Lointains ancêtres de l’être humain moderne, les australopithèques ne consommaient quasiment pas de viande, selon une étude publiée en janvier 2025 dans la revue scientifique Science. Les chercheurs du Max Planck Institute for Chemistry et de l’université de Witwatersrand à Johannesburg sont parvenus à cette conclusion grâce à l’analyse de dents provenant de fossiles d’australopithèques, ayant vécu il y a 3,5 millions d’années dans la grotte de Sterkfontein en Afrique du Sud. Leur découverte questionne l’hypothèse selon laquelle la consommation de viande a été un facteur d’évolution. En effet, il existe peu de connaissances sur le moment et les causes qui ont poussés les ancêtres de l’Homme à modifier leur régime alimentaire pour y intégrer des éléments carnés.
Un régime majoritairement végétarien chez l’australopithèque
Les habitants de la grotte de Sterkfontein, aussi appelée « berceau de l’humanité », « avaient un régime alimentaire très similaire à celui des herbivores de leur époque, mais différent de celui des carnivores. Par conséquent, la consommation de viande chez ces n’a pas ouvert la voie à des traits associés à l’humain, comme un plus gros cerveau », est-il écrit dans la revue Science.
Les chercheurs ont étudié 7 fossiles d’australopithèques ainsi que d’animaux herbivores et prédateurs carnivores vivant dans leur environnement à la même période. « L’étude est une première. Jusqu’alors, on ne savait pas identifier le niveau trophique des individus, c’est-à-dire s’ils étaient végétariens, omnivores ou carnivores », explique Sandrine Prat, paléoanthropologue au Musée de l’Homme et directrice de recherche CNRS. La scientifique française, qui n’a pas pris part à l’étude publiée dans Science, explique : « les auteurs de l’étude ont développé une nouvelle méthode basée sur les isotopes de l’azote pour savoir si l’Australopithecus africanus avait ou non une part importante d’aliments carnés dans son régime alimentaire ». Elle rappelle également que Lucy, découverte en 1974 en Éthiopie (Afrique de l’Est), était aussi un australopithèque, mais appartenait à une autre espèce. C’est d’ailleurs potentiellement dans le groupe des australopithèques que se trouve l’ancêtre du genre Homo.
Les auteurs de l’étude ont ainsi découvert que les australopithèques sud-africains se nourrissaient principalement de végétaux. Ils mangeaient très peu ou pas du tout de viande contrairement à ce que fera l’homme de Neandertal quelques millions d’années plus tard. Néanmoins, les scientifiques n’excluent pas totalement la possibilité que cet australopithèque ait pu compléter son régime majoritairement végétarien en consommant des protéines animales, en mangeant des œufs ou des termites par exemple.
Une alimentation flexible pour s’adapter à des milieux et conditions divers
L’essor de la chasse est concomitant de la domestication du feu. En plus d’être des cueilleurs, nos ancêtres ont longtemps été des charognards avant de devenir eux-mêmes de redoutables prédateurs. « La chasse organisée est très récente dans l’évolution de l’espèce humaine, elle apparait il y a 700 000 ans. Avant cela, la recherche de viande s’apparentait davantage à du charognage. La découverte de traces de découpes sur des os datant d’il y a 3,4 millions d’années en Afrique de l’Est laissant à penser à l’utilisation éventuelle d’outils par les Australopithecus afarensis pour rechercher un repas carné », contextualise Sandrine Prat du Musée de l’Homme. En évolution, une hypothèse souvent avancée est de lier le développement de la taille du cerveau à la consommation de viande. Le cerveau des australopithèques faisait entre 400 et 550 cm3 tandis que celui d’Homo fait entre 1200 et 1600 cm3. Le cerveau consomme 20 % des calories que nous dépensons. Sandrine Prat estime que la méthode utilisée par les chercheurs sud-africains pourrait servir à vérifier l’existence d’un signal liant régime carné et évolution de la taille du cerveau en utilisant la même méthodologie avec d’autres de nos ancêtres.
L’étude a permis de confirmer une diversité dans le régime alimentaire des australopithèques : fruits, feuilles d’arbres, plantes, œufs, termites. « La flexibilité alimentaire est un atout d’un point de vue évolutif puisqu’elle permet de survivre dans des environnements changeants et variés », analyse Sandrine Prat.
Regarder dans le passé lointain pour questionner notre rapport à l’environnement
Cette étude donne une perspective sur la place de la viande dans l’alimentation humaine. Sa récurrence augmente avec l’émergence du genre Homo, ce qui se manifeste par les traces de découpe retrouvées sur les fossiles préhistoriques. « La consommation de viande était occasionnelle et n’a rien à voir avec la consommation quotidienne dans nos sociétés actuelles », résume la paléoanthropologue Sandrine Prat. « Il est intéressant de noter qu’ils avaient un apport énergétique suffisant qu’ils trouvaient dans d’autres ressources que la viande. »
Au XXIe siècle, la viande provient quasi-exclusivement de l’élevage et son impact environnemental (émission de gaz à effet de serre, déforestation, impact sur la ressource en eau…) invite à revoir sa place dans le régime alimentaire humain, notamment des viandes bovines. L’élevage est ainsi responsable de 12 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. En France, on consomme aux alentours de 83 Kg de viande par habitant par an, même si ce chiffre tend à diminuer dans le temps. De plus en plus de recommandations, tant pour la santé que pour la planète préconisent de diminuer la part des protéines animales carnées dans l’alimentation. Sandrine Prat affirme que « l’étude des périodes anciennes montre qu’on arrivait à cohabiter avec notre environnement sans avoir d’impacts sur ce dernier. À notre époque, il faudrait que chaque individu se questionne sur l’impact écologique de son régime alimentaire. Car, il y a sans doute une consommation excessive de viande par rapport aux capacités de la planète. Bien sûr, il ne faut pas négliger le sujet des carences parce qu’il y a certaines vitamines et minéraux qu’on ne peut trouver que dans certaines viandes. Mais, le passé montre qu’il est possible de subsister sans consommer souvent de la viande rouge. »
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Pour aller plus loin
La publication (en anglais) dans Science Australopithecus at Sterkfontein did not consume substantial mammalian meat | Science
et le communiqué revenant sur la recherche (en anglais) Three million years ago, our ancestors were vegetarian – Wits University
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