyssey : nettoyer l’île la plus polluée au monde

Dépollution île Henderson Plastic Odyssey

©Olivier Löser/Plastic-Odyssey

En février 2024, les équipes du collectif international Plastic Odyssey se sont lancées un défi hors normes : nettoyer l’île Henderson. Située en Polynésie du Sud, cette île de l’archipel Pitcairn est réputée pour être la plus polluée au monde. Pour la nettoyer, Plastic Odyssey a testé des méthodes novatrices qui ont fait leurs preuves. Le documentaire « Plastic Odyssey, Mission Pacifique » relate cette aventure et sera diffusé le mois prochain.

Un sanctuaire de biodiversité devenu décharge

Perdue dans l’océan Pacifique, l’île Henderson a des airs paradisiaques, avec son eau bleue translucide et ses plages de sable fin. Pourtant, elle est polluée par 30 millions de morceaux de plastique, soit 8 tonnes de déchets déversés sur ses plages. Selon un rapport publié en 2015, elle obtient donc le triste record de « la plus forte densité de déchets plastiques jamais enregistrée dans le monde ». Simon Bernard, co-fondateur de Plastic Odyssey, explique ce phénomène par la position géographique de l’île de 38 km2, qui se situe dans « un des vortex de courant qui transporte du plastique et l’échoue sur la plage ».

Cette pollution nuit gravement à la biodiversité « unique au monde » de l’île Henderson, qui lui vaut d’être classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, rappelle-t-il. On y compte « des dizaines d’espèces d’oiseaux, dont 4 sont endémiques ».

Oiseaux île Henderson
Des oiseaux de l’île Henderson ©Olivier Löser/Plastic-Odyssey

Fleurs de plastique

En arrivant sur l’île, l’équipe a été surprise par les déchets présents sur la plage. Plus que des sacs ou bouteilles plastique, « on a surtout trouvé beaucoup de déchets de la pêche », confie Simon Bernard. « Trois tonnes de filets, soit le tiers du plastique de l’île, un tiers de bouées de pêche, puis un tiers de fragments de plastiques rigides, qui probablement sont des bidons utilisés sur les bateaux ».

Plastic Odyssey
Deux membres de Plastic Odyssey ramassent des déchets plastique ©Olivier Löser/Plastic-Odyssey

Autre découverte surprenante : des sortes de « fleurs en plastique » que l’équipe a eu du mal à identifier tout de suite, se souvient le co-fondateur de Plastic Odyssey. Finalement, « on s’est rendu compte que c’étaient les nœuds des sacs poubelle », qui se dégradent bien plus lentement que le reste des sacs plastiques.

La dépollution, un défi technique

Toutefois, l’île Henderson est particulièrement difficile à dépolluer. L’accès à la plage est barré par des rochers et des coraux, dont la fragilité interdit le passage de bateaux. Ainsi, en 2019, une expédition qui avait collecté plus de 6 tonnes de déchets a été contrainte de les abandonner sur la plage. Cinq ans et demi après cette tentative infructueuse, Plastic Odyssey a donc décidé de s’atteler à la tâche.

Déchets île Henderson
L’île Henderson a la plus forte densité de pollution plastique au monde ©Olivier Löser/Plastic-Odyssey

Pour le collectif qui se dédie à la dépollution des mers, l’île Henderson est presque une aubaine. Elle « agit comme un filet naturel pour capter le plastique de l’océan », assure Simon Bernard. « Le plastique sur ces côtes est 200 à 400 fois plus concentré que dans le 7e continent de plastique ». Pour nettoyer les océans, il est donc plus intéressant de dépolluer les côtes que de repêcher directement le plastique en mer.

Parachutes et guirlandes de bouées

Pour nettoyer l’île sans abîmer ses coraux, Plastic Odyssey a mis au point des techniques novatrices. « On a réfléchi à des alternatives au bateau », explique Simon Bernard. Pour dépolluer l’île, le collectif a donc décidé… de faire voler les déchets. « On a récupéré un parachute ascensionnel qu’on a tracté à partir d’une vieille moto, transformée en truck, sur le bateau. Cela nous a permis d’enrouler un câble, de tirer le parachute et de faire voler les déchets », relate Simon Bernard.

Parachutes Plastic Odyssey
Plastic Odyssey a eu recours à des parachutes pour faire voler les déchets au-dessus des coraux ©Olivier Löser/Plastic-Odyssey

Une autre technique a également été très utile au nettoyage. Pour évacuer les nombreuses bouées de pêche, l’équipe les a « attachées les unes aux autres » à la manière d’une guirlande. Une idée simple, mais qui n’avait jamais été mise en œuvre auparavant : « cela nous a quand même permis d’évacuer trois tonnes de bouées de pêche », souligne Simon Bernard.

Guirlandes bouées
Plastic Odyssey a assemblé les bouées de pêche en guirlande pour dépolluer l’île ©Olivier Löser/Plastic-Odyssey

Une entreprise technique et difficile

Malgré toutes ces techniques, le nettoyage de la plage était loin d’être facile. « Le défi était la taille de la plage, longue de 2 kilomètres », explique Simon Bernard. L’équipe a regroupé tous les déchets éparpillés en son centre. A l’ampleur de la tâche s’est également ajouté un facteur climatique. « On n’était pas beaucoup et il faisait très chaud. Dès 8h du matin, il devenait compliqué de travailler. » Ravitailler l’équipe de 25 personnes, comptant également un médecin, des journalistes et des scientifiques, a aussi été un défi technique sur l’île inhabitée.

Un message positif contre la pollution plastique

Malgré ce travail très « physique », l’équipe de Plastic Odyssey a accompli l’exploit de dépolluer l’île Henderson en seulement une semaine. Pour Simon Bernard, c’est la démonstration qu’ « on peut avoir un impact rapide avec peu de moyens. » Sur l’île Henderson, 3 des 10 tonnes ramassées « s’étaient échouées dans les 5 dernières années », analyse-t-il. Mais en revenant sur l’île « une semaine tous les 10 ans, on arriverait à limiter les dégâts de manière conséquente ».

Toutefois, la véritable lutte contre le plastique a lieu « dans l’usage du plastique ». Elle passe donc par l’éducation et la sensibilisation des consommateurs. Pour cette raison, Plastic Odyssey mène également des ateliers pour enfants, et projette le documentaire de l’expédition. « 1 000 ou 1 500 enfants ont déjà vu le film », raconte Simon Bernard. « Ils sont tous ressortis avec des étoiles dans les yeux, en voulant les ramasser du plastique, ou en voulant sensibiliser les parents à ne pas en acheter ». La lutte anti-pollution de Plastic Odyssey s’étend donc bien au-delà des océans : le documentaire est à découvrir en février à la télévision.

Audrey Bonn

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Pour aller plus loin:

« Plastic Odyssey, Mission Pacifique » – Bande-annonce 

Le réseau mondial au service de l’urgence plastique | Plastic Odyssey

Escale sur l’île Henderson | Plastic Odyssey

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