Ethnobotaniste, François Couplan est un éternel amoureux des végétaux. Ce passionné intarissable raconte dans ses livres, dont le dernier Ce que les plantes ont à nous dire sa relation si particulière avec la flore sauvage. François Couplan revient dans cet entretien sur ce que les végétaux ont de merveilleux à nous proposer.
Qu’est-ce que les plantes peuvent nous dire afin de préparer le monde d’après la pandémie de coronavirus ?
Nous avons tendance à les oublier ou à ne pas les voir, pourtant les plantes nous disent qu’elles sont là et que, sans elles, nous ne pourrions pas vivre. Elles sont à la base de la pyramide de la vie sur Terre. Elles fabriquent l’oxygène, elles sont à l’origine de toute l’alimentation que nous consommons, directement ou indirectement par l’intermédiaire d’animaux qui s’en sont nourris.
Nous devrions être plus reconnaissants envers les plantes. Il se révèle possible de se nourrir directement avec les végétaux qui poussent autour de nous spontanément dans la nature. L’espèce humaine moderne existe depuis plus de 315 000 ans, l’agriculture remonte à 10 000 ans donc pendant 300 000 ans l’Homo Sapiens s’est en partie alimenté de plantes sauvages. Nous en avons perdu la conscience avec le développement de l’agriculture qui s’est répercuté sur nos habitudes.
Pendant 300 000 ans l’Homo Sapiens s’est en partie alimenté de plantes sauvages
Quel regard portez-vous sur la crise actuelle du Covid-19 ?
Cette pandémie n’est pas en soi une crise, mais le révélateur supplémentaire des dysfonctionnements de nos sociétés issues de la révolution néolithique et de l’invention de l’agriculture. Les épidémies remontent aux premières concentrations humaines. Nous descendons de celles et ceux qui ont résisté aux précédentes épidémies. Grâce au stockage de l’énergie au travers des céréales et des légumineuses, les sociétés humaines sont devenues matérialistes , inégalitaires, génératrices de guerres, de maladies, de famines et de pollutions et craintives de la mort, tout en se coupant des réalités de la vie. La première graine que l’être humain a mise en terre contenait les germes de la bombe atomique, et des épidémies, dont la plus terrible a tué 80 % de la population amérindienne lorsque les Européens ont débarqué en Amérique.
Quelles ont été les répercussions du développement de l’agriculture ? Et, au niveau alimentaire, que peuvent nous apporter les plantes sauvages ?
Cette évolution pose des problèmes physiologiques quant aux apports nutritionnels. Les plantes cultivées apportent très bien des glucides, des lipides et des protides. Ces trois nutriments peuvent être complétés par une alimentation carnée. Cependant la nourriture issue de l’agriculture se montre peu performante pour fournir des apports en micronutriments. Ces derniers, essentiels, regroupent les sels minéraux, les oligoéléments, les vitamines, les flavonoïdes qui sont des antioxydants. Ainsi, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 20 à 30 % de la population mondiale aurait des carences en vitamines C ou D, en fer ou encore en flavonoïdes. Or, les plantes sauvages s’avèrent très riches en micro-nutriments. Par exemple, l’ortie contient 8 fois plus de vitamines C que les oranges, autant de calcium que le fromage et 3 fois plus de fer que les épinards, toujours dans ses feuilles, il y a des protéines équilibrées en acides animés essentiels, c’est-à-dire qui possèdent la même valeur nutritionnelle que la viande, le poisson, le fromage ou encore les œufs.
L’ortie contient 8 fois plus de vitamines C que les oranges, autant de calcium que le fromage et 3 fois plus de fer que les épinards
En quoi les plantes peuvent aider face au coronavirus ?
Avec tous leurs apports, les plantes peuvent favoriser la résistance du système immunitaire. J’étais surpris de constater si peu de messages recommandant de le renforcer afin de faire face aux infections. Le système immunitaire fait partie des outils dont dispose notre corps pour se défendre. Il diffère selon les personnes et leurs manières de prendre soin de leur organisme. Notre système immunitaire n’est pas figé, il s’améliore ou se dégrade, notamment en fonction de l’alimentation. Par exemple, durant le confinement, à la campagne, j’allais cueillir des plantes courantes comme des orties ou des égopodes afin de m’en nourrir.
L’autosuffisance alimentaire et la production locale redeviennent des priorités, comment les plantes sauvages peuvent y aider ?
Il faut d’abord évaluer ses besoins alimentaires ainsi que relationnels. À 20 ans, j’ai voulu m’extraire de la société, j’ai alors estimé mes besoins : de l’air, de l’eau, cela peut se trouver dans des sources non-polluées et de quoi me nourrir, j’ai estimé que je pouvais m’en tirer en ayant une alimentation essentiellement végétarienne. Pour être indépendant, j’ai suivi un cours afin de savoir quelles plantes sauvages pouvaient me nourrir puis je suis parti vivre dans les bois une dizaine d’années. À chacun de voir ses besoins ainsi que ses connaissances et de décider s’il veut mettre l’accent sur les pantes sauvages ou cultivées.
