Le vainqueur de la Route du rhum a créé une entreprise, Beyond the sea, qui fabrique des cerfs-volants géants pour tracter tout type de bateaux, limitant ainsi les émissions de CO² liées aux carburants. Il étudie particulièrement un système automatisé capable de faire avancer des cargos, qu’il espère tester sur ceux de la CMA CGM en 2021. Cet ingénieur passionné par la mer et les technologies liées au vent nous explique comment est née sa conscience écologique et nous raconte ses engagements.
À quel âge vous est venue votre passion pour la mer ?
J’ai eu ma vocation à 12 ans. J’habitais la région parisienne et j’ai navigué d’abord dans les livres. Je m’intéressais à la météo également, j’ai même passé le concours pour entrer à Météo France ! Tout cela m’a servi ensuite pour les courses, mais aussi pour comprendre les écosystèmes et les phénomènes naturels. J’ai découvert la course à 20 ans et participé à ma 1ère transat à 24 ans sur un bateau que j’ai conçu, avec un mât en carbone. C’était le 1er au monde. À l’époque, je m’intéressais à la vitesse et à la compétition. Depuis, mes préoccupations se sont tournées vers la navigation propre, sans émission de CO2.
Comment ce changement s’est-il opéré ?
Quand on part en pleine mer, on prend conscience de la possibilité du péril. Un marin vit avec les éléments naturels. Le cycle entre le jour et la nuit n’existe plus de la même façon – il navigue tout le temps. Au milieu de l’océan, nos repères sont les systèmes météo (à 3 000 mille se trouve tel cyclone, à 1000 mille, telle dépression…), les configurations des vents, le soleil et les étoiles qui changent de position lorsqu’on change de latitude. Tout cela aide à prendre la dimension de la planète. Mon père étant astrophysicien, j’ai eu la chance de m’intéresser à tout cela jeune. Et j’ai démarré sans GPS, en me positionnant avec le sextant pour mesurer l’angle du soleil. J’ai appris à vivre en harmonie avec le vent et l’eau, à trouver un équilibre.
Ensuite, lorsqu’un marin fait le tour du monde, tout est compté et surveillé. Le moindre gramme embarqué compte. Il suit sa consommation, économise pour aller au bout. Et c’est là qu’on se rend compte que la planète, elle, n’est pas gérée avec réflexion mais exploitée avec le seul horizon du profit. Nous sommes plus de 7 milliards d’hommes, et nous nous intoxiquons petit à petit.
Croyez-vous que la technologie puisse nous sauver ?
Elle est un des éléments de la solution, mais pas le seul : si c’est pour inventer la 5G, à quoi bon ? Celle-ci permettra de consommer moins pour chaque data transportée, mais si on échange plus de données, quel sens cela a-t-il ? Aujourd’hui, la technologie n’est pas orientée suffisamment vers les économies d’énergie ou la préservation des écosystèmes. Lorsque nous nous trompons, nous ne savons pas faire machine arrière : nous avons arrêté la pêche à la baleine quand il n’y a plus eu de baleines…
Constatez-vous un même souci de l’environnement chez les autres navigateurs ?
Oui, mais c’est assez récent. En 1996, j’ai participé au Vendée Globe avec un biocarburant, le diester (contenant de l’huile végétale, NDLR). J’avais proposé qu’on l’utilise tous, mais à l’époque je n’ai pas convaincu l’organisation de la course. La prise de conscience concernant les déchets plastique est venue quant à elle au début des années 2000. On a été plusieurs à porter le message. Il y a même eu des participations de coureurs à des mesures océanographiques.
En quoi les marins peuvent-ils participer au changement aujourd’hui ?
En réfléchissant à l’utilisation de la force du vent. Il a permis à l’homme de se déplacer et de transporter depuis la nuit des temps. Je suis convaincu que les hommes naviguent depuis très longtemps : il y des grottes au Brésil avec des peintures rupestres montrant des bateaux. J’ai constaté également que les îles colonisées les premières sont celles baignées par des vents portants et généreux. L’archipel des Galapagos, par exemple, restées vierges longtemps, est très peu venté.
Un bateau, même sans voile, fait tout de suite sentir l’influence du vent. L’idée de déployer une voile est donc venue naturellement aux hommes. Et au XVe siècle, les Européens sont passés en 30 ans de la route des Indes à une navigation autour du monde. Dias et l’Afrique, Colomb et l’Amérique, Magellan et le tour du monde : tout cela en 30 ans ! Puis s’est développé le commerce à la voile. Au XXe siècle, c’est le sport qui a impulsé les évolutions, notamment par le sponsoring de courses au large, avec de grands navigateurs comme Tabarly. La France a été leader et c’est elle qui porte l’innovation, encore aujourd’hui.
