Le naturaliste Yves Verilhac ; « L’érosion de la biodiversité est quelque chose que vous ne pouvez pas appréhender si vous n’êtes pas spécialiste ou naturaliste »

écho des terriers Yves Verilhac

Envol d'oiseaux en Camargue © Yann Arthus-Bertrand

Passionné de nature, Yves Verilhac a travaillé durant toute sa carrière dans l’écologie et la protection de la nature. Il a notamment dirigé la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) de 2014 à 2023 dont il est toujours membre et travaillé auparavant comme directeur de l’Atelier technique des espaces naturels (un établissement public aujourd’hui intégré à l’Office français de la biodiversité) ou encore comme responsable du Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche. Fin connaisseur de la biodiversité et des politiques publiques, Yves Verilhac propose toutes les semaines ou presque, une chronique newsletter nommé L’écho des terriers pour y aborder tant les sujets de protection de la nature que la biodiversité. GoodPlanet Mag’ est allé l’interviewer pour notre rubrique À la rencontre du Vivant.

Yves Verilhac © POURNY Michel

Comme d’autres experts de l’écologie, diriez-vous que la crise du vivant est éclipsée par la crise climatique ?

Oui, complétement. La crise de la biodiversité est dans l’angle mort du rétroviseur. Mais, ce n’est pas nouveau. La prise de conscience du changement climatique est due aux accidents climatiques et météorologiques. Dans la bouche de beaucoup de journalistes et de la plupart des politiques, parler de transition écologique revient à ne parler que du changement climatique.

« La crise de la biodiversité est dans l’angle mort »

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Comment l’expliquez-vous ?

La transformation climatique se voit, mais la perte de biodiversité non. L’érosion de la biodiversité est quelque chose que vous ne pouvez pas appréhender si vous n’êtes pas spécialiste ou naturaliste. Car, elle s’inscrit dans un temps long. J’ai commencé l’ornithologie dans les années 1970, je sais donc quels sont les oiseaux qu’on ne voit plus, les espèces qui ont disparu, et ceux qu’on peut heureusement voir de nouveau grâce à certains beaux succès dans la préservation et la restauration des espèces. Il y a des espèces qui disparaissent dont les gens ignorent l’existence, alors pourquoi vouloir qu’ils s’en émeuvent ? Et en quoi cela touche leur quotidien ? En revanche, si je vous parle de climat, les gens établissent tout de suite une connexion et y voient une réalité en disant par exemple qu’il n’est pas possible d’aller skier cette année ou qu’il va falloir installer la clim’.

« L’érosion de la biodiversité est quelque chose que vous ne pouvez pas appréhender si vous n’êtes pas spécialiste ou naturaliste. »

L’effondrement du vivant ne touche pas directement les personnes. Si une espèce disparaît et avec elle la solution pour un médicament, on ne le saura jamais, d’autant plus que nous connaissons très peu d’espèces par rapport à la multitude qui existent sur Terre. Il existe donc des espèces qui disparaissent sans que nous ayons même pu les identifier.

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Quel regard portez-vous sur les critiques portées aux normes environnementales et aux attaques subies par les agences comme l’OFB, INRAE ou encore l’ADEME ?

Je le vis mal comme toutes les personnes qui connaissent ces sujets. Sans relativiser, je dirais que ces attaques sont du populisme. Il se traduit par une simplification, un dénigrement des institutions publiques et un dégagisme qui ne concerne pas que l’écologie ni uniquement la France.

« Ces attaques sont du populisme »

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 Si on regarde de plus près, l’Office Français de la Biodiversité (OFB) est né du regroupement de 4 établissements publics qui existaient avant : l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, Parcs nationaux de France, agence des aires marines protégées et l’Atelier Technique des Espaces Naturels que j’ai dirigé. En fait, il y a eu des économies de moyens considérables. On demande aussi à ces structures d’être davantage dans la pédagogie que dans la verbalisation. J’ai été en charge de la formation de la police de la nature, je peux vous dire qu’on apprend aux agents à ne pas verbaliser d’abord, mais à faire de la pédagogie. D’ailleurs, il faut rappeler que les agriculteurs ont une chance d’être contrôlé tous les 230 ans et en cas d’infractions, il y en a très peu qui sont poursuivis ou condamné par le tribunal. Mais, sur ce sujet-là, le discours est éloigné de la réalité. On est avant tout dans la rumeur, parfois inarrêtable, cette dernière empêche de répondre par des faits et des arguments scientifiques ou techniques. Malheureusement, on ne sait pas bien combattre le populisme.