Justement, comme ethnobotaniste, vous mettez en avant la perte d’une partie des savoir-faire traditionnels au sujet des plantes avec la modernité. La crise actuelle peut-elle donner l’opportunité de réinventer de nouveaux métiers afin de revaloriser ces connaissances et ces usages ? lesquels ?
Oui, je le fais déjà car je dispense des formations dans ce sens afin de changer le regard des gens sur les plantes, leur apprendre à identifier ce qu’ils peuvent manger. Je propose une formation de 3 années afin de permettre à mes élèves de développer un projet professionnel autour des plantes. Nous avons perdu une partie des connaissances liées à l’usage des plantes sauvages, mais comme de plus en plus de personnes s’intéressent au sujet il y a de la place pour encadrer des gens de bonne volonté mais un peu perdus dans le vaste monde végétal.
Est-ce possible dans un pays comme le nôtre où plus de 80 % de la population vit en ville ?
De plus en plus de personnes désirent se reconnecter avec la nature en développant une relation avec les plantes qui change notre regard sur le vivant. Cela modifiera la manière dont elles conduisent leur vie et veulent être plus proches de la nature en trouvant des manières de faire qui fonctionnent sur le long-terme. Les plantes peuvent donner des pistes concrètes pour faire autrement.
Savoir utiliser les plantes sauvages serait un atout important
Tous les gens qui ont pu fuir la ville, l’ont fui durant le confinement. S’il y avait une véritable crise, ce serait en effet plus facile de se procurer de quoi manger à la campagne. Savoir utiliser les plantes sauvages serait un atout important.
Quand on vit en ville, on peut aller récolter des plantes sauvages. Je vis à Paris, je prends le RER pour aller en forêt de Saint-Germain en chercher. Après bien sûr, dans le cas d’une crise grave le Bois de Boulogne et de Vincennes ne suffiront pas aux Parisiens pour se nourrir.
Que vous apporte ce rapport si spécial aux plantes dont vous parlez sans cesse ?
Les plantes sont des êtres vivants avec lesquels il est possible de développer des rapports qui nous comblent et qui nous font réfléchir à la profondeur des réalités de la vie. Depuis tout petit, j’ai appris à m’émerveiller devant le monde végétal dans la nature et même en ville. À Paris, au carrefour de l’Odéon, à la sortie du confinement, j’ai passé un quart d’heure à admirer et sentir avec mon masque sur le net une absinthe. La relation avec les plantes est ainsi une sorte de surréalisme qu’on vit dans sa vie quotidienne.
Il n’y a pas de soucis à se faire pour les végétaux et la nature
Que peuvent nous dire les plantes sur les crises écologiques, notamment le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, auxquelles l’espèce humaine fait face ?
L’humanité disparaîtra, bon débarras, pour reprendre le titre d’un livre connu. Cyniquement et abruptement, en reprenant les concepts de l’écologie profonde (NDLR l’écologie profonde, traduction française de l’expression anglaise deep ecology, est un courant de pensée écologiste qui appelle à ne pas voir les enjeux environnementaux uniquement sous le prisme des besoins humains et n’accorde pas une place spécifique à l’être humain parmi les espèces qui composent le vivant), je dirais qu’il n’y a pas de soucis à se faire pour les végétaux et la nature. Néanmoins, la disparation d’une espèce m’attriste, c’est dommage car elle est alors perdue. Je fais aussi partie de l’humanité, je ne souhaite donc pas disparaître ni voir mes semblables souffrir et disparaitre. Beaucoup de gens souffrent car ils ne comprennent pas ce qui se passe actuellement.
Et, pour en revenir aux plantes ?
Du point de vue des plantes, à cause du réchauffement climatique notamment, des espèces disparaissent. D’autres végétaux migrent vers des régions au climat plus propice à leur développement ou en altitude.
Au mieux, les plantes sont vues comme des légumes ou des plantes ornementales, au pire comme des mauvaises herbes…
Lorsqu’on parle d’écologie, on pense souvent à la disparition des espèces animales. Les plantes sont-elles les grandes oubliées quand on aborde les questions d’érosion et de préservation de la biodiversité ?
Oui, c’est une question de proximité et d’altérité. Les plantes semblent loin de nous, donc effectivement quand on va parler des problématiques écologiques on va d’abord parler des animaux, des pandas, des tigres, des éléphants… c’est tout à fait normal, je suis le premier à être attiré par ce qui bouge dans la nature.