Justement, comment l’idée de tracter les bateaux grâce à des voiles de kite vous est-elle venue ?
Toute ma vie, je me suis intéressé aux techniques les plus rapides et les plus sûres pour faire avancer les bateaux. J’ai pratiqué d’autres sports que la voile, qui fonctionnent avec cette force naturelle qu’est le vent, comme le deltaplane ou le parapente. En 1996, lors du tour du monde sans énergies fossiles que j’ai réalisé, j’avais un cerf-volant mono-fil de sécurité.
Aujourd’hui, je fabrique 2 types de voiles avec ma société Beyond the sea. Nous développons le SeaKite, une aile de kite qui a une surface importante et fonctionne avec un pilote automatique. Elle a vocation à équiper des cargos. Et nous vendons le LibertyKite, utilisable manuellement pour les plaisanciers ou des pêcheurs. Cette voile qui peut être utilisée en appoint intéresse des pays comme le Québec pour le côté écologique de la démarche : elle permet d’économiser de grandes quantités de carburants.
Mais elle est également intéressante en termes de sécurité, comme voile de secours pour des bateaux à moteur ou les voiliers en cas de démâtage. En Afrique par exemple, des barques de pêche tombent régulièrement en panne : l’essence coûte cher et les moteurs ne sont pas fiables. Dans les îles, tomber en panne, cela signifie partir à la dérive. Les pêcheurs n’ont pas toujours le matériel pour appeler à l’aide et les services de secours ne sont souvent pas assez dimensionnés. On compte ainsi plusieurs équipages perdus chaque année. Nous sommes allés sur place, nous avons fait des essais. Nos voiles peuvent être très utiles là-bas.
Vous vous êtes vous-même trouvé en situation délicate, notamment lors du Vendée Globe de 2000, pendant lequel vous avez réparé seul votre mât, en mer.
Il s’est cassé en effet et pour le réparer, j’ai installé à l’intérieur 5 ampoules électriques de mes feux de navigation. J’ai fermé à l’aide d’un bouchon iso-thermique puis recouvert de plusieurs couches de couvertures de survie, de laine polaire et de mon duvet. J’ai obtenu ainsi environ 60 degrés qui ont permis le collage.
Cela vous a pris du temps. Vous avez dû puiser dans vos réserves alimentaires. Comment avez-vous réussi à terminer la course ?
J’ai ramassé des algues au large du Cap Horn et jusqu’aux îles Falkland, que j’ai conservées tout en me rationnant : je prenais 700 à 800 calories par jour. À partir des îles Falkland – il me restait alors 30 jours de mer, j’ai mangé les algues que j’avais ramassées. Toutes sont comestibles, elles sont seulement plus ou moins bonnes… Mais avec des épices, certaines sont excellentes ! Je leur ai ajouté les sachets d’épices de mes nouilles chinoises… Ensuite j’ai pêché au large du Brésil, d’abord une belle dorade. Puis la nuit en éclairant mes voiles j’ai attrapé beaucoup de poissons volants.
Revenons au projet de tracter des cargos avec le SeaKite. Parlez-nous de votre partenariat avec la CMA CGM, 3e transporteur mondial de conteneurs…
Nous avons défini un cahier des charges avec leurs contraintes. Quand nous serons prêts, avec un kite de 200 m², ils nous donneront accès à un cargo pour 6 mois d’essai. Si l’on obtient 5 % d’économies en carburant, ils achèteront 80 systèmes de traction par kites, le SeaKite. Pour un armateur, c’est déjà beaucoup. Cela aidera à d’atteindre les objectifs de l’OMI (Organisation maritime internationale) de baisser de 40 % les émissions de CO² d’ici 2030.
Vous avez également un projet avec le Manta, ce bateau qui ramasse les plastiques dans l’océan ?
Oui, nous étudions l’apport d’un kite en plus de son gréement. À partir de 200 m², le kite devient prédominant, notamment par vent faible. Mais il y a une problématique d’équilibre sur ce bateau. Nous travaillons sur les forces pour trouver une solution.
Tout cela rend optimiste. Pensez-vous que les objectifs politiques soient assez ambitieux ?
Non, on n’en fait pas assez et les objectifs sont posés à trop long terme. Il y a un virage à prendre qui n’est pas pris. Où vont les milliards débloqués par l’Union européenne ? Dans le cadre de mes travaux, je n’en vois pas une miette… Les citoyens se sentent plus concernés par les problèmes liés aux voitures, mais dans ce domaine aussi, il y a beaucoup à faire. Ici par exemple, sur le Bassin d’Arcachon, les pistes cyclables qui ont été créées ne concernent que les zones touristiques. Il n’y a aucun aménagement correct pour venir travailler dans les zones commerciales ou industrielles. On parle beaucoup, on n’agit pas assez.
Propos recueillis par Sophie Noucher
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