Qu’est-ce que L’écho des terriers dans lequel vous partagez vos points de vue ?

J’ai eu la chance de commencer jeune l’ornithologie, vers mes dix douze ans avant de faire toute ma carrière dans la protection de la nature, dans le monde associatif ainsi que pour les collectivités et l’État. Je possède donc à la fois une bonne connaissance des politiques et des acteurs. Je profite de ma retraite pour m’exprimer avec humeur et humour tout en proposant une analyse sur le long terme. L’idée derrière cette newsletter que j’envoie à celles et ceux qui m’en font la demande est de proposer des textes sur l’actualité ou le fond, avec des sujets très naturalistes pour apprendre à reconnaître telle ou telle trace d’animaux et des analyses sur les politiques publiques sur l’environnement.

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« Il y a une grande amnésie, tant sur l’érosion du vivant que sur les politiques publiques en matière d’écologie »

En effet, il y a une grande amnésie, tant sur l’érosion du vivant que sur les politiques publiques en matière d’écologie. Par exemple, beaucoup de ministres débarquent en pensant qu’en matière d’écologie on part de rien et qu’ils vont tout réinventer.  Or, cela fait en réalité plus de 30 années qu’on a des politiques publiques sur ces thématiques.

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Justement, pour s’inscrire dans le temps long, est-ce qu’il y a des initiatives ou des projets qui fonctionnent en matière de protection de la nature ? Des initiatives positives à relever ? Lesquelles ?

La pierre angulaire de la protection de la nature est la loi du 10 juillet 1976, qui est la loi de protection de la nature créant les parcs, les aires protégées et la protection des espèces. De plus, beaucoup d’initiatives et d’actions de terrain portées par les associations méritent d’être connues en animation, en réalisation, par exemple des installations de nichoirs, des achats de terrains.

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Malgré cette loi et les actions du secteur associatif, je suis loin d’être optimiste car on détricote à mort. On est en pleine régression environnementale. Mais, il y a une prise de conscience du public et il n’y a jamais eu autant d’adhérents dans les associations.  Les sondages montrent que l’opinion n’a jamais été autant sensible à ces sujets. En revanche, la parlotte est pénible. Par exemple, concernant la création d’aires protégées, si on regarde bien on se rend compte qu’on n’en crée plus de nouvelles et qu’on crée davantage des labels que de vraies zones protégées. On ne crée plus de nouvelles réserves ou de nouveaux parcs alors que ces dispositifs fonctionnent très bien.

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Un conseil pour celles et ceux qui voudraient partir à la rencontre du vivant ?

Le bonheur de la nature est une chose incroyable. Identifier ce qui nous entoure et avoir un autre rapport au vivant procure bien-être et bonheur, ça devrait être remboursé par la sécurité sociale. Cette découverte commence donc par sortir faire un tour dehors, même en ville, pour y observer le monde vivant. Il faut se munir d’un guide.

« Identifier ce qui nous entoure et avoir un autre rapport au vivant procure bien-être et bonheur, ça devrait être remboursé par la sécurité sociale. »

On sort de la période de nourrissage des oiseaux. On peut voir des volées de chardonneret, de mésanges, c’est un régal pour les sens et le moral. On va rentrer dans la période de nidification durant laquelle les oiseaux préparent leurs nids. C’est également la période de migration ; les cigognes et les hirondelles effectuent leurs remontées.

Avez-vous un dernier mot ?

La culture de la nature est quelque chose de très enrichissant qui donne sens en nous permettant de nous reconnecter et de changer notre rapport au vivant.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Le site Internet de la LPO qui propose actuellement des nuits de la chouette partout en France pour toutes les curieuses et curieux

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