Les plantes, en partie parce qu’elles ne bougent pas, sont différentes de nous tandis que les animaux apparaissent proches de nous. On a tous envie d’avoir un nounours, même les loups soit on les adore soit on les déteste, c’est un animal et un clivage puissant. Au mieux, les plantes sont vues comme des légumes ou des plantes ornementales, au pire comme des mauvaises herbes…
Qu’est-il possible de faire pour protéger les plantes et le vivant dans son ensemble ?
Quand on est un jardinier, ne pas arracher les mauvaises herbes, mais au contraire s’intéresser à elles. Le respect consiste à les laisser vivre, à réfléchir si son jardin correspond à ses besoins et à la place qu’on peut laisser à une part sauvage de nature pour les plantes, les insectes, les bestioles et les êtres humains.
Le consumérisme permet d’éviter de se poser les grandes questions existentielles, y compris celle de ce que nous faisons sur Terre
Et, si on n’a pas de jardin ?
De manière générale, sans réaction de notre part, ces crises écologiques du climat et de la biodiversité nous joueront des tours sans réaction radicale de notre part. Cela commence par s’interroger individuellement sur nos besoins fondamentaux avant d’envisager une action collective et politique.
Tout ce que nous consommons provient des ressources naturelles, donc des terrains pris sur la nature. En être conscient et réduire notre impact permet de donner plus de place aux plantes et aux animaux.
Durant le confinement, grâce à mes cueillettes quotidiennes de plantes, je me nourrissais pour moins de 5 euros par jour à deux en complétant avec d’autres produits comme du fromage, du piment, de l’ail, de l’huile d’olive. Tout le reste est du superflu, je n’ai pas besoin de manger des quantités phénoménales de produits animaux qui sont très coûteux. Ces choix de vie concernent l’alimentation, les déplacements ou encore la consommation d’énergie. Ils se discutent avec soi-même et avec les autres tout en posant la question du sens à accorder à l’existence. Le consumérisme permet d’éviter de se poser les grandes questions existentielles, y compris celle de ce que nous faisons sur Terre.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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3 commentaires
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Chiron
C’est très intéressant car instructif d’une autre façon de faire et de vivre en harmonie avec la Nature. C’est une belle leçon de vie mais, comme pour les croyances, ça ne devrait se vivre qu’à une échelle individuelle. Chacun ferait son choix entre ses convictions d’être ou ne pas être ce qu’il souhaite, vegan, prédateur ou autre ! Chaque être a sa place dans cette bio-diversite qui fait toute la beauté du monde…
J.M Bousquet
Bonjour, Il y a peu, une conversation portait sur cette nouvelle capacité que l’on a de ne plus s’étonner. J’ai bientôt soixante-neuf ans et ? Je me souviens comme si c’était hier, du passage de la machine à vapeur à cette locomotive verte qui abattait allègrement un record de vitesse. A plus de 580 kilomètres/heure. D’autres envoyaient un « suppositoire » sur la lune. Habité, en plus ! C’est dire que l’on ne s’intéressait plus à ce qui se passe sous nos semelles. Ou, simplement dans cette nature qui nous environne. Ayant la chance d’avoir eu des parents qui avaient de longues vacances, nous les passions dans ce monde paysan dont ils étaient issus. Là ? Les soupes longtemps mijotées au coin du feu (de bois) avaient ce goût que l’eau claire n’altérait pas. Les aulx et autres oignons ou champignons venaient s’attacher à ces oeufs directement sortis du cul des poules. Les grandes surfaces ayant pris le relai, le goût s’est délité dans ces magnifiques conservateurs, colorants que je vous laisse volontiers. Aussi, ne serait-ce que si vous avez un balcon, il est possible de faire pousser des arômates , les regarder évoluer pour, à la fin en retirer la quintessence qui va vous régaler. Et que vos enfants vous réclameront une fois qu’ils y auront goûté. L’ortie, quand à elle, s’offrira à vous pour peu que , au moment d’une ballade, au printemps vous la coeuilliez (ce Gmail m’énerve, il ne sait pas ce qu’est un subjonctif) en pleine floraison. De plus, le purin d’ortie (BEUUURK dit-on sur le champ de mars -qui n’a de champ que le nom) est une fongicide et répulsif d’insectes et parfois d’humains. Mais çà, ce n’engage que moi. Mais il est vrai qu’il a bien des vertus thérapeutiques .
Bon ! On m’appelle . C’est l’heure de la soupe. Que, cette fois je ne vous laisse pas ! Non, je ne suis pas comme çà. Mais vous êtes trop loin et, peut être virtuels pour goûter à cette assiette. Cordialement.
normandin chantal
j’adhere complètement
c’est très facile d’incorporer la poudre d’ortie entre autre dans des galettes ( farine de sarrasin , de châtaignes de pois chiches de plus c’est délicieux