Léo Larivière, auteur de « Quand la publicité s’oppose à la transition écologique » : « il est évident que les constructeurs automobiles sont les acteurs qui fixent la norme de ce que doit être une mobilité désirable »

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Voitures neuves sur le parking de l'usine Renault à Flins, Yvelines © Yann Arthus-Bertrand

Près du tiers des émissions de gaz à effet de serre de la France sont dues aux transports, la voiture compte pour beaucoup dans ce bilan. Alors que l’électrification de l’automobile reste encore incertaine, Léo Larivière, responsable transition automobile et relations parlementaires au sein de l’ONG européenne T&E (Transport & Environment) en France publie le livre Quand la publicité s’oppose à la transition écologique, Immersion dans l’univers des marques automobiles (éditions de L’Aube). Selon lui, les messages et les imaginaires véhiculés par la publicité sont contradictoires avec ce qu’il faudrait faire pour réduire l’impact climatique de la mobilité. Loin du vécu quotidien, la voiture est vendue comme libératrice et objet de progrès technique. Cela empêche de repenser en profondeur la place qu’elle occupe dans nos sociétés et nos économies. Dans cet entretien avec GoodPlanet Mag’, Léo Larivière explique de quelles manières la publicité freine la transition. À elle seule, la voiture électrique est loin de suffire à assurer la durabilité, surtout dans un contexte où la voiture neuve est devenue un objet inaccessible à la grande majorité des Françaises et des Français.

De quelles manières la publicité freine la transition écologique, selon vous ?

En France, 3 à 5 milliards d’euros sont mis sur la table par la filière automobile pour promouvoir leurs modèles de véhicules, et derrière, une certaine vision de la mobilité. Cette somme équivaut au budget du comité d’organisation des JO de Paris 2024.  Ces milliards d’euros donnent donc à la filière automobile une grande force d’influence.

« 3 à 5 milliards d’euros sont mis sur la table par la filière automobile pour promouvoir leurs modèles de véhicules, et derrière, une certaine vision de la mobilité. »

Mon livre « Quand la publicité s’oppose à la transition écologique » analyse l’imaginaire porté par ces messages. Je me suis basé sur 200 publicités diffusées entre 2022 et 2024. La vision automobile qui y est portée est en opposition frontale avec les recommandations des experts et les stratégies européennes de transition des mobilités.

« Un paradoxe entre ce qu’il faut faire pour réduire l’impact de la mobilité et ce que les publicités montrent »

La publicité porte une vision d’une mobilité sans limite, sans bornes avec des voitures de plus en plus grosses et consommatrices de matières premières et émettrices de gaz à effet de serre. De surcroit, c’est une vision de conquête en solitaire des espaces naturels et de la route. Tous ces éléments sont en contradiction avec l’exigence de sobriété de la transition écologique qui nécessite d’aller vers de plus petits véhicules et de prendre conscience des limites planétaires.  Il y a un paradoxe entre ce qu’il faut faire pour réduire l’impact de la mobilité et ce que les publicités montrent.

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Avec un marché du neuf restreint à une population âgée et aisée ou aux entreprises, l’industrie, en misant sur le haut de gamme (berline et SUV) ne s’est-elle pas éloignée de la réalité des besoins de mobilité d’une majorité de la population ?

Il faut bien comprendre que le marché automobile est scindé en deux entre le neuf et l’occasion. Les ventes de véhicules neufs représentent entre 1,7 et 2 millions de véhicule immatriculés en France chaque année. Or, c’est ce marché des véhicules neufs qui vient ensuite alimenter le parc automobile car 85 % des Français achètent leur véhicule d’occasion.

« Diffuser à travers la télé, la radio, Internet et la presse un imaginaire qui influe la vision de la mobilité de toute la société »

Le marché du neuf s’adresse soit aux entreprises, soit à des particuliers plutôt aisés et âgés. Leurs choix déterminent donc ce qui est mis sur le marché en France et à quoi ressemblera le parc automobile de demain. Même si la pub cible ces acheteurs, elle est vue par tout le monde, y compris par ceux qui ne seront jamais les clients directs des constructeurs. Ceux-ci parviennent à diffuser à travers la télé, la radio, Internet et la presse un imaginaire qui influe la vision de la mobilité de toute la société.

Dans ce contexte, si les acteurs historiques ne sont pas en adéquation avec la demande, pourquoi est-ce que de nouveaux acteurs innovants capables de proposer des petits véhicules légers et sobres n’émergent-ils pas ?

Malheureusement, ça ne fonctionne pas comme ça parce que l’industrie automobile est très compétitive. Elle demande d’importants investissements de départ. Le marché est dominé par des acteurs historiques, comme Renault, Citroën et Peugeot en France, et des multinationales. Je ne pense donc pas que le salut de l’automobile, dans le sens faire en sorte que celle-ci réponde aux besoins réels des ménages, trouve un écho avec de nouveaux constructeurs. Il faut trouver un moyen d’organiser la transition avec les constructeurs existants.  Eux détiennent les clefs de cette transition de l’automobile. 

« Je ne pense pas que le salut de l’automobile trouve un écho avec de nouveaux constructeurs »

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Vous donnez dans votre livre quelques chiffres. L’automobile est le premier acheteur de publicité en France et pèse pour un tiers des dépenses du secteur. Il y a en moyenne chaque jour 8 heures de pub pour l’auto contre 3 minutes sur la prévention routière à la télévision. Le rapport de force entre les sommes investis par les intérêts privés des constructeurs et l’intérêt commun est-il de fait inégal et biaisé ?

