Un jour, en allumant la télévision, Fabio tombe par hasard sur la solution : « Un professeur d’électricité proposait, pour baisser les coûts de branchement et d’exploitation, de transformer un courant triphasé en monophasé, un système artisanal beaucoup moins puissant mais dix fois moins coûteux, largement suffisant pour les activités des paysans. Tout à coup, la lumière s’est allumée dans ma tête ! » Mis en place au temps de la dictature militaire pour les besoins des industries dans les grandes villes, le coût de branchement du système triphasé pour brancher une habitation isolée revenait à 7000 US$ dans les années 80, soit huit années de revenus pour un petit fermier ! Une somme colossale comparée aux 450$ nécessaires à l’installation d’un système monophasé. « Personne ne s’intéressait à ce Père-la-Science. Pourtant, sa trouvaille allait nous aider à changer la vie d’un million de Brésiliens. J’ai immédiatement décidé de le rencontrer. »
Commence alors pour Fabio une longue épopée semée d’embûches. « Très longtemps, j’ai eu l’impression de faire un pas en avant, deux pas en arrière. J’ai rencontré un à un les agriculteurs et les maires de nombreux villages pour les convaincre. Mais quand l’implantation du monophasé est devenue trop visible, trop répandue, les politiques, souvent liés aux intérêts des institutions ou des compagnies d’électricité ont commencé à me mettre des bâtons dans les roues. J’ai dû lutter contre le monopole de l’électricité et contre les intérêts particuliers, politiques et économiques. Chaque fois que je croyais parvenir à mes fins, un changement de représentants politiques m’obligeait à reprendre mon travail de lobbying depuis le début ! » Les premières années, le projet d’électrification des campagnes brésiliennes, proposé par Fabio Rosa, est financé par les institutions régionales. « J’étais totalement tributaire de leur mansuétude, se souvient l’écologiste. Dès que mon action devenait gênante, on me coupait les vivres ou on m’interdisait de continuer. »
En 1992, le pionnier brésilien de l’électrification décide alors de s’affranchir de toutes subventions publiques en créant STA (Agroelectric of Appropriate Technology), une entreprise commerciale qui vend du matériel et des prestations électriques. Les bénéfices engrangés assureront le financement des actions de son association, IDEEAS (Institute for Development of Natural Energy and Sustainability), qui, aujourd’hui encore, œuvre pour l’accès à l’électricité pour les plus pauvres.
Pas à pas, Fabio finit par obtenir le soutien de quelques décideurs politiques de bonne volonté, et réussit à convertir de nombreuses régions à la norme 025, celle du système monophasé. « Au fur et à mesure, les choses se sont décantées. Comme la viabilité du système et son impact positif sur les paysans de Palmares do Sul et des villes alentours avaient déjà été démontrés, j’ai eu de moins en moins de difficultés à convaincre mes interlocuteurs. ». Fabio Rosa parvient même à sensibiliser l’entourage du Président Lula, fraîchement élu, qui prévoit, en 2003, d’étendre le monophasé à 80% des Brésiliens, en débloquant un budget de quatre milliards de dollars. « J’étais euphorique, j’avais enfin atteint mon but ! Mais peu à peu, j’ai déchanté en réalisant que cette annonce était un peu populiste. Car même si elle est mise en œuvre jusqu’au bout, elle ne concernera ni les paysans les plus démunis –qui ne peuvent pas se payer le branchement-, ni les plus isolés –qui sont trop éloignés des grandes lignes électriques pour se raccorder. Au Brésil, cela représente quand même 20 millions de personnes ! » Fabio se remet alors à plancher sur des solutions applicables au plus grand nombre. Il pense à l’énergie solaire, accessible presque toute l’année au Brésil mais l’équipement est encore plus onéreux que les branchements monophasés.
C’est là tout le génie de Fabio Rosa : trouver des solutions aux problèmes les plus complexes : « Partant du principe qu’une famille pauvre dépense en moyenne 11$ par mois pour acheter du kérosène et des bougies –une donnée incompressible-, je me suis dit que c’était le seuil à ne pas dépasser pour éviter le surendettement, et apporter une solution viable et durable à des millions de familles .» Sa démonstration est simple, son discours bien rôdé. Il poursuit ses explications comme on expose un problème de maths à une classe de cours préparatoire. « Un kit solaire coûte 400$, en prix d’achat chez le fabricant. Avec les coûts d’installation, cela fait un budget total de 700$. Les paysans pourront en faire l’acquisition à raison de 10$ par mois pendant trois ans, plus les frais fixes d’installation. Et pour que mon idée soit vraiment efficace, j’ai développé un service après-vente sans faille en mettant à disposition des équipes de maintenance qui non seulement viennent à domicile pour implanter le système solaire et le circuit électrique mais interviennent aussi pour l’entretien en cas de panne. »
La solution imaginée par Fabio Rosa pour permettre l’accès à l’électricité aux plus isolés se rapproche du leasing, un principe de location-vente qui rappelle celle du microcrédit développée par Muhammed Yunus, célèbre économiste bangladais. Grâce au soutien d’Ashoka (www.ashoka.asso.fr/), organisation qui soutient les entrepreneurs novateurs dans le domaine de la solidarité, de la santé, de l’éducation ou de l’environnement, son business model, appelé « Luz agora » (Lumière maintenant) a été validé par McKinsey, une entreprise internationale leader en conseil stratégique aux entreprises.
Aujourd’hui, grâce à Fabio Rosa, plus d’un million de Brésiliens bénéficient d’un accès à l’électricité. De plus, grâce à l’électrification des campagnes, le prix des terres excentrées ont pris de la valeur, et les agriculteurs ont multiplié leurs rendements de manière considérable. Après trente ans de combat, cet acteur du changement est aujourd’hui écouté et considéré -au vu de ses nombreux prix et autres distinctions internationales- comme un héros des temps modernes. Les modèles, développés et mis en œuvre par IDEAAS, servent désormais de référence aux programmes nationaux et internationaux. Ses idées lumineuses ont essaimé en Argentine, en Uruguay, au Paraguay et en Afrique du Sud.
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