La faune sauvage a longtemps été perçue comme un ennemi des activités de culture et de jardinage, pourtant elle contribue grandement à la bonne santé des milieux. Quelle place pour les animaux sauvages dans les jardins ? Comment faire en sorte qu’ils soient désormais intégrés aux jardins, qu’ils soient vivriers ou non ? Sabine Couvent travaille depuis des années au retour de la faune sauvage dans les exploitations agricoles avec l’association L’Hirondelle aux champs. Forte de son expérience, elle vient de publier le livre Créer un jardin vivant- Accueillir la biodiversité et s’allier à la faune sauvage dans la collection Résilience des éditions Ulmer. Dans cet entretien, Sabine Couvent revient sur sa démarche et prodigue quelques premiers conseils pour aider la faune sauvage à revenir sur son terrain.
Pourquoi ce petit guide Créer un jardin vivant – Accueillir la biodiversité et s’allier à la faune sauvage ?
Le livre est le fruit d’une demande de Charles Hervé-Gruyer de la ferme du Bec-Hellouin. Il dirige une collection consacrée à la résilience pour les éditions Ulmer. Il cherchait à compléter leur série d’ouvrages avec un volume dédié à la faune sauvage dans le jardin. C’est donc un peu un concours de circonstances qui a abouti au petit guide pratique qu’est « Créer un jardin vivant – Accueillir la biodiversité et s’allier à la faune sauvage ».
Initialement, vous travailliez sur le retour de la faune sauvage dans les champs, qu’est-ce que cela change de l’envisager au niveau du jardin ?
En matière de réintroduction des espèces animales sauvages, je sais déjà tout ce qui marche chez les agriculteurs. Il m’a suffi de réfléchir aux espèces qui fréquentent les jardins. Ayant déjà un jardin potager en permaculture de 400 m² dans lequel j’expérimente ce que je propose aux agriculteurs que j’accompagne pour les aider à faire revenir la faune. C’est de là que je tire mes connaissances et mes compétences qui servent de base au guide « Créer un jardin vivant – Accueillir la biodiversité et s’allier à la faune sauvage ».
« Pour atteindre la résilience, je me base sur la notion d’équilibre écologique, c’est-à-dire entre la proie et le prédateur. »
En fait, il est plus simple de passer du champ au jardin sur ce sujet. Car dans le milieu agricole, on travaille à plus grande échelle sur plusieurs hectares, tandis qu’au jardin, on est sur un périmètre plus petit de l’ordre de quelques centaines de mètres carrés. Comme on dit, qui peut le plus peut le moins. À l’inverse, il n’est pas forcément évident de répliquer à une plus grande échelle ce qu’on peut faire pour les animaux sur une superficie aussi resserrée qu’un jardin.
En quoi le retour de la faune contribue-t-il à la résilience ?
Dans les jardins et dans l’agriculture, un équilibre avec la nature a été rompu. Ma démarche est de remettre de l’équilibre au jardin en proposant de faire de la place aux prédateurs pour qu’ils jouent leur rôle dans la régulation des insectes, des campagnols ou encore des limaces, bref de tout ce qui peut poser problème dans les jardins ou les champs.
« Faire de la place aux prédateurs pour qu’ils jouent leur rôle dans la régulation des insectes, des campagnols ou encore des limaces »
Pour atteindre la résilience, je me base sur la notion d’équilibre écologique, c’est-
« La faune sauvage aide à mettre en place cet équilibre, ce que l’agriculture a mis de côté en se reposant sur des insecticides et des pesticides »
Vous donnez des conseils pour accueillir des oiseaux, y compris des rapaces, des mammifères, ainsi que des serpents et des batraciens. Votre recommandation principale est souvent de simplement leur laisser un peu de place et de leur proposer un abri, voire de le créer. Comment faire ?
