Les produits biosourcés, un potentiel pour la transition écologique et la souveraineté de la France, à condition de faire les bons choix

produits biosourcés

Biche en liberté dans la vallée de Chevreuse, Yvelines, France (48°50’ N – 1°47’ E). © Yann Artus-Bertrand

Alors que réduire la dépendance aux énergies fossiles tout en diminuant les déchets s’avèrent des préoccupations majeures, la question se pose de trouver des alternatives aux produits à usage unique et aux matériaux non-renouvelables ou artificiels dérivés de la pétrochimie. Depuis des années, l’accent est mis sur les matériaux dits « biosourcés ». L’ADEME (l’agence de la transition écologique) vient de rendre un avis sur l’usage et l’intérêt de ces matériaux. « On dit souvent qu’en France on n’a pas de pétrole, mais on a de la biomasse », résume Grégoire David, ingénieur performance environnementale des produits biosourcés à l’ADME. En effet, avec près de 90 % de son territoire couvert de terres agricoles ou de forêt, la situation du pays se révèle propice au développement de la bioéconomie. Elle pourrait même l’aider à regagner en souveraineté.

En France on n’a pas de pétrole, mais on a de la biomasse

Globalement, dans son avis, l’ADEME se montre favorable au développement des produits biosourcés, c’est-à-dire « partiellement ou entièrement composé de biomasse ». Cependant, les experts de l’ADEME mettent en garde sur les conditions à remplir pour en faire un bon usage. Ils rappellent que « le caractère biosourcé ne confère pas une plus-value environnementale de manière systématique » car produire à partir du vivant ou de la biomasse n’est pas une condition suffisante pour garantir la durabilité. Il y a donc des « points de vigilance » à avoir à l’esprit si on veut éviter que, comme les plastiques ou les agrocarburants, les produits biosourcés ne se transforment en une fausse bonne idée. L’ADEME insiste bien sur la nécessité de comparer les analyses cycle de vie entre les produits avant de tirer des conclusions susceptibles d’orienter des choix de développement de filière.

À la redécouverte de matériaux déjà connus et à l’innovation pour en développer de nouveaux se greffe l’enjeu de la sobriété et des usages. « Le risque est que les produits biosourcés ne viennent qu’en supplément d’une production déjà massive, et non en substitution », estime l’ADEME dans son avis. C’est notamment le cas pour le textile ou pour les plastiques, où « la production biosourcée vient s’ajouter à celles des produits d’origine fossile qui continuent leur croissance. »

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« Si les produits biosourcés viennent uniquement se rajouter aux produits pétrosourcés ou fossiles, on ne bénéficiera pas de leur principal intérêt qui est de pouvoir se substituer à d’autres produits avec un plus grand impact sur l’environnement », explique Grégoire David. Il rappelle que la production mondiale de plastiques a été multipliée par 10 depuis 1975 et qu’elle atteint aujourd’hui 400 millions de tonnes par an dans le monde. Or, ces plastiques proviennent à 99 % de la pétrochimie et 1 % de matériaux biosourcés.

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Au fait, biosourcé, qu’est-ce que cela veut dire ?

Les produits biosourcés ont pour origine le vivant, ils sont utilisés par l’humanité depuis toujours et peuvent être transformés. Derrière ce terme se trouvent donc les matériaux issus de la biomasse : des végétaux, des animaux, des champignons ou encore des micro-organismes. Les plus connus sont le bois, le coton, le lin, les algues ou encore la cellulose ou le caoutchouc, mais on trouve également le blé, le maïs, le colza ou encore le lait, le cuir, la laine, les coquilles d’œufs, les coquillages, les crustacés…

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Attention, être biosourcé ne signifie pas qu’un objet est paré de toutes les vertus. L’ADEME prévient que le terme peut prêter à des mauvaises interprétations. Il faut donc éviter les confusions biosourcé ne rime pas forcément avec naturel, biodégradable, issu de l’agriculture biologique. Cela ne témoigne pas non plus de l’innocuité du produit. « La toxicité dépend de la structure chimique et non pas de l’origine de la matière (i.e. le laurier rose) », clarifie l’ADEME à propos du biosourcé. De même, « “Biodégradable” : caractérise la fin de vie du produit, alors que biosourcé caractérise l’origine de la matière (ex : une bouteille en plastique biosourcé mais pas biodégradable) » et « “Naturel” : peu ou pas transformé par rapport à leur état dans la nature, alors que des produits biosourcés peuvent être très transformé (ex : plastique biosourcé) ».

