Marc-André Selosse est microbiologiste. Il a notamment étudié la symbiose entre les plantes et les champignons. Fin août 2020, il interviendra lors des rencontres Agir pour le Vivant à Arles. Il y évoquera entre autres la manière de prendre en compte la vie microbienne des sols, dont la mycorhize, la symbiose entre plantes et champignons, afin de préserver leur fertilité. Retour sur ce sujet qui interroge les pratiques agricoles lors de cet entretien avec Marc-André Selosse.
Que peuvent nous apprendre les relations entre les végétaux et les champignons en matière d’écologie ?
Il s’agit d’un exemple parmi d’autres démontrant que les organismes vivants ne sont pas autonomes et qu’ils ne s’affranchissent pas de leur milieu. Les fonctions des organismes sont construites en appui sur les éléments vivants de leur environnement : c’est ce que montre notamment le fait que la plupart des plantes se nourrissent et se défendent grâce aux champignons. La mycorhize désigne cette association entre les racines des végétaux et les champignons. Ainsi, elle rappelle la dépendance des organismes les uns à l’égard des autres.
Qu’est-ce que cela implique pour notre manière de percevoir le vivant ?
Penser la vie à partir des relations et des liens conduit à revoir la notion d’individu. Même nous, les êtres humains, sommes habités de bactéries ou de microbes dans notre tube digestif ou sur notre peau. Pareillement, les plantes abritent des bactéries ou des champignons qui participent à leur vie. Or, notre pensée moderne a nié de telles relations. Ces découvertes s’avèrent pourtant un levier pour repenser l’agriculture, par exemple en aidant les engrais à être plus efficaces à moindre concentration. Nous pourrions en employer moins et obtenir le même résultat grâce aux champignons des mycorhizes, à condition d’être certains que ces champignons aident les plantes à trouver leurs nutriments dans le sol. Actuellement, les végétaux cultivés vivent sous perfusion d’engrais qui terminent dans les eaux continentales et marines avec les effets qu’on connaît comme les marées vertes en Bretagne ou l’eutrophisation des eaux douces.
Comment ces liens entre végétaux et champignons peuvent contribuer au bon fonctionnement des sols ?
Les ressources nécessaires à la croissance des végétaux présentes dans les sols sont très diluées. Ce sont principalement l’azote, le potassium ou le phosphore, et ce dernier circule très mal. Les plantes doivent donc aller chercher ces ressources partout. Classiquement, on disait qu’elles le font avec leurs racines. Aujourd’hui, nous savons qu’il existe une autre échelle d’exploration souterraine grâce aux champignons. Avec leurs filaments, ils vont récupérer à de longues distances les nutriments. De ce fait, 9 plantes sur 10 ne peuvent pas pousser dans des sols ordinaires sans l’aide de champignons.
Grâce aux engrais, les plantes poussent mieux, mais en contrepartie, elles ne nourrissent plus les champignons puisqu’elles ne se servent plus d’eux pour trouver des nutriments. En effet, ces champignons reçoivent normalement en échange du sucre fourni par les racines des plantes : leur aide a un coût ! Mais ils protègent aussi ces mêmes racines des agressions, des pathogènes du sol et des molécules toxiques. Nourrir une plante signifie qu’elle n’interagit plus avec les champignons et devient ainsi plus vulnérable aux maladies. Davantage exposée aux ravageurs, elle se révèle en conséquence encore plus dépendante des pesticides. La logique historique dans laquelle la santé des plantes, c’est-à-dire l’alimentation et la défense contre les pathogènes, était construite avec des champignons, se perd. Cela conduit l’agriculture dans une logique d’artificialisation par le recours massif aux intrants, avec toute une série d’effets sur les écosystèmes en termes de pollution et sur notre santé en termes de résidus de pesticide.
Que faire afin d’en sortir ?
Il faut trouver des pistes pour agir avec le vivant et faire fonctionner le système habituel des écosystèmes, basé sur les relations, les liens, les échanges et les symbioses.
Comment ces équilibres sont-ils menacés par les activités humaines ?
