Nicolas Chagny, gardien de l’Internet et président de l’Internet Society France : « savoir utiliser de manière consciente une technologie, c’est aussi savoir lever les craintes qu’elle suscite »

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Des ordinateurs - Scott Graham / unsplash

À l’heure de l’essor sans précédent de l’intelligence artificielle générative, une nouvelle révolution dans la révolution numérique qui, en moins de 30 ans, a chamboulé nos existences, la question du contrôle de nos vies numériques est plus que jamais prégnante. L’Internet Society France propose le guide Devenir gardien de son Internet pour aider à mieux s’y retrouver. Son président, Nicolas Chagny, revient dans cet entretien sur les enjeux d’une meilleure connaissance du numérique. De plus, Nicolas Chagny animera le samedi 5 avril à 14h30 un atelier consacré à l’IA dans le cadre du Festival Résonances à la Fondation GoodPlanet à Paris.

L’Internet Society France propose à tout le monde de devenir un gardien de l’Internet. Qu’est-ce que cela signifie ?

Être un gardien de l’Internet commence déjà par comprendre de quoi on parle. En effet, les données personnelles, l’intelligence artificielle ou l’usage responsable du numérique ne sont pas faciles à expliquer. Le guide « Devenir gardien de son Internet » proposé par l’Internet Society France explique simplement de quoi on parle aux parents, aux éducateurs et aux formateurs. Le guide « Devenir gardien de son Internet » fournit des clefs pour l’éducation au numérique.

Est-ce que cela a encore un sens à une époque où le web a évolué de l’utopie de ses débuts à un écosystème davantage fermé et contrôlé par des entreprises puissantes. Ce qui a en partie dépossédé une majorité des usagers de leur autonomie dans la création, la diffusion et la consultation des contenus.

Cette question se montre philosophique sur ce qu’est Internet. Effectivement Internet est parti d’une utopie autour de l’accès à l’information pour tous qui allait renforcer la connaissance, il y a pourtant eu dans les faits une sorte de dérive. Des gens se sont emparés de cet outil pour faire de la désinformation, du harcèlement en ligne et d’autres activités illégales. Or, justement pour être armé face à ces dérives, il est nécessaire d’avoir un esprit critique et il faut savoir avoir un usage conscient du numérique. Il faut savoir pourquoi utiliser une intelligence artificielle, ce que répondre oui à l’utilisation de nos données personnelles signifie et ce qu’il se passe derrière ce choix, comprendre ce qui se passe dans cet univers globalisé. Plus que jamais, il faut avoir les clefs pour pouvoir s’en sortir.

Le grand sujet actuel du numérique est l’IA, elle suscite de nombreuses craintes, notamment en raison de ses impacts écologiques, quelles sont-elles ? Sont-elles fondées ?

Les craintes émises sur l’IA par rapport à son impact écologique en raison de sa consommation d’énergie et de matériaux sont fondés. Des craintes existent donc comme à chaque nouvelle révolution. L’intelligence artificielle existe depuis les années 1950, ce que l’arrivée de ChatGPT a changé en 2022, c’est l’expérience utilisateur. D’un coup, l’intelligence artificielle générative, celle qui imite ce que fait l’humain en produisant du texte ou des images, est devenue accessible à tout le monde. Alors qu’auparavant, elle n’était que pour les spécialistes. Les craintes sont donc forcément fondées, mais la meilleure manière de les contrer est de savoir de quoi on parle en comprenant ce qu’est cette intelligence artificielle et en en ayant un usage conscient.

