Yann Arthus-Bertrand et Julien Leprovost : « Le prix du lait payé aux éleveurs, une honte française avec laquelle il faut finir »

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L'éleveur Jerôme Triffault © Yann Arthus-Bertrand

Quelques centimes par litre feraient la différence, mais les éleveurs restent contraints à vendre à perte, s’indignent, dans une tribune au « Monde », le photographe et président de la fondation GoodPlanet, et le responsable éditorial du magazine « GoodPlanet mag ».

Tribune En temps de paix comme en temps de guerre sanitaire, ils s’emploient à nous nourrir sept jours sur sept et en travaillant beaucoup plus que trente-cinq heures. Scandale : leur travail ne les nourrit pas. Tel est le sort réservé à ses agriculteurs par notre société coupée de son lien sacré avec la terre. Le superflu se paye au prix fort, l’essentiel est bradé, avec notre accord tacite. Le prix du lait l’illustre de façon pathétique. Malgré le vote d’une loi visant à défendre leurs intérêts [loi alimentation, entrée en vigueur le 1er février 2019], les éleveurs laitiers meurent d’une quête effrénée : les marges les plus élevées pour les intermédiaires, le prix le plus bas pour le consommateur. Quel que soit le monde d’après le Covid, permettons-leur de vivre enfin dignement. Soyons solidaires quand nous achetons leurs produits.

Se conformer aux attentes de l’industrie

Les éleveurs laitiers nous alertent depuis des années sur l’impossibilité de vivre de leur métier. L’effondrement des cours du lait a ruiné leur modèle économique, leurs exploitations ne sont plus rentables. Ils ont pourtant investi pour se conformer aux attentes de l’industrie. Les laiteries qui collectent et transforment le produit de la traite sont souvent en position de monopole et payent un prix injuste. Les producteurs sont contraints de leur vendre à perte une marchandise périssable. Bref, ils sont les otages d’un système inique de l’agro-industrie : soit tu vends à perte, soit tu ne vends rien et tu cours plus vite à ta perte…

Les producteurs sont contraints de leur vendre à perte une marchandise périssable. Bref, ils sont les otages d’un système inique de l’agro-industrie : soit tu vends à perte, soit tu ne vends rien et tu cours plus vite à ta perte…

Le prix du lait payé aux éleveurs est une honte française. Pourtant, la détresse des producteurs laitiers ne semble ni entendue, ni susciter un large soutien de l’opinion et des autorités. Est-ce parce que 80 % d’entre nous vivent en ville et ont perdu contact avec la nature et la ruralité ? Ou sommes-nous devenus des consommateurs obsédés par l’idée de payer au plus bas les produits de l’agriculture, sans considération pour la planète et ses habitants ? Ou est-ce le constat, hélas réaliste, qu’« il ne faut pas tout attendre de l’Etat », comme l’avait dit Lionel Jospin [en septembre 1999, à propos de licenciements chez Michelin] ?

Nous sommes indignés qu’un litre de lait rapporte 35 centimes en moyenne aux éleveurs et la vente d’un veau entre 5 et 30 euros. On leur avait pourtant demandé d’investir et de changer leurs pratiques pour produire à l’année du lait qu’ils devaient vendre au moins 40 centimes… Or la loi du marché a fait que le compte n’y est pas : 35 centimes, c’est insuffisant pour couvrir leurs charges. Travailleurs parmi les plus précaires du XXIe siècle, ils demandent à vivre de leur activité, non de plus de subventions. Quelques centimes par litre peuvent faire la différence.

Le monde agricole est en crise depuis des décennies. Derrière cette rengaine se nouent bien des drames : précarisation des métiers, sentiment de ne plus s’en sortir, désertification des campagnes, manque de vocations, solitude, suicides… Les prix bas détruisent l’agriculture et l’élevage.

Et pourtant, sans ces activités pratiquées depuis près de dix millénaires, il est impossible de se nourrir, de vivre. Avons-nous oublié d’où vient le contenu de nos assiettes ? La mise en concurrence perpétuelle ne doit pas nous conduire à occulter une priorité : chaque profession est en droit d’exiger de vivre décemment de son activité.

Un travail à temps plein, qui ne paie pas

Donner du lait aux enfants semble une évidence. Néanmoins, le payer un juste prix, permettant à nos paysans de vivre dignement, n’est pas encore aussi évident pour tous. Elever des animaux est une activité à temps plein qui ne s’arrête jamais. Il faut sans cesse surveiller, contrôler, soigner les bêtes. Un métier riche et passionnant, à en croire ceux qui l’exercent, mais physique et difficile, laissant très peu de répit. Comment accepter de surcroît que ce travail ne paye pas ? Julie Renoux, vétérinaire dans l’ouest de la France, nous disait ces mots terribles à propos des éleveurs qu’elle côtoie : « La honte, la frustration, l’amertume, le sentiment d’injustice prennent le pas sur la passion. » Les éleveurs laitiers se sentent abandonnés et ne récoltent que factures et dettes. Pris à temps plein par l’élevage, il leur est difficile de se mobiliser.