En écologie, il n’existe que des équilibres dynamiques, fondés sur des ajustements permanents : nous devons trouver des équilibres dynamiques pour les écosystèmes gérés par l’être humain. En France, les rendements des sols diminuent, et ce n’est pas seulement dû au réchauffement du climat. Aujourd’hui, les propriétés des sols et leur capacité à nourrir les végétaux se dégradent à cause des gestes de fertilisation et de la lutte chimique contre les pathogènes.
La fertilité du sol se fonde sur la vie microbienne. En augmentant artificiellement la fertilité des sols, on congédie les auxiliaires microbiens naturels à l’origine de la fertilité. Habituellement, l’azote est fabriqué à partir d’azote atmosphérique importé dans les sols par des bactéries ; tandis que le phosphate provient de roches dissoutes par des microbes. Les vers de terre brassent et aèrent le sol.
L’usage des pesticides affecte aussi les microbes, qui ont pourtant des rôles positifs. Les fongicides ou encore les pesticides, comme le glyphosate, endommagent ou tuent non seulement les insectes et les vers, mais aussi champignons des mycorhizes qui travaillent avec les plantes. Ces apports de molécules se montrent toxiques.
Que faire pour préserver voire restaurer les propriétés des sols ?
Il faut utiliser mieux les gestes ancestraux. En clair, il faut veiller à ce que les sols bénéficient toujours de matière organique pour nourrir les bactéries qui le font fonctionner. La matière organique revient au sol par l’épandage de déchets organiques comme du compost ou de la litière d’animaux. Un sol ne doit jamais rester nu, afin d’empêcher qu’il s’érode. Maintenir la présence des végétaux nourrit aussi les microbes du sol et favorise la mycorhize tout en prévenant l’érosion. Il faut freiner les intrants et apprendre à cultiver des plantes qui vont indirectement entretenir la vie du sol avec, par exemple, le développement des intercultures. Les plantes semées entre deux récoltes produiront de la biomasse à écraser avant le semis suivant. Il faut réintroduire des haies et des arbres dans les champs, sur le modèle de l’agroforesterie, pour la même raison. Avec des gestes macroscopiques, il est possible de créer les conditions d’une vie microscopique convenable et donc d’assurer aux sols un fonctionnement fertile et durable, notamment face à l’érosion.
Le monde végétal et les sols sont-ils les grands oubliés lorsqu’on parle d’érosion de la biodiversité ?
La biodiversité se trouve dans les sols. Ils regroupent 26 % des espèces connues. Ce que nous avons sous nos pieds est plus biodivers que ce que nous pouvons observer en surface. Par exemple, en France, on compte 570 espèces d’oiseaux et 189 de mammifères tandis qu’il y a au moins 120 000 espèces de bactéries rien que dans les sols !
Alors que les sols réagissent plutôt bien à l’introduction d’un élément perturbateur comme la pollution par le cuivre ou les plastiques pour ne citer qu’eux en exemple, l’accumulation des perturbations entraine des conséquences démultipliées. Ce cumul aboutit à une forte érosion de la biodiversité du sol et détériore les fonctions des microbes dans le sol. La vie du sol est pourtant la mère de toutes les batailles. Les sols agricoles ne sont cependant pas encore morts, contrairement à ce qu’on dit. La réduction du nombre d’espèces est limitée pour le moment, mais les populations déclinent. La réduction de la biomasse, préoccupante, n’est pas encore catastrophique. Pas de collapsionnisme ! La bonne nouvelle est donc que rien n’est encore irréversible : on entrevoit une gigantesque lueur d’espoir puisque nous savons déjà tout ce qu’il convient de faire pour préserver les sols sur les plans microscopique et macroscopique.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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2 commentaires
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Michel CERF
Je veux bien être optimiste mais nous sommes en 2020 et nos travailleurs de la terre n’ont pas encore compris l’importance de toute la biodiversité et continuent à déverser leur produits toxiques .
Francis
L’ agronomie officielle commence seulement à comprendre avec un siècle et demi de retard l’importance de la bio-diversité des sols. Sa principal erreur est d’avoir cru qu’un fertilisant devait être soluble dans l »eau pour être assimilé par les plantes. Il y a encore 20 ans , M A Sélosse se serait fait traiter de charlatan par certains ingénieurs de l’INRA.