Le rapport est totalement inégal quand on compare le budget mis par la filière pour promouvoir leurs véhicules, par ce biais, leur vision de la mobilité et les sommes attribuées par les pouvoirs publics à la prévention routière, à la promotion de l’autopartage et du covoiturage. Il est évident que les constructeurs automobiles sont les acteurs qui fixent la norme de ce que doit être une mobilité désirable grâce à la publicité. Ceci doit être questionné car les constructeurs automobiles ne représentent pas l’intérêt général, ce n’est pas à eux de définir ce qui doit être désirable dans la mobilité. Ce qui nous amène à la question de la régulation de la publicité. On aurait besoin de remettre dans le débat le sujet de la régulation de la publicité en général, et de l’automobile en particulier. La Convention Citoyenne pour le Climat l’avait fait.

« Il est évident que les constructeurs automobiles sont les acteurs qui fixent la norme de ce que doit être une mobilité désirable grâce à la publicité. »

On aura du mal à organiser une transition des mobilités vécue positivement par les Français si cette transition vient s’opposer à l’imaginaire poussé depuis des décennies par la filière automobile.

« On aurait besoin de remettre dans le débat le sujet de la régulation de la publicité en général, et de l’automobile en particulier. »

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Que faudrait-il faire afin que la communication autour de la mobilité évolue dans le sens d’une réduction de l’impact climatique ?

Il faudrait que la publicité soit inscrite dans un cadre légal dans lequel les représentants de l’intérêt général que sont le gouvernement et le parlement définiraient le cadre dans lequel la publicité peut s’exprimer et être diffusée. Aujourd’hui, les guides de bonnes pratiques du secteur sont volontaires et non-contraignantes, la déontologie n’est plus suffisante pour répondre aux enjeux. Il faut transformer ce mode de fonctionnement.

« Un moyen de s’assurer que le narratif des constructeurs, bien qu’il ne contribue pas nécessairement à la transition, ne s’y oppose pas aussi directement qu’aujourd’hui. »

Les représentants de l’intérêt général pourraient, par exemple, déterminer qu’il n’est plus possible de montrer des acteurs filant sur une route déserte en autosoliste et ayant l’air de prendre du plaisir à rouler vite. Les publicitaires pourront être innovant pour vanter leurs produits dans un cadre qui n’entre pas en opposition avec les enjeux de la transition écologique.  C’est un moyen de s’assurer que le narratif des constructeurs, bien qu’il ne contribue pas nécessairement à la transition, ne s’y oppose pas aussi directement qu’aujourd’hui.

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Pourtant, cela pourrait être perçu comme un muselage de la liberté créative et d’expression, comment répondre à cette critique ?

L’absence de limites aboutit à la loi du plus fort. En étant capable de dépenser 3 à 5 milliards d’euros par an dans la publicité, les constructeurs automobiles sont en mesure de décider ce que doit être la mobilité en France. Ça n’est pas le sens de l’intérêt général, la loi et les règles sont justement là pour faire en sorte de protéger l’intérêt de tous en fixant des limites à l’influence des multinationales de l’automobile. La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres.

« Protéger l’intérêt de tous en fixant des limites à l’influence des multinationales »

Vous faites remarquer dans le livre que la sexualisation a quasi-disparu des pubs pour voiture comme un élément démontrant la capacité de la communication à évoluer et répondre aux enjeux de son temps, qu’est-ce que cela pourrait apprendre pour la transition ? Qu’en est-il d’ailleurs des évolutions réglementaires dans ce domaine depuis deux décennies avec l’affichage des émissions par km et les messages de sensibilisation sur les alternatives ?

Les publicitaires ont su effectivement répondre à la critique sur le fait que les femmes étaient extrêmement sexualisées dans la publicité pour les voitures. Par ailleurs, la dénonciation des rôles stéréotypés a été très forte. Ces clichés ont disparu des publicités actuelles. On est passé à de la séduction de l’ordre de la fascination et du charisme. Ces évolutions montrent que la publicité est capable d’une certaine manière d’intégrer les critiques et d’évoluer. Certes, les stéréotypes masculins féminins ne sont plus visibles, mais c’est questionnable car les femmes sont présentées comme émancipées grâce à l’accès au SUV devenu un symbole. C’est une version contestable du féminisme. Elle rappelle ce qu’on fait les cigarettiers au XXe siècle en mettant des femmes dans leurs réclames pour associer leur produit à l’émancipation. On vient s’insérer dans un idéal avec un objectif commercial.

 Néanmoins, pour revenir aux enjeux écologiques, je ne pense pas que la publicité pour l’automobiles puisse devenir un vecteur de promotion des nouvelles formes de mobilités nécessaires pour réussir la transition. La raison en est toute simple : la publicité est commanditée par des constructeurs qui ont fait le choix de véhicules premium, de SUV et de grandes berlines. Je doute qu’ils réorientent leur modèle et leurs messages par eux-mêmes.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Quand la publicité s’oppose à la transition écologique, Immersion dans l’univers des marques automobiles, par Léo Larivière, éditions de L’Aube 

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Un commentaire

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    • dany voltz

    Même si les lieux de la circulation là bagnole électrique et moins polluante,
    Je ne pense pas qu’à l’échelle planétaire ce soit le cas.
    Proposons aux personnes bien pensantes de cette technologie de faire un stage dans les mines d’uranium et métaux rares en Afrique.