En trois ans, le projet photographique Born In PPM s’est décliné en photos, expositions et tout récemment en livre « Born in…PPM » qui vient de sortir (aux éditions Odyssée) en ce mois de mars. La photographe Mary-Lou Mauricio s’est emparée de l’indicateur des concentrations de CO2, exprimées en PPM (parties par million) pour en faire une série de photographies destinées à sensibiliser au changement climatique. GoodPlanet Mag’ a interviewé l’artiste engagée Mary-Lou Mauricio. Elle associe la science à l’art pour sensibiliser à l’écologie. En plus de ce livre, des photographies de Born in… PPM sont exposées jusqu’au 11 avril à Paris.
Comment est né le projet Born in… PPM dans lequel vous réalisez des portraits de personnes avec le taux de PPM de CO2 à leur naissance ?
J’étais à la fois photographe et animatrice de la fresque du climat. Grâce à cette dernière, j’ai mieux compris les enjeux du climat, les limites physiques que le CO2 et l’ensemble des gaz à effet de serre représentent. Le CO2 est une particule stable qui, une fois partie dans l’atmosphère, y reste très longtemps. J’ai voulu sensibiliser à ce fait.
« Born in… PPM lie une donnée scientifique à ce que les personnes ressentent »
En parallèle, j’ai vu des personnes comme Greta Thunberg signer avec le nombre de PPM de leur année de naissance, c’est comme ça que j’ai eu l’idée de faire ces portraits dans mon salon. J’ai commencé avec une trentaine de personnes, des jeunes, des personnes âgées, des étrangers… J’ai réalisé cette petite série afin de faire parler du climat au moment de la COP27 en 2022. Born in… PPM lie une donnée scientifique à ce que les personnes ressentent puisqu’elles décident de l’émotion et du ressenti qu’ils vont transmettre au travers de leur portrait. C’est la grande spécificité du projet.
Après, il y a eu l’Université de la Terre qui m’a permis de photographier des personnalités connues et engagées, dont Yann Arthus-Bertrand. Elles ont partagé leurs portraits sur les réseaux. Peu à peu, Born in… PPM est devenu un atelier de sensibilisation. Maintenant, il y a plus de 5000 portraits !
Qu’est-ce qui motive votre démarche ?
Mon projet est de dénoncer la combustion des énergies fossiles qui sont responsables de 80 % du changement climatique. Les deux limites planétaires associées au climat sont les concentrations de CO2 exprimées en PPM et le forçage radiatif. L’indicateur est donc associé à la limite planétaire telle que définie par le Stockholm Resilience Institute, il reflète la combustion du pétrole, du gaz et du charbon. Les PPM restent le marqueur principal du lien entre énergie et climat, on les retrouve aussi dans les rapports du GIEC.
« Les PPM restent le marqueur principal du lien entre énergie et climat, »

Pourquoi avoir choisi les PPM comme indicateur alors que celui-ci est plutôt technique, plus précis mais moins parlant que la hausse des températures ?
Les PPM peuvent être un moyen un peu amusant de parler du climat en regardant à combien on est né, puis de comparer et de voir les évolutions. Contrairement au bilan carbone, les PPM restent une donnée globale, qu’on soit riche ou pauvre, qui permet de comprendre le problème des gaz à effet de serre. C’est ce qui m’a plu dans cette donnée-là, en plus de la dimension militante.
Initialement, des militants du climat s’étaient fait tatouer les PPM de leur naissance. Ce tatouage a été appelé le « protest tattoo ». Je me souviens de celles et ceux qui avaient mené lors de la COP21 une action au British Museum pour dénoncer le sponsoring par l’entreprise BP qui ne respecte pas l’Accord de Paris. Ensuite, pour témoigner de leur engagement en faveur du climat, plus de gens signaient avec le chiffre des PPM de l’année de leur naissance sur les réseaux sociaux comme LinkedIn.
D’ailleurs, est-ce que les personnes dont vous faites le portrait connaissent cet indicateur de concentration du CO2 ?
Cela dépend des contextes. Il y a des personnes qui n’ont jamais entendu parler de PPM, cela a par exemple était le cas lorsque j’ai réalisé des portraits pour la mairie de Paris dans des fêtes de quartiers ; il y a aussi d’autres personnes qui s’adressent à moi car elles connaissent mon travail et l’indicateur. Ils ont envie d’avoir un portrait qui symbolise leur engagement pour le climat. Même si les chiffres peuvent faire flipper, je prends le temps d’expliquer de quoi il s’agit, de demander aux personnes de regarder l’évolution des chiffres, de comparer avec l’année de naissance de leurs parents et grands-parents ou de leurs enfants. Les PPM sont une façon très simple de voir la croissance des émissions de gaz à effet de serre, elles ont explosé ces dernières décennies. Entre deux enfants nés récemment avec 3 années d’écart, il peut y avoir jusqu’à 10 points d’écart.
« Les PPM sont une façon très simple de voir la croissance des émissions de gaz à effet de serre »
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Comment réagissent-ils ?
Comme souvent dès qu’on parle de changement climatique, cela fait peur. Une fois qu’on leur a expliqué les ordres de grandeurs et le fait que la limite planétaire des 350 PPM a été dépassée en 1988, nous leur demandons ensuite ce qu’ils ressentent. Ils doivent alors avec cette photo prendre position et exprimer leur émotion : tristesse, envie d’agir… Je trouve que montrer leur réaction est un élément intéressant dans la démarche du projet. Surtout, je pense que cela a plu.
« La limite planétaire des 350 PPM a été dépassée en 1988 »

Avez-vous l’espoir de voir les concentrations de CO2 diminuer de votre vivant ?
Tout d’abord, petit aparté, je souhaite qu’on indique sur ma sépulture les PPM des dates de ma naissance et de ma mort. Pour revenir à la question, j’ai pu parler avec les scientifiques et même visiter les sites où on mesure le CO2 présent dans l’atmosphère. A priori de mon vivant, à moins d’un effondrement global ou d’une catastrophe, il y a très peu de probabilité de voir le nombre de PPM se réduire. Au mieux, je pourrais espérer connaître la baisse de la croissance. On voit les concentrations croître de 2 à 3 PPM par an. Nous sommes actuellement au-dessus des 420 PPM, si les engagements de l’Accord de Paris sont respectés, ce qui est loin d’être le cas pour le moment, on devrait redescendre à 400 PPM en 2100. J’ai déjà 43 ans, il est donc peu probable que je puisse voir l’inversion de la courbe.
Propos recueillis par Julien Leprovost
Article édité le 28 mars à 13h15 pour éditer les légendes des images
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Pour aller plus loin
L’exposition à ciel ouvert au Jardin Federico Lorca les Quais de Seine port de l’Hôtel de Ville à Paris jusqu’au 11 avril. Les clichés sont présentés dans le cadre de la présentation du plan climat de Paris. Le climat change, Paris agit.
La page consacrée au livre Born in PPM de Mary-Lou Mauricio aux éditions Odyssée
La présentation vidéo du projet Born in… PPM de Mary-Lou Mauricio
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