Dans le rapport « Souveraineté alimentaire : un scandale made in France » paru mercredi 18 février, Terre de Liens dresse son bilan annuel de la souveraineté alimentaire française. L’association souligne le caractère paradoxal du système alimentaire français, nocif à la fois pour l’économie, pour les agriculteurs et pour les consommateurs français.
Le secteur agricole traverse des crises depuis des décennies. La France ne manque pas de terres, mais elle peine à nourrir sa population et à permettre à ses agriculteurs de vivre décemment. En cause, des choix économiques et politiques qui questionnent la souveraineté alimentaire du pays et sa résilience.
Pour la Fondation Terre de Liens, la faute incombe à un système économique insoutenable qui se réclame de la compétitivité alimentaire. Aujourd’hui, la France dédie 43 % de ses terres à l’export. Or, « augmenter la compétitivité de la France revient à augmenter les importations », a déclaré à la presse Coline Sovran, une des auteures du rapport, lors de sa présentation lundi 11 février.
La France, un potentiel nourricier de 130 %
Avec « 28 millions d’hectares de terres cultivables », la France représente « la première surface agricole européenne », note le rapport. Une superficie suffisante pour nourrir les Français et même au-delà. Le « potentiel nourricier » du pays, soit le « rapport entre les surface agricoles et la population d’un territoire » s’élève à 130 %, affirme l’étude.
L’Hexagone a donc plus que les ressources nécessaires pour assurer sa « souveraineté alimentaire », un terme défini dans un rapport de France Agrimer comme la « capacité d’autodétermination d’un Etat sur les systèmes alimentaires qui se déploient sur son territoire ». Or, la France a décidé de tourner une partie de son agriculture vers les exportations alors même que les agriculteurs français font face à la concurrence internationale.
La compétitivité alimentaire, un choix lourd de conséquences
De championne agricole, la France est donc devenue dépendante aux importations. La grande majorité des produits alimentaires sont concernés, particulièrement s’ils sont transformés. « Nous pouvons produire 15 kg de pâtes par an et par personne », soit davantage qu’il est nécessaire, note Coline Sovran. « Pourtant, la France importe les trois quarts de celles que l’on trouve en supermarché. » Outre la dépendance alimentaire qui en résulte, « ce système alimentaire internationalisé écrase les prix des produits et donc les revenus des agriculteurs », alerte-t-elle.
[Lire aussi : Signez la pétition pour une loi agricole responsable]
Un modèle insoutenable
Entre cultures propres et importations, la France ne parvient plus à nourrir correctement une partie de ses habitants. « Aujourd’hui, 11 millions de personnes sont en situation de précarité alimentaire, soit environ 17 % de la population », rappelle le président de la Fondation Philippe Cointreau.
Produire pour le pays ou exporter ne suffit pas pour les exploitants agricoles. « 18 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté et 10 % perçoivent même un revenu négatif », c’est-à-dire qu’ils perdent de l’argent au lieu d’en gagner, souligne-t-il. À ce constat de paupérisation s’ajoute celui d’une hausse des maladies chroniques, particulièrement chez les agriculteurs, premiers exposés aux pesticides.
Des agriculteurs piégés
Les exploitants se retrouvent donc piégés dans un système qui exige une production à l’échelle industrielle contre une rémunération moindre. « L’agriculteur n’a plus vraiment le choix aujourd’hui », témoigne un exploitant bio et adhérent à la Fondation. « Nous sommes dépendants des coopératives. » Il raconte la presque impossibilité de choisir un modèle de production plus responsable dans le système alimentaire actuel. Du fait de l’urbanisation croissante autour de ses cultures, il a dû renoncer à pratiquer l’élevage.
[Lire aussi: Coopératives agricoles, la dérive d’un système ]
En effet, la Plaine d’Aunis où il cultive est représentative de la spécialisation des terres et du développement de grandes exploitations. Autrefois terre de polyculture-élevage, la Plaine d’Aunis pouvait nourrir 130 % de sa population. Aujourd’hui, elle ne peut alimenter que 60 % de ses habitants avec 90% de sa Surface Agricole Utile (SAU) dédiée à l’exportation.
« Réorienter » la Loi d’Orientation Agricole
Face à ces constats, Terre de Liens appelle les autorités à légiférer pour protéger l’environnement, les agriculteurs et les consommateurs. Tanguy Martin, chargé de plaidoyer de Terre de Liens, déplore « 75 ans de déconnexion politique » et de lois « à contre-courant ». Pour y remédier, la Fondation prône un « virage vers l’agroécologie » sur le long terme. Celui-ci passe également par la réorganisation des législations existantes pour favoriser le commerce équitable. Parmi elles, la loi EGALIM ou la PAC, considérées inefficaces dans l’accompagnement des agriculteurs. Aujourd’hui, 20 % des plus gros bénéficiaires de la PAC perçoivent 51 % des aides, souligne le rapport.
Ce n’est pourtant pas le chemin que les parlementaires semblent emprunter. Mardi 18 février, ils se sont mis d’accord sur le texte d’une nouvelle Loi d’Orientation Agricole (LOA). Surnommée « Loi Duplomb » du nom du sénateur LR de Haute-Loire qui en est à l’origine, cette la loi est celle de tous les reculs selon Terre de Liens.
Le gouvernement acte « la suppression des normes environnementales pour répondre à la colère agricole », avance Astrid Bouchedor, responsable de plaidoyer à Terre de Liens. Simultanément, l’association déplore que la loi ignore d’autres enjeux existentiels de l’agriculture aujourd’hui, comme le renouvellement des générations, la gestion des effets du changement climatique ou encore « la financiarisation accrue des terres ». Comme les autres acteurs de l’écologie, Terre de Liens appelle à « réorienter la loi » avant son adoption prévue avant le Salon de l’Agriculture le week-end du 22 février.
Cet article vous a plu ? Il a été rédigé par un de nos rédacteurs, soutenez-nous en faisant un don ou en le relayant.
L’écologie vous intéresse ? Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter hebdomadaire.
Pour aller plus loin:
Lire aussi sur GoodPlanet Mag’:
Accord au Parlement sur la loi d’orientation agricole, une adoption en vue avant le Salon
Ecrire un commentaire