Mon paradigme est de ramener des éléments structurants à l’espace pour les espèces sauvages. Dans les jardins, si on veut trop ranger ou « faire propre », le milieu devient alors vide pour la biodiversité. Je propose donc de laisser des éléments verticaux comme des perchoirs ou des piquets pour que les oiseaux puissent se poser. Tous ne le feront pas au niveau du sol afin d’éviter certains prédateurs, notamment le chat. Il leur faut donc différents supports, bien que ce ne soit pas instinctif pour un jardinier de planter des piquets, sauf pour délimiter les parcelles de culture.
« Ramener des éléments structurants à l’espace pour les espèces sauvages »
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L’élément eau est également très important pour toutes les espèces. Disposer d’une mare peut sembler contre-intuitif si on l’associe d’abord aux moustiques, pourtant une étendue d’eau facilite le retour des mammifères ou encore des amphibiens qui se nourrissent d’insectes. Chez moi, où j’ai quatre mares, les crapauds communs s’installent sous mon paillage. Cela fonctionne également car je ne retourne pas le sol.
« L’élément eau est également très important pour toutes les espèces. »
Pour en revenir aux abris…
Les animaux ont besoin d’éléments structurants comme des points d’eau et des refuges pour se protéger de leurs prédateurs ou s’abriter si les conditions météo ne leur conviennent pas. Ces abris divers varient selon les espèces, il peut s’agir d’un pierrier, d’une plaque en métal, d’un perchoir ou de paillage. Par exemple, les perchoirs servent pour se poser à l’abri des prédateurs terrestres ou pour observer les proies. Ainsi, plus on va diversifier les micro-milieux, plus on aura d’auxiliaires.
« Plus on va diversifier les micro-milieux, plus on aura d’auxiliaires. »
Les mammifères étant les plus aisément observables et identifiables, arrêtons-nous dessus quelques instants. Que peut-on faire pour les aider à s’installer dans son jardin ?
Le plus emblématique d’entre eux est certainement le hérisson. Il me tient beaucoup à cœur mais, hélas,
Pour parler d’autres mammifères, parfois injustement mal-aimés, qui ont leur place dans nos jardins, il y a le renard et les chauves-souris. Le renard apprécie aussi les points d’eau. Le renard est un grand régulateur du campagnol. Il vient dans mon jardin tout simplement car je le laisse circuler. Et je n’ai pas de chien, ce qui aide.
Et les chauves-souris ?
Les chauves-souris ont un rôle important dans la régulation des insectes, en particulier les moustiques. Si on a la chance d’avoir des bâtiments, il est envisageable de leur trouver plein d’abris ou de leur proposer des nichoirs. Il y a quelques petites choses à savoir sur ces derniers, car souvent les gens sont déçus d’en mettre un et de ne pas voir les espèces venir. Or, le truc est qu’il faut souvent en installer plusieurs et les orienter différemment. Parce que, en réalité, on ne sait pas ce que les espèces apprécient réellement. Il faut donc démultiplier les possibilités.
« En réalité, on ne sait pas ce que les espèces apprécient réellement »
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Comment faire avec certaines espèces qui souffrent d’une mauvaise réputation, comme les campagnols ? Est-il possible de les accueillir tout en limitant leur prolifération ?
Il est nécessaire d’avoir en tête qu’une espèce n’est pas d’emblée nuisible, en revanche elle peut effectivement causer des désagréments. Par exemple, le campagnol fait des monticules et mange les racines et les légumes. Le campagnol joue pourtant un rôle important dans les écosystèmes en transportant les mycorhizes du sol sur son pelage qu’il va disperser dans toutes les galeries. Les mycorhizes sont le pilier du système racinaire. Le campagnol contribue aussi à aérer le sol.
