Ol Pejeta (Kenya) (AFP) – L’herbe semble délicieuse aux pieds du Mont Kenya. Les deux femelles rhinocéros s’en régalent tranquillement, indifférentes à l’immense effort mondial en cours pour tenter d’empêcher que leur espèce ne meure bientôt avec elles.
Najin et sa fille Fatu sont les deux derniers rhinocéros blancs du Nord encore en vie, une sous-espèce africaine qui pourrait bientôt rejoindre la liste des animaux que les humains ont braconné jusqu’à l’extinction.
Mais, grâce à une récente percée scientifique, un embryon de rhinocéros blanc du Nord pourrait grandir en 2025. Un développement qui serait spectaculaire pour cette sous-espèce déclarée techniquement éteinte après le décès de son dernier mâle, Sudan, en 2018.
Ni Najin ni Fatu, respectivement fille et petite-fille de Sudan, ne peuvent mener de grossesse à terme en raison de problèmes d’utérus.
Mais Fatu produit encore des ovules viables, qui pourraient être ensemencés lors d’une fécondation in vitro (FIV).
Depuis plusieurs années, des scientifiques collectent ses ovules dans la réserve privée d’Ol Pejeta, au centre du Kenya, où vivent les deux femelles, surveillées 24h/24.
Les oeufs sont envoyés en Europe où, dans un laboratoire, ils sont fécondés avec le sperme de différents mâles décédés.
Les chercheurs ont désormais obtenus 36 oeufs fécondés – ou embryons – prêts à être implantés, affirme Jan Stejskal, coordinateur du projet pour BioRescue, la plus importante des initiatives mondiales visant la résurrection de l’espèce.
Ces experts pensent que Fatu peut encore produire une dizaine d’oeufs supplémentaires.
« Nous espérons réussir la première grossesse avec un embryon de rhinocéros blanc du Nord cette année », affirme M. Stejskal.
« Mais je ne peux pas le promettre. »
« Joie et tristesse »
L’idée est d’utiliser comme mère porteuse une femelle rhinocéros blanc du Sud, une espèce proche.
Il y a un an, les scientifiques avaient annoncé une percée : la première FIV avait été réalisée avec succès sur une mère porteuse – mais avec un embryon de rhinocéros blanc du Sud.
Et, comme beaucoup d’étapes dans ce processus long et difficile, la joie s’était rapidement « mêlée à la tristesse », pointe Samuel Mutisya, directeur de la recherche d’Ol Pejeta auprès de l’AFP.
Au bout d’environ deux mois, la mère porteuse était décédée d’une infection sans lien avec sa grossesse.
L’équipe est déterminée à tenter de nouveau, cette fois avec un embryon de rhino blanc du Nord.
Il existe d’autres pistes. Au Japon, des chercheurs tentent d’utiliser des cellules souches pour créer des gamètes mâles et femelles.
En cas de succès, cela permettrait d’augmenter radicalement le nombre d’embryons mais aussi la diversité génétique pour les futures FIV.
Ces recherches sont environ à mi-parcours, selon M. Stejskal, pour qui des embryons pourraient être produits d’ici environ 4 ans.
Parallèlement, l’université d’Oxford tente d’utiliser des tissus ovariens de femelles rhinocéros décédées pour créer de nouveaux ovules. Même après la disparition de Najin, 35 ans, et de Fatu, 24 ans, les scientifiques pourraient alors exploiter les oeufs immatures dans leurs ovaires.
Suzannah Williams, qui dirige cette initiative, estime pouvoir récupérer « au mieux » quelques centaines d’oeufs, même si tous ne seraient pas viables.
Le scénario idéal serait qu’un nouveau bébé naisse tandis que Najin et Fatu sont toujours en vie, pour lui apprendre comment se comporter en rhinocéros blanc du Nord.
Trop tard
Personne ne sait quelles sont exactement les chances qu’une tentative unique de FIV débouche sur une grossesse. Il en avait fallu trois il y a un an.
Beaucoup d’autres étapes pourraient tourner court dans une gestation qui dure 18 moins.
Mais M. Stejskal reste optimiste : « Nous les sauverons », dit-il, tandis que Mme Williams estime que la question est « quand, et non si ».
D’autres sont moins convaincus.
Même si des bébés venaient à naître, la diversité génétique serait « trop basse » pour faire revivre la sous-espèce, affirme à l’AFP Jo Shaw, directrice de l’ONG Save the Rhino International.
Il est probablement déjà trop tard pour les rhinocéros blancs du Nord, dit-elle, et l’attention devrait plutôt se porter sur les sous-espèces de Java et de Sumatra, qui comptent chacune moins de 50 individus.
Mais les chercheurs travaillant sur le rhino blanc du Nord soulignent que les techniques qu’ils sont en train de développer aideront tous ces mastodontes, de même que d’autres espèces. Le travail de BioRescue contribue déjà à sauver le rhino de Sumatra, plaide M. Stejskal.
Dans leur enclos d’Ol Pejeta, le principal soignant de Najin et Fatu, Zacharia Mutai, défend que les humains sont les responsables de leur extinction, donc qu’ils ont la responsabilité de leurs résurrection.
M. Mutai, qui a aussi connu Sudan, estime que la naissance d’un bébé serait « mondialement célébrée. »
« Et je m’occuperai du bébé », ajoute-t-il avec un sourire, tandis que derrière lui Fatu et Najin continuent de se régaler d’herbe.
© AFP
Un commentaire
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Eric
On déplace des montagnes pour sauver aujourd’hui des espèces qu’on a massacrées hier. C’est chouette. Paraît qu’on est la seule espèce intelligente sur Terre. Alors faut qu’on cause de ce qu’on met derrière le mot « intellligent »…