Plus d’une année après son arrivé au pouvoir, les prises de parole et les décisions de Jair Bolsonnaro, le président brésilien, ne cessent de susciter les interrogations et l’indignation. La journaliste brésilienne Giane Gatti a décidé d’écrire pour dresser le premier bilan de sa politique écologique, ainsi qu’un panorama de la situation du pays face à la menace du Covid-19. Ces deux phénomènes qui lui inspirent de grandes inquiétudes. Voici le premier article d’une série de deux, il est consacrée à la lutte contre la pandémie de coronavirus dans le pays. Le second est dédié au bilan de la politique environnementale de Bolsonaro.
Je m’appelle Giane Gatti. Je suis journaliste. J’habite à Rio de Janeiro, je tiens un blog et j’écris sur le développement durable. Je veux partager avec vous mon appréhension sur la manière dont le gouvernement de Jair Bolsonaro peine à répondre aux enjeux de la pandémie de coronavirus.
Un ministre de la Santé licencié en pleine crise
Après un conflit qui a duré environ un mois, le président brésilien Jair Bolsonaro a renvoyé le ministre de la santé Luiz Henrique Mandetta en pleine crise du coronavirus. Mandetta a préconisé l’isolement social comme mesure pour contenir la progression de la maladie, la même position adoptée par les États et les municipalités et en contrepoint Bolsonaro, défenseur de l’isolement vertical. On a vu le président se promener dans la rue à plusieurs reprises et il a même serré la main de ses sympathisants.
Lors d’une cérémonie, le nouveau ministre Nelson Teich, oncologue et homme d’affaires, se dit « totalement aligné » avec le président et parle d' »isolement intelligent« . Mais il n’a pas expliqué ce qu’il va faire de différent par rapport à la stratégie de Mandetta.
La chambre des députés a donné 30 jours à Bolsonaro pour publié les résultats des tests au coronavirus auxquels il a été soumis en mars. Plus de 20 personnes qui ont voyagé avec lui aux États-Unis sont malades. Le président avait auparavant assuré que son test était négatif.
L´ »Alliance des autruches », en étant caractérisée par le déni de la menace posée par le virus
Dans un éditorial du journal américain The Washington Post, Bolsonaro est considéré comme le pire leader mondial dans sa stratégie de lutte contre la pandémie. Le président, dans un discours national, a déclaré que le coronavirus était une « petite grippe« .
Le Financial Times, en revanche, a cité les dirigeants du Belarus, du Turkménistan, du Nicaragua et du Brésil comme l´ »Alliance des autruches », en étant caractérisée par le déni de la menace posée par le virus.
Économie contre vies
Est-il possible de sauver l’économie et des vies, ou ces choses s’excluent-elles mutuellement ? Le ministre de l’économie Paulo Guedes défend l’isolement social comme mesure de lutte contre l’augmentation des cas de coronavirus, mais il a déclaré que si cela dure trop longtemps, l’économie pourrait s’effondrer.
Par contre l’ancien président de la Banque Centrale du Brésil Armínio Fraga, a déclaré que la suspension de la quarantaine ne signifie pas que les gens vont dépenser de l’argent et que les emplois seront préservés dans leur intégralité. « Dans le cas du Brésil, ça toucherait un très grand nombre de personnes affaiblis économiquement et sur le plan de la santé. Parmi la population brésilienne, 38 % sont des personnes âgées, des malades chroniques ou les deux. Ce serait de la folie« .