« Plutôt que de se demander si son travail sera remplacé par une IA, il faut se poser aujourd’hui la question de savoir si on ne sera pas remplacé par une personne qui sait mieux que nous utiliser l’IA »

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Par exemple, recourir à ChatGPT pour faire des multiplications n’est pas pertinent. Car, le faire via la calculatrice de l’ordinateur est plus efficace et meilleur d’un point de vue environnemental. Ensuite, comme ChatGPT a été conçu pour générer du texte, cette IA a de grandes chances de se tromper en vous répondant. Par conséquence, savoir utiliser de manière consciente une technologie, c’est aussi savoir lever les craintes qu’elle suscite. L’une des grandes craintes liées à l’IA tourne autour de la question du travail. Il est évident qu’avec le développement de l’IA le travail va changer.  Mais, plutôt que de se demander si son travail sera remplacé par une IA, il faut se poser aujourd’hui la question de savoir si on ne sera pas remplacé par une personne qui sait mieux que nous utiliser l’IA.

Qu’est-il possible de faire pour éviter les dérapages écologiques de l’IA ?

La question de la consommation énergétique et de l’impact environnementale de l’IA est établie, c’est un vrai sujet. Aujourd’hui, personne n’a de réponse claire là-dessus, mais cela n’empêche pas d’agir. Premièrement, savoir quand utiliser ou pas une IA. Par exemple, faire une recherche sur Internet peut se montrer plus efficace que de poser la question à une IA. Deuxièmement, je ne suis pas obligé de faire tourner une IA sur un corpus étendu de données comprenant tout ce que l’Internet regroupe pour obtenir une réponse correcte. Utiliser des IA installées sur un ordinateur ou dont le périmètre d’action est cantonné à des données restreintes peut être intéressant et abordable. Troisièmement, on voit qu’avec le temps, les fournisseurs de technologies arrivent à faire mieux, on voit arriver des IA moins consommatrices de ressources et d’énergie. L’évolution technologique devrait aider à réduire l’impact écologique de l’IA pour le même résultat. Mais, cela n’enlève pas le risque d’effet-rebond. C’est pourquoi au-delà de la prise de conscience, parvenir à utiliser l’IA au bon moment, et pas à tort et à travers, serait déjà un grand bénéfice.

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Quel regard portez-vous sur la récente campagne en France sur le numérique responsable ?

Le numérique plus responsable implique pas mal de choses.

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L’ADEME, l’ARCEP et l’ARCOM ont sorti le RGESN (Référentiel général d’écoconception de services numériques). Ce référentiel contient tout ce qu’il faut pour mieux concevoir un service numérique du point de vue de son empreinte environnementale, pour le moment il n’est pas contraignant. Il a d’ailleurs tout un volet sur l’IA, ce qui témoigne qu’il est possible d’envisager des limitations et des contraintes dans ce domaine-là.

« Le numérique responsable va bien au-delà de l’éco-conception »

Le numérique responsable va bien au-delà de l’éco-conception. Cette dernière n’en est qu’une partie. Le numérique responsable, c’est aussi l’accessibilité, le respect des données personnelles, le respect de la sécurité et aussi, on l’oublie trop souvent, la dimension de l’inclusion. Il s’agit de ne pas laisser sur le bord de la route les personnes qui n’utilisent pas le numérique ni I’IA.

Comment parvenir à concilier numérique et sobriété ?

En fait, convaincre de la sobriété est un combat de tous les instants qui concerne des gestes simples. Je donne un exemple, se connecter en Wifi plutôt qu’en 5G . Le Wifi se montre plus sobre que la 5G car il consomme moins d’énergie pour de nombreuses raisons notamment techniques.

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Avez-vous un dernier mot ?

Il ne faut pas avoir peur des technologies et de leurs évolutions. Elles font partie de notre monde. Il y a eu les révolutions industrielles et l’arrivée de l’Internet, l’humanité vit régulièrement des révolutions. Il ne sert à rien de les craindre, il faut s’en emparer, les comprendre. Plus on essayera de comprendre ce qu’on utilise, plus on l’utilisera de manière intelligente.  Et, j’ai confiance en l’intelligence humaine.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Devenir gardien de son internet

Devenir gardien de son Internet : reprendre la main sur ses données personnelles, appréhender l’intelligence artificielle – Internet Society France

Les bulles de rêve : Un café IA avec l’Internet Society – Fondation GoodPlanet

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