Jean Verdier : « l’Agence BIO ne doit pas devenir le symbole d’une casse politique »

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Jean Verdier; président de l'Agence BIO © Agence BIO

Suite au vote d’un amendement au Sénat dans le cadre du budget 2025, l’avenir de l’Agence BIO est menacé.  Le risque de voir disparaître cet acteur clef de la filière bio en France mobilise le monde associatif écolo et le monde agricole. Président de l’Agence BIO depuis 2024, Jean Verdier fait le point sur la situation dans cette interview avec GoodPlanet Mag’.

Vous attendiez-vous au dépôt et surtout à l’adoption d’un amendement au projet de loi de finances visant à couper vos crédits ?

Nous avons été estomaqués car aucune famille professionnelle de l’agriculture biologique qui composent l’Agence BIO n’a été consultée avant le vote. Il y a comme un lâchage en direct de l’agriculture biologique par le Sénat qui a voté vendredi soir à 15 voix contre 14 cette suppression inattendue et indécente.

« Il y a comme un lâchage en direct de l’agriculture biologique par le Sénat »

Nous sommes d’autant plus estomaqués que le sénateur Les Républicains Laurent Duplomb justifie son amendement par un argument économique. Il parle de 2,9 millions d’euros d’économies sur les frais de fonctionnement de l’Agence BIO. Or, il faut savoir que nous réalisons déjà des économies d’échelle significatives en étant en synergie avec d’autres agences pour les locaux, les services généraux comme la comptabilité. Sauf à vouloir dévaloriser le travail qui est effectué aujourd’hui pour la bio, on ne voit pas comment transférer ailleurs ce qu’on fait tout en gardant le même niveau d’expertise.

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Pourquoi le travail de l’Agence BIO est-il important ?

L’Agence BIO sert au développement de la filière et rassemble 7 familles d’acteurs qui vont de la production à la distribution en passant par la transformation. Cela est possible grâce à l’expertise acquise en 20 ans sur la connaissance du marché, des outils de production, des comportements des consommateurs. Nous remplissons donc à la fois les missions d’observatoire du marché, de promoteur du bio grâce à la communication que nous faisons et de soutien à la filière en aidant aux investissements dans les entreprises du bio au niveau régional ou national.

« Regarder dans le même sens pour servir l’agriculture biologique en construisant ensemble »

Je trouve formidable que des personnes qui peuvent avoir sur le terrain des divergences arrivent à regarder dans le même sens pour servir l’agriculture biologique en construisant ensemble au sein de l’agence.

Quels en sont les exemples concrets ?

Je vais donner deux exemples de la portée et de la performance de nos actions. 

Le Fonds Avenir Bio destiné à l’investissement et à la structuration des filières que nous portons depuis 15 ans aide les entreprises et les porteurs de projet. Pour 1 euro de subvention reçue de notre part, elles parviennent à lever 4 euros d’autres financements venus de contributeurs privés ou publiques ou bien d’investisseurs.

« L’Agence BIO ne doit pas devenir le symbole d’une casse politique »

Dans la communication, on estime que 1000 euros mis sur la table par l’Agence BIO dans des actions de promotion du bio comme l’achat d’espaces génère un retentissement évalué à 4000 euros. 4000 euros car la communication que nous produisons et formatons est reprise par les 8 interpros en France et les interpros des filières-produits comme les céréales, les fruits et les légumes, la viande ou bien le lait.  De plus, de telles campagnes donnent une visibilité à nos messages lors qu’ils sont repris dans les médias.

Qu’est-ce que l’adoption de l’amendement dans le PLF (projet de loi finances) 2025 signifierait pour l’Agence BIO ?

L’Agence BIO possède un statut spécial : elle est un groupement d’intérêt public (GIP), en charge du développement, de la promotion et de la structuration de l’agriculture biologique. Elle regroupe des acteurs privés de la filière qui travaillent avec les deux ministères de tutelles Agriculture et Écologie. Nous employons une vingtaine de personnes avec des contrats de droit privé. Supprimer l’Agence BIO revient à détruire tout le savoir-faire acquis par ses équipes depuis plus de 20 ans. Puisque pour le sénateur qui porte l’amendement, il s’agit de faire des économies d’échelle, j’imagine donc que les emplois seront supprimés. Le sénateur a fait, d’une certaine façon, le licenciement en direct d’une agence.  C’est une première, qui j’espère en restera là.

