Selon une publication de la revue d’ornithologie Ibis parue en novembre 2024, il y a 96 % de chances que le courlis à bec grêle ait disparu. L’extinction de cet oiseau observé pour la dernière fois il y a trente ans est une première en cinq siècles pour une espèce continentale et témoigne d’un déclin massif du vivant.
Adepte des grands espaces, le courlis à bec grêle évoluait dans le Paléarctique occidental, une large aire géographique s’étendant du nord du Sahara à l’Ouest de l’Oural, comme le note Le Monde. L’oiseau vivait en Sibérie l’été avant de migrer sur le pourtour méditerranéen pour l’hiver. Faute d’avoir été observé depuis 1995 dans le nord du Maroc, il est désormais presque certain que l’oiseau a rejoint le groupe des 164 oiseaux désignés disparus depuis 1500 par Birdlife International. Alors en quoi le cas du courlis à bec grêle est-il si spécial pour la biodiversité ?
Première extinction d’un oiseau continental en cinq siècles
Pour Benoît Fontaine, chercheur et biologiste au Muséum d’Histoire Naturelle, la disparition « certaine » du courlis à bec grêle évoque celle d’autres oiseaux constatées ces dernières années. Elle comporte pourtant une singularité importante. En effet, contrairement au grand pingouin ou à l’huîtrier des Canaries, l’oiseau n’était pas insulaire. Il s’agissait d’« une espèce continentale, avec une très large aire de répartition ».
« Sentinelle » d’un déclin massif du vivant
L’extinction du courlis à bec grêle ne se limite donc pas à la disparition « anecdotique » d’un oiseau selon le scientifique. « Si une espèce disparaît, toutes les autres espèces vont occuper la place vacante, c’est comme ça depuis le début de l’histoire de la vie sur Terre », rappelle Benoît Fontaine. « Ce n’est pas le fait qu’une espèce disparaisse qui pose problème. C’est le fait que des millions déclinent et que des centaines d’individus disparaissent. » De nombreux oiseaux sont concernés aujourd’hui, dont certains sont très communs. Les scientifiques ont ainsi constaté une perte « de 40 à 50% » du nombre d’hirondelles en 20 ans.
Pour le chercheur, cette « grande proportion » d’espèces menacées « désorganise » l’équilibre du vivant. « Le courrier à bec grêle, nous dit : attention, on est en train d’observer le déclin d’oiseaux avec de très grandes aires de répartition », alerte-t-il. L’oiseau n’est donc que « le premier en Europe pour lequel le déclin est arrivé au point de l’extinction ». Ni plus ni moins, donc, que la « sentinelle » d’une extinction massive du vivant.
Espèces disparues, une liste incomplète
Par ailleurs, l’érosion du vivant ne se limite pas aux oiseaux, un groupe très connu et étudié. Déclarer une espèce éteinte est un long processus puisqu’une disparition ne peut pas être prouvée scientifiquement. De plus, elle risque de justifier l’arrêt de la protection des habitats naturels ou des financements. Pour le chercheur, « infiniment plus d’espèces sont éteintes » que les 900 environ recensées depuis le XVIème siècle.
« J’ai participé à une étude où on estime que l’on a déjà perdu à peu près 10 % des espèces vivantes depuis l’an 1500, soit un million d’espèces », explique Benoît Fontaine. Il souligne que de nombreuses d’entre elles, parmi les insectes ou les escargots par exemple, peuvent « disparaître sans que personne ne le sache ». Pourtant, elles constituent « l’essentiel de la biodiversité ».
L’Homme accusé numéro un
L’Homme joue évidemment un rôle clé dans cette catastrophe environnementale. Bien que les scientifiques n’aient pas pu établir avec certitude les causes de l’extinction du courlis à bec grêle, elle est probablement due à la destruction de son habitat comme c’est généralement le cas. L’oiseau évoluait en Europe mais également au Maroc et en Grèce durant son hivernation, « des sites extrêmement dégradés dans les dernières décennies par l’urbanisation et l’agriculture » souligne le biologiste. Pour lui, « la chasse, sans doute sur les sites d’hivernage, a probablement donné le coup de grâce » au courlis à bec grêle.
Causée par l’Homme, la poursuite du déclin du vivant aura aussi des conséquences directes sur les activités humaines, à commencer par l’agriculture. En effet, les oiseaux jouent par exemple un rôle essentiel dans la pollinisation, un service écosystémique que des solutions techniques ne pourront pas remplacer, avertit Benoît Fontaine.
Face à ce constat, nous sommes pourtant loin d’être impuissants. « Il faudrait procéder à des changements majeurs dans notre façon de fonctionner en tant que société » pour lutter contre ce déclin, préconise le chercheur. Ils impliqueraient de repenser nos habitudes de consommation ou notre manière de nous déplacer. « On sait très bien ce qu’il faut faire », conclut Benoît Fontaine. « Est-ce qu’on a envie de le faire ? Manifestement, non. »
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