Les mesures du gouvernement pour lutter contre la pandémie
L’équipe technique du ministère de l’Économie a présenté les actions du gouvernement visant à minimiser les impacts de la pandémie. Le montant total dépasse R$ 1 000 milliards (soit 175 milliards d’euros) selon le ministère, et les mesures ont été divisées en trois catégories: soutien à la population la plus vulnérable, lutte contre la pandémie et soutien aux États et municipalités. Les principales mesures à retenir sont:
– l’autorisation de la suspension des contrats de travail ou la réduction des salaires et des heures de travail pendant deux mois, pour réduire la masse salariale et éviter les démissions massives;
– l’octroi d’une aide d’urgence de R$ 600 (environ 100 euros) pendante trois mois et dans certains cas, des familles monoparentales, elle atteint R$ 1.200. Le travailleur doit répondre à certaines exigences et 54 millions de personnes devraient recevoir cette aide, selon le gouvernement;
– une aide de R$ 12 milliards aux micro-entrepreneurs est sur le point d’être signée;
– une aide financière de R$ 3 milliards pour les États et les municipalités;
– des investissements de R$16 milliards pour acheter des respirateurs, les respirateurs pulmonaires, les équipements de sécurité et les médicaments;
– distribution de 22 millions de tests pour le coronavirus (mais on ne sait pas quand ils arriveront);
Un groupe d’hommes d’affaires « de poids » des secteurs de la vente au détail, des banques, de la construction et du courtage a lancé le mouvement #nãodemita (ne licenciez pas) pour éviter ou minimiser un éventuel effondrement socio-économique.
Fragilité des travailleurs informels
La pandémie a mis en évidence la vulnérabilité des travailleurs informels, près de 40 millions au Brèsil, qui ne bénéficient d’aucune forme de sécurité sociale. La situation est d’autant plus difficile pour eux qu’ils vivent dans des quartiers pauvres. Et se trouvent de plus confronté au défi de maintenir l’isolement social dans les périphéries et les favelas, où la densité de population est élevée. On estime que 13,5 millions de brésiliens vivent dans des bidonvilles du pays, selon la Central Unique des Favelas (CUFA).
La crise risque d’aggraver la situation des plus vulnérables économiquement. Avant le début de la pandémie, le nombre de chômeurs avoisinait les 13 millions dans le pays auquel il faut ajouter toutes les emplois vulnérables. Le professeur de la Fondation Getúlio Vargas, Rubens Massa, rappelle que la base de l’économie brésilienne est constituée de micro et petites entreprises. « Ils représentent plus de 90 % des entreprises et génèrent plus de 55 % des emplois formels et ont créé plus de 70 % des emplois de la reprise économique de l’année dernière. Ils ont donc une grande importance macroéconomique« .
Le nombre des infectées pourrait être 13 fois plus élevé que les cas signalés
Une estimation du site Covid-19 Brésil, qui réunit des scientifiques et des étudiants de l’Université de São Paulo (USP) et de l’Université de Brasilia (UnB), entre autres centres de recherche du pays, indique que le nombre de personnes infectées au Brésil pourrait être 13 fois plus élevé que celui rapporté par le gouvernement. Plus de 313 000 personnes seraient déjà infectées. L’absence de tests à grande échelle et le manque de respect du confinement indiqueraient que le Brésil est le deuxième pays ayant la plus forte incidence de COVID-19 dans le monde, derrière les États-Unis.
Pourtant, le pays a les moyens de mettre en place des mesures d’hygiène de base comme le lavage des mains. Mais, le décalage entre la pauvreté et les ressources disponibles révèle toutes les contradictions du Brésil. Le pays possède le plus grand potentiel en eau au monde, mais 100 millions de personnes ne disposent pas d’un assainissement de base (la moitié de la population) et 35 millions n’ont pas accès à l’eau potable (Recherche Trata Brasil et BRK Ambiental).
L’absence de tests à grande échelle et le manque de respect du confinement indiqueraient que le Brésil est le deuxième pays ayant la plus forte incidence de COVID-19 dans le monde, derrière les États-Unis.
Plusieurs ONG, ainsi que la société civile partout dans le pays, ont lancé des campagnes de donnation de nourriture et du matériel d’hygiène à des millions de brésiliens qui, en restant chez eux, n’ont rien à manger. Il a y des trés beaux exemples qui nous rappelent qui nous sommes l´unique espèces capable de collaborer d´une manière très sophistiquée.