« Le sénateur a fait, d’une certaine façon, le licenciement en direct d’une agence. »

Supprimer d’un trait de plume l’Agence Bio au moment où le secteur agricole est en crise n’est pas non plus un bon signal. La filière bio traverse aussi la crise. Pourtant, il connait les prémisses d’un redémarrage. La distribution spécialisée en bio pèse 4 milliards d’euros et a connu l’année dernière une croissance de 8 %. Avec de tels chiffres, nous ne désespérons pas de persuader la grande distribution d’accorder plus de place au bio dans le cadre des négociations avec les fournisseurs qui se terminent le 1er mars.

Y avait-il des signes avant-coureurs de la remise en cause de l’Agence par des élus ?

Nous comprenons d’autant moins cette attitude que la bio est transpartisane. L’Agence Bio a été créée en 2001 quand la gauche était au pouvoir tandis que le Fonds Avenir Bio a été créée en partie par Michel Barnier. Par ailleurs, sous le gouvernement Barnier, le député Philippe Juvin avait proposé un amendement similaire, mais il n’avait pas franchi le stade de la commission à l’Assemblée Nationale et n’avait donc pas été soumis au vote des députés. On pensait l’affaire classée parce que déjà à l’époque on avait motivé et justifié notre existence.

Nous recevons beaucoup de soutiens, y compris au sein des Républicains. À tel point que le sénateur Duplomb a dit dans la presse qu’au vu de la levée de boucliers suscité par son amendement, il n’aurait pas été possible pour lui de le déposer aujourd’hui.

Que pouvez-vous faire pour empêcher cet amendement d’être intégré à la loi ?

Le sénateur ne veut pas retirer son amendement. Le circuit législatif prévoit que le Sénat vote définitivement sa PLF. Ensuite à la fin du mois, la commission paritaire se réunira avec 7 députés et 7 sénateurs pour étudier tous les amendements du projet de loi de finances 2025. Notre travail consiste donc à expliquer aux parlementaires pourquoi il ne faut pas conserver cet amendement. Car, il y a une légitimité transpartisane à maintenir l’Agence BIO. 

Que peuvent faire les citoyens désireux de vous soutenir ?

Les citoyens sont le relais de l’importance de maintenir l’agriculture biologique en France. N’oublions pas qu’il y a des millions de consommateurs de bio dans notre pays. Un agriculteur sur 6 en France, soit plus de 60 000, est un agriculteur biologique. Auxquels il faut ajouter 22 000 entreprises. Ce n’est pas rien.

« Un agriculteur sur 6 en France est un agriculteur biologique. »

Les citoyens peuvent exprimer leur soutien à la bio auprès de leurs élus ou par le biais de pétitions qui circulent. Ils peuvent aussi agir grâce à leurs choix de consommateurs. Ils peuvent ainsi rappeler que l’agriculture biologique a de nombreux bénéfices notamment grâce à ce qu’elle apporte en termes de biodiversité, d’aliments sans pesticides chimiques de synthèse et pour son rôle dans le maintien de la potabilité dans les captages d’eau en France.

Avez-vous un dernier mot ?

De nature optimiste, je suis confiant dans la capacité de nos sénateurs et nos députés à remettre du bon sens. L’Agence BIO ne doit pas devenir le symbole d’une casse politique inspiré par ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique où on tire sur une agence pour en faire un symbole.

Propos réaccueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Le site Internet de l’Agence Bio

La pétition Refusons la suppression de l’Agence Bio ! – Agir pour l’Environnement

L’amendement déposé au Sénat par le sénateur Laurent Duplomb pour supprimer une partie des crédits accordés à l’Agence Bio

Infographie – L’agriculture biologique (chiffres 2023) | Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire

Budget agriculture : la droite sénatoriale supprime l’Agence Bio, et provoque la colère des écologistes – sur Public Sénat

Infographie – L’agriculture biologique (chiffres 2023) | Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire

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