Enthousiasmé, Paul voit rapidement plus loin, plus grand. Il ne souhaite plus seulement toucher les élèves de son établissement, mais veut que le message soit transmis au plus grand nombre. Seule solution : impliquer le plus grand nombre. Paul sait qu’il ne peut pas compter sur les politiques et que les institutions gouvernementales sont affaiblies par le conflit libanais. Il fait le pari d’une expansion du message par le bas, au niveau local, et se tourne vers d’autres enseignants pour l’aider. De 1990 à 1993, parallèlement à ses heures d’enseignement, il se charge d’éduquer les professeurs au développement durable. Petit à petit, grâce à la participation de ses collègues, les bonnes pratiques se développent et s’étendent dans les classes de la région. Les jeunes élèves appliquent avec enthousiasme leurs acquis. Mieux, ils incitent leurs familles à pratiquer les bons gestes quotidiens. Les efforts payent, le message est transmis. Avec cette réussite, Paul veut aller plus loin.
En 1995, il décide de se lancer dans une campagne nationale de recyclage du papier dans les écoles. Avec Maria, une collègue d’enseignement, il crée une poubelle pédagogique qui facilite le recyclage, le Papivore malin. Le principe : une boîte détaillant les mécanismes du tri et du recyclage sur son contour. C’est un outil simple et facile à diffuser. Cinq mille contenants sont construits et distribués à travers le pays. Face au bilan positif de cette première expérience, Paul lance ensuite une campagne contre la construction d’une autoroute : le projet menace la forêt de Baabda, la dernière forêt naturelle à côté de Beyrouth. Paul organise des sorties pédagogiques dans cette forêt. Les enfants apprécient la possibilité d’être au contact avec la nature. Ils prennent consciences de sa fragilité. Ils sont encadrés par les professeurs ainsi que par des bénévoles de la Croix Rouge qui font partis du groupe d’amis de Paul. C’est avec eux qu’au cours des années qui suivent, notre éducateur écolo va continuer à mener à bien différents projets environnementaux : le développement de jardins écologiques, la campagne « Ecocitoyen libanais ».
Parallèlement à ces activités, Paul compose. La musique a toujours fait partie de sa vie. Il en a commencé l’apprentissage aux camps scouts, puis a poursuivi la tradition des veillées autour du feu lors de ses missions de secourisme à la Croix Rouge. Paul connaît le pouvoir de la musique ; il veut la mettre au service de la cause. Ainsi, il se constitue un répertoire de chansons traitant de l’environnement. En 1996, Paul teste un nouveau procédé pédagogique dans ses cours d’éducation à l’environnement : les conférences chantées. Accompagné de sa guitare, il fredonne aux élèves un air original accompagné de messages écologiques et de conseils concrets. Les chants sont principalement en arabes mais aussi en français et en anglais. Dans certaines chansons, Paul suit les modernismes du langage libanais et mélange les trois pour la plus grande joie de son auditoire. Il s’adresse ainsi à toutes les communautés du pays. De village en village, Paul va ainsi porter son message musico-écologique aux jeunes générations libanaises à travers tout le pays. Au début des années 2000, son action est remarquée par le gouvernement, qui décide d’inclure certaines chansons dans le cursus scolaire national.
Près de 10 ans après ses débuts, des milliers d’enfants enchantés et une douzaine d’opérations réussies Paul décide de donner plus de visibilité et un cadre légal à son association de bénévoles. En 2002 naît l’ONG T.E.R.R.E Liban. L’acronyme signifie Tentons Ensemble de Réaliser un Rêve pour nos Enfants, une idée du frère de Paul. Depuis cette date, l’organisation continue à réaliser les mêmes projets qu’auparavant : des missions courtes et ciblées sur des problèmes ou des zones particulières. T.E.R.R.E. Liban s’autofinance entièrement à partir de ses campagnes. Par exemple, l’argent de la vente des cahiers faits à partir du papier collecté et recyclé est réinvesti dans d’autres programmes. Ce fonctionnement permet à l’ONG d’être entièrement libre de ses choix comme à ses origines. Elle a cependant évoluée : Paul pense aujourd’hui que T.E.R.R.E. doit se lancer dans le lobbying. « À l’époque, la guerre a dégradé l’environnement du pays, mais aujourd’hui cette destruction est pleinement consciente, elle est dictée par le développement économique du pays et la soif de richesse. Le Liban est envahi par les pétrodollars des pays voisins désertiques qui cherchent à s’approprier l’eau et les forêts libanaises ». Les investissements arrivent plus vite que les actions de sauvegardes des associations. « Il faut s’adresser aux politiques pour qu’ils prennent des mesures responsables contre toutes ces dégradations ».
A la question de savoir s’il est optimiste pour l’avenir, Paul répond qu’il a assisté à un double phénomène d’ascendance écologique : un premier, intergénérationnel, où les écoliers ont transmis les gestes à leurs parents ; un second, générationnel, où les élèves aujourd’hui à la tête de commerces ont lancé des projets verts dans le secteur privé. « Je ne suis pas optimiste pour l’avenir, ni pessimiste. Je suis heureux aujourd’hui de constater les résultats de nos actions et prêt à continuer pour la planète et nos générations futures ».
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