Un système de santé qui peine à faire face à la crise du coronavirus
Il convient de mentionner le Système de Santé Unique (SUS), créé après la Constitution de 1988, l’un des systèmes de santé publique les plus vastes et les complexes au monde, allant des soins primaires à la transplantation d’organes, au traitement du cancer et à la distribution de médicaments, et qui garantit un accès total et gratuit à toute la population. Le SUS est un exemple pour plusieurs pays, mais il a subi de sévères réductions budgétaires ces dernières années, avec la promulgation d´un amendement constitutionnel en 2016, qui a limité les dépenses publiques pendant 20 ans. Nous assistons à une destruction progressive du SUS. Le secteur de la recherche scientifique et de l’éducation ont également été très touchés.
Malgré le manque d´investissements, le pays abrite des laboratoires de recherche renommé. Le Fiocruz, par exemple, a été désigné Laboratoire de référence des Amériques par l’Organisation Mondiale de la Santé, aux côtés du Laboratoire CDC aux États-unis.
Aujourd’hui, le Brésil cherche désespérément à acheter des réactifs pour les tests et des équipements de protection pour les professionnels de la santé (dont 90 % sont fabriqués en Chine). Mais outre le fait que les États-Unis prennnent du matériel destiné à la France par le fait qu’ils payent cash, la situation brésilienne est encore plus compliquée après les tensions diplomatiques qui ont commencé le mois dernier, lorsque le membre du Congrès et fils du président, Eduardo Bolsonaro, a critiqué la posture de Pékin au début de la pandémie sur un réseau social et a fait réagir l’ambassade du pays de manière incisive. Le président de la Chambre des Députés, Rodrigo Maia, et le chancelier Ernesto Araújo ont dû s’excuser. Et au début de ce mois, c’était au tour du ministre de l’Éducation, Abraham Weintraub, de publier sur Twitter un message laissant entendre que la pandémie servait le désir de la Chine de « dominer le monde« . Ces commentaires vont-ils créer des restrictions sur l’envoi du matériel si nécessaire pour sauver des vies au Brésil?
Les systèmes de santé des États d’Amazonas et de Ceará se sont déjà effondrés et la situation commence à être grave à São Paulo.
Le docteur en Science Átila Iamarino signale le lien entre le covid et les inégalités. “Il est difficile de rester à la maison quand il faut marcher des kilomètres pour avoir de l’eau pour se laver les mains. Et les régions où nous voyons déjà des panneaux rouges, comme des parties d’Amazonas et du Ceará, où le système de santé s’effondre déjà, font partie des régions les plus vulnérables qu’ils ont observées”.
Ceux qui souffriront le plus sont les pauvres, les plus vulnérables.
Dans une interview au journal Globo, Miguel Srougi, l’un des chirurgiens les plus respectés du pays, affirme que ceux qui souffriront le plus sont les pauvres, les plus vulnérables. « Ils vont mourir aux portes des hôpitaux, ils ne pourront pas y entrer, et encore moins recevoir un tube pour respirer et survivre à une pneumonie. Les pauvres vont mourir sur le trottoir ». Et ajoute: « Il y a des gens qui flirtent avec l’obscurité« .
La planète nous dit: Stop!
L’humanité s´est contraint de s’arrêter, mais seul le monde artificiel des humains s’est arrêté. « Depuis notre enfance, nous avons appris qu’il existe des listes d’espèces en danger. Au fur et à mesure que ces listes s’allongent, les humains prolifèrent, détruisant les forêts, les rivières et les animaux. Nous sommes pires que Covid-19 », garantit le leader indigène Ailton Krenak.
Que ce soit au Brésil, en Europe, en Chine, en Afrique…On doit faire nos choix maintenant : qu’est-ce que je vais faire de différent dans ma façon de vivre et de consomme r? C´est le moment de me renouer avec mon humanité.
Le navigateur et écrivain brésilien Amir Klink, qui a 15 voyages en Antarctique dans sa biographie et a déjà fait face à 22 mois consécutifs de navigation solitaire, dit qu’il a du mal à rester silencieux dans le confinement. Sur un bateau, il y a toujours une routine à réaliser.
“Savez-vous quelle est la qualité la plus cool du bateau ? Il coule. Et l’humanité est au sommet d’un petit bateau appelé Terra. S’il y a un trou, tout le monde doit enquêter et agir ensemble”.
Giane Gatti
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