« Une espèce n’est pas d’emblée nuisible »
Le problème avec le campagnol est qu’il peut pulluler avec des pics de population. Il est possible de contrôler la situation grâce aux rapaces. Ces derniers nécessitent des perchoirs plus hauts, avec des piquets d’au moins 2 mètres 50 voire 3 mètres 50. Ces grands piquets permettent de faire venir le faucon crécerelle ou bien la buse variable, deux espèces prédatrices du campagnol. Le campagnol a une vie très dure car il est à la base d’une chaîne écologique et alimentaire qui fait qu’il a beaucoup de prédateurs. Ainsi, il va servir de nourriture quasi-exclusive à la chouette Effraie. Si un jardin est occupé la journée, ce qui n’est pas forcément propice à l’intervention des rapaces, la régulation peut s’avérer difficile, toutefois il reste les rapaces nocturnes comme la chouette Chevêche, à ne pas négliger.
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Vous avez parlé d’espèces comme le renard ou le serpent qui peuvent faire peur à certains. Comment rassurer les personnes à leur sujet ?
Déjà, il convient de se renseigner pour mieux connaître les espèces. Comprendre à quoi ces espèces servent aide à changer de point de vue et à sortir des croyances et des légendes. Par exemple, en lisant la Gazette de l’Hirondelle au champ accessible gratuitement en ligne et dont certains numéros sont consacrés à ces espèces mal aimées et qui peuvent faire peur. Un numéro traite des serpents. Nombre d’idées fausses circulent à leur encontre. En France, les morsures mortelles sont extrêmement rares. Car il faut savoir qu’un serpent ne va pas gâcher du venin pour rien et n’est pas en capacité de nous manger. Les doses de venin qu’un serpent va employer sont adaptées à ses proies qui sont généralement de très petits mammifères.
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Enfin, c’est un point qui n’est pas abordé dans le livre : comment faire pour aider la faune à se protéger des différentes formes de pollution qui peuvent l’affecter ou répondre à l’incompréhension des voisins quand on cherche à faire revenir des animaux sauvages ?
Comme on dit dans le milieu écolo et bio, il faut toujours commencer quelque part. Ainsi, peut-être, soyons fous, donnerons-nous l’envie au voisin d’évoluer en ayant un jardin qui va produire et accueillir de la biodiversité. Il faut donner envie d’essayer un autre modèle d’autant plus que les parcelles peuvent évoluer et que de nombreux agriculteurs vont partir à la retraite.
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J’en parle un peu dans le livre, mais j’aurais pu développer plus, notamment sur les corridors écologiques. En effet, travailler en isolat ou en oasis n’est pas idéal et s’avère compliqué puisque les espèces ont besoin de circuler. D’où l’intérêt d’avoir un jardin connecté, les espèces se déplacent, ce qui est plus aisé pour les oiseaux que les mammifères terrestres comme le hérisson, l’hermine ou la belette, qui peuvent se trouver confrontées à de nombreux obstacles comme une route, des grilles.
Avez-vous un dernier mot ?
J’espère qu’en plus de faire du bien, ce livre donnera des idées concrètes à beaucoup de monde pour renouer un pacte avec le vivant. On en parle énormément, l’ouvrage donne beaucoup d’éléments concrets pour y parvenir. Il est possible d’aller plus loin et de dépasser les aprioris qu’on peut avoir sur les animaux sauvages. La faune a besoin d’être accueillie même sur une toute petite parcelle. Une fauvette, voire une colonie d’hirondelles, peut y retrouver une place.
Propos recueillis par Julien Leprovost avec Madeleine Montoriol
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Pour aller plus loin
Créer un jardin vivant – Accueillir la biodiversité et s’allier à la faune sauvage, par Sabine Couvent, éditions Ulmer, collection Résilience. À noter aussi chez le même éditeur la sortie de Reconnaitre les animaux du jardin par Hannes Petrischak
Le site Internet de l’association L’Hirondelle aux Champs
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Un commentaire
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Dany
Il fut un temps où les jardins étaient ouverts, sans grillage, sans murets…
Maintenant tout mes voisins ont bétonné, grillagé, coupé la haie qui leur fait tant de travail à devoir tailler.
C’est moche et je suis triste.
Fini les hérissons, les crapaux, les couleuvres. 😢😢😢😵💫😵💫