Un domaine à fort potentiel

Ils font partie de notre quotidien avec le papier ou encore le bois qui est sans doute le plus répandu des matériaux biosourcés. Il se retrouve dans les meubles et même dans les matériaux de construction d’un logement sur 15 en France. Il y a bien sûr les végétaux utilisés dans le textile comme le coton, le lin ou bien la laine. Les extraits de plantes employés dans les cosmétiques et les détergents. Pour ne donner que ces quelques exemples. On estime que la moitié du PIB mondiale dépend de la Nature, dont une grande part des ressources qu’elle nous met à disposition.

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Il existe de nombreux usages de matières biosourcées encore peu exploitées. Les perspectives et les usages sont multiples, et beaucoup de choses restent à inventer. « En complément des innovations technologiques pour optimiser les procédés de transformations, la mise en œuvre d’une démarche low-tech peut également s’avérer efficace », souligne l’ADEME.

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L’ingénieur performance environnementale Grégoire David y voit un grand potentiel pour « réduire la dépendance aux hydrocarbures et assurer des approvisionnements dans un contexte géopolitique instable, améliorer la balance commerciale et créer des emplois non-délocalisables ». En France, près de 263 000 emplois dépendent des produits biosourcés à l’heure actuelle. L’ingénieur au sein de l’ADEME donne l’exemple de la filière lin, dont la France est le premier producteur mondial, qui relocalise des filatures dans le nord-ouest du pays. Il ajoute qu’il est possible de valoriser de nombreux éléments issus des plantes cultivés, ce qui peut permettre aux agriculteurs d’avoir des compléments de revenu. Jusqu’à présent, certaines parties étaient considérés sans valeur, comme des déchets à jeter plutôt que comme des ressources, comme la paille de blé. L’ADEME cite en exemple les « rafles de maïs (partie centrale de l’épi) [qui] vont trouver des débouchés prioritairement en alimentation animale ou pour la protection des plantes, avant la plasturgie, les cosmétiques ou enfin l’énergie. Autre exemple, une scierie valorise les meilleures qualités de bois dans la construction ou l’ameublement et les qualités secondaires en emballages, panneaux ou enfin énergie ».

Des bienfaits environnementaux

Les produits biosourcés ont un important potentiel économique mais aussi écologique. Ils peuvent réduire les déchets en permettant d’avoir des emballages qui se biodégradent, par exemple des pots en plastique biosourcé qui se dégradent avec la plante qu’on met en terre. Ils peuvent aussi contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre en stockant du carbone et en réduisant le recours aux plastiques issus du pétrole.

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En revanche, leur succès suscite des craintes pour la biodiversité s’il se traduit par le développement de grandes monocultures par exemple. Cela nécessite de veiller à « favoriser la diversité de la biomasse qui est utilisée à la fois pour la biodiversité et pour la résilience face au changement climatique, aux maladies et aux sécheresse », selon Grégoire David. C’est pourquoi il convient de « ne pas se spécialiser dans quelques cultures ». Or, actuellement en France, ce n’est pour le moment pas le cas puisque « 5 cultures (blés tendres, maïs, colza, orge, vignes) représentent plus de 77% des surfaces de terres arables (hors prairies) et 5 essences représentent plus de 75% des récoltes de bois d’œuvre et de bois d’industrie (sapin-épicéa, pin maritime, douglas, peuplier et chêne) », selon l’ADEME.

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Enfin, en dépit de leurs qualités, les produits biosourcés ne peuvent pas encore répondre à toutes les demandes. Ils sont soumis aux limites du renouvèlement naturel des ressources. « Il y a des arbitrages à faire », concède Grégoire David. « Il faut d’abord manger puis ensuite hiérarchiser les besoins, et là, c’est au politique de trancher pour déterminer si on doit employer les ressources biosourcés pour obtenir des molécules chimiques ou de l’énergie ». Il met en avant la nécessité de développer des bioraffineries afin d’exploiter au maximum de ses possibilités une ressource en biomasse en commençant par « ce qui est prioritaire et alimentaire ou bien à haute valeur ajoutée puis la chimie et les matériaux et enfin l’énergie. » Face aux enjeux renouvelés de souveraineté et aux choix tant économiques que politiques, sociaux et culturels, il est fort probable que le sujet de la bioéconomie et de l’exploitation des ressources naturelles biosourcées reviennent rapidement dans l’actualité et dans les débats.

Julien Leprovost

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