Lire aussi de Julie Renoux Coup de gueule : éleveur de vaches laitières en France = esclave

La dignité du travail passe nécessairement par sa reconnaissance économique, mais plus d’un agriculteur sur cinq dans notre pays vit sous le seuil de pauvreté. L’enjeu dépasse le monde agricole. Une fois de plus, cette satanée poursuite de la croissance et des profits entraîne dans son sillage des vies humaines. Car, au-delà des éleveurs, il faut aussi, collectivement, nous demander au détriment de qui et de quoi se fait notre mode de vie ? Répondre à ces questions serait déjà un premier pas vers un monde plus juste et plus écologique impliquant de revoir tous les modèles économiques actuels dont les ravages ont par trop perduré. Dénoncer ne suffit plus, il faut agir et mettre en valeur ceux qui donnent l’exemple. Or nous avons ce pouvoir. Chacun d’entre nous dispose de deux cartes pour changer la donne : sa carte d’électeur et sa carte bancaire. Le coronavirus a montré qu’il était possible de tout bousculer, pourquoi pas aussi pour le lait ? Et pour d’autres secteurs de la production agricole ?

Circuits de distribution alternatifs

Les coopératives de consommateurs sont des initiatives formidables reposant sur la confiance, l’intérêt mutuel et le respect entre acheteurs, vendeurs et producteurs. Des circuits de distribution alternatifs se développent. « Notre point de départ, nous dit Nicolas Chabanne, [fondateur de la coopérative C’est qui le patron ?, un des acteurs de ce nouveau secteur, fut de découvrir qu’il manquait seulement 8 centimes par litre à un producteur pour qu’il vive de son métier. Et comme le buveur de lait moyen en consomme 50 litres par an, cela aboutit à l’incroyable chiffre de 4 euros par an à rajouter à son budget annuel pour que les producteurs vivent de leur travail. »

Dénoncer ne suffit plus, il faut agir et mettre en valeur ceux qui donnent l’exemple. Or nous avons ce pouvoir. Chacun d’entre nous dispose de deux cartes pour changer la donne : sa carte d’électeur et sa carte bancaire.

Le désormais fameux « monde d’après » reste à construire, mais ce que le lait nous en dit est évident : nous voulons et nous pouvons reprendre le contrôle de l’économie afin qu’elle devienne un outil au service de tous et non plus un moyen de recherche du profit à n’importe quel prix. Ces quelques centimes qui font la différence ne devraient plus être une question. Dans le monde de demain, il devra être interdit d’acheter aux éleveurs en dessous de leur prix de revient. Finissons-en avec un système absurde et destructeur.

Le prix du lait payé aux éleveurs, une honte française avec laquelle il faut finir
par Yann Arthus-Bertrand et Julien Leprovost
Publié initialement dans Le Monde

9 commentaires

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    • Michel CERF

    Comment pouvez vous ignorer que le lait est fait pour le veau et non pour les humains dont la consommation provoque un nombre important de maladies , artériosclérose , diabète , cancer du sein et de la prostate , ostéoporose car son calcium n’est pas assimilé par l’organisme qui est obligé pour cela de puiser le calcium des os , le lait est indigeste et fait parti des GRANDS TOXIQUES de notre alimentation .

    • Michel CERF

    Que cache cette photo attendrissante ?… certainement pas la triste réalité .

    • Christine Mayor

    Et pas un mot sur l’enfer des vaches laitières

    • Francis

    Christine, cet enfer n’existe que dans votre imagination.
    Rappelez vous aussi les insultes ignobles de Lionel Jospin premier ministre à la tribune de l’assemblée nationale envers les éleveurs victimes de l’épidémie de vaches folles dont on savait déjà à l’époque qu’ils n’y étaient pour rien dans l’émergence de la maladie.

    • Flavien

    Non Michel, le veau ne peut pas fêter tout ce que la vache produit. Il est également incapable de manger du fromage ou des laits fermentés. On les retrouve aux 4 coins de la planète dans des civilisations aux pratiques ancestrales.

    • J.M Bousquet

    Bonjour, Celà fait longtemps que nous achetons du café de marque solidaire et issu de différentes régions du monde. Je pense que les producteurs de lait (paysans et autres éleveurs) devraient se démarquer de ces grandes enseignes qui les spolient. Ce circuit – plus long au demeurant – trouverait sa justification dans cette rétribution plus juste envers Celles et ceux qui produisent cet aliment essentiel à la croissance des plus jeunes et ? à la satiété des plus gourmands (pâtisserie en tous genres). Les cours boursiers deviendraient plus équitables. Les actionnaires n’ayant rien à voir dans l’affaire. Et si ces derniers perdent quelques pépites, on n’en fera pas une maladie.

    • Méryl Pinque

    La honte, c’est d’exploiter nos frères animaux, de les faire se reproduire, d’arracher les bébés aux mères et de les envoyer pour finir à l’abattoir, afin de se gorger de produits d’origine animale dont non seulement nous n’avons pas besoin pour vivre, mais qui en plus détruisent l’environnement et nuisent gravement à notre santé (car ils ne sont pas faits pour nous).

    L’humanité : une espèce folle.

    • Pluton

    Il faut raison garder. La production laitière comprend aussi tous les fromages. Je ne bois plus de lait mais je consomme des fromages! J’ai entendu parler d’un projet de traité commercial entre l’UE et Australie – Nouvelle Zélande dans lequel il serait question d’importations de lait. Cette information, si elle se vérifiait, serait la fin de notre industrie laitière. Si vous allez sur le site des Safer, vous verrez que le gros des mises en vente concerne des fermes laitières. L’avenir est sombre!

    • Michel CERF

    Flavien vous m’avez mal lu , je dis que le LAIT de vache est fait pour le veau , comme le lait maternel est fait pour le bébé .

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