Industrie de la mode : les effets (très) limités du recyclage des textiles
Edith de Lamballerie, Université Paris Dauphine – PSL
Selon l’Agence de la transition écologique (Ademe), plus de 100 milliards de vêtements sont aujourd’hui vendus chaque année dans le monde et la production de l’industrie de la mode a doublé entre 2000 et 2014. Nous achetons aussi en moyenne 60 % de vêtements de plus qu’il y a 15 ans.
Cet emballement de la production et de la consommation est problématique à plusieurs niveaux, notamment pour les industriels qui doivent gérer des stocks de vêtements qui ne trouvent pas d’acheteurs, ainsi que pour les consommateurs et les consommatrices qui ont dans leurs armoires des quantités de vêtements les envahissant et dont ils ne savent plus que faire.
Trois solutions en « R » sont alors envisageables : réutiliser (en donnant une nouvelle utilité au vêtement par le don, l’échange, la revente), réparer et recycler. Le recyclage des textiles est de plus en plus mis en avant dans le débat public, notamment en France avec la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. La solution peut paraître séduisante car déculpabilisante. Or, la réalité n’est pas si simple.
Surproduction et surconsommation
Prenons un exemple. En 2016, le quotidien britannique The Guardian se penchait sur l’opération World Recycle Week de H&M pour laquelle la firme déclarait avoir récolté 1 000 tonnes de vêtements. Si l’on se base sur ces chiffres et l’état actuel des technologies de recyclage (sur lesquelles nous reviendrons), selon la journaliste, il faudrait 12 ans à H&M pour utiliser les vêtements récoltés.
En revanche, les 1 000 tonnes collectées équivalent à peu près à la quantité de vêtements qu’une telle marque commercialise en 48 heures. En l’état des choses, c’est-à-dire au vu de la surproduction de l’industrie de la mode et du fait des limites technologiques, le recyclage des textiles ne saurait donc être la solution aux problèmes de surproduction et de surconsommation de l’industrie de la mode.
Downcycling
Au delà de la surproduction, la première limite conduisant à ce constat est le downcycling, ou sous-cyclage. Selon l’éco-organisme agréé d’État Eco TLC, chaque année en France 2,6 milliards d’articles de mode sont mis en vente, et l’équivalent de 38 % de cette quantité est collecté. Sur les 239 000 tonnes collectées, 33,5 % sont transformés pour être recyclés, le reste est destiné à la réutilisation ou à l’élimination.
Le terme « recyclés » regroupe alors des réalités disparates : 10 % de ces textiles sont découpés pour faire des chiffons, les 23,4 % restants subissent un processus de recyclage afin d’entrer dans la composition d’une nouvelle matière.
La technologie de recyclage dominante, le recyclage mécanique, permet très majoritairement de produire des fibres de longueur plus courte qui vont être de moins bonne qualité que les fibres vierges. En conséquence, les articles qui pourront être produits à l’aide du recyclage seront de moindre valeur que l’article initial, des vêtements deviendront par exemple des matériaux d’isolation ou des rembourrages de matelas.
Du fait de cette part majoritaire du downcycling, le textile recyclé ne représente aujourd’hui qu’environ 1 % du flux de matières textiles utilisées dans la production de vêtement.
Enfin, quand bien même une offre de vêtements en textile recyclé existe, la grande majorité des vêtements proposés n’est pas en 100 % textile recyclé car il est souvent nécessaire de combiner fibre recyclée et fibre vierge pour arriver aux standards qualitatifs du marché. C’est pour cette raison qu’il faudrait 12 ans à H&M pour « écouler » les 1 000 tonnes de vêtements récoltés.
Recyclabilité et « mélanges monstrueux »
La seconde raison est la question de la recyclabilité des vêtements. Le tri est souvent présenté comme la première étape du recyclage mais il faut pour que le tri soit possible que les industriels de la mode aient fait le choix de matériaux recyclables et d’une confection qui permette le recyclage. Le recyclage est donc aussi une problématique qui incombe aux industriels.
Pour qu’un vêtement soit facilement recyclable, il est nécessaire de prendre en compte un certain nombre de paramètres, notamment le choix du fil. Un textile composé de fibres d’une seule matière (exemple : fil 100 % coton, fil 100 % polyester) sera plus facilement recyclable que des textiles composés de fibres multimatières, que certains auteurs vont jusqu’à qualifier de « mélanges monstrueux » tant ils rendent le recyclage plus complexe.
Aujourd’hui, les mélanges coton-polyester entrent dans la composition d’environ un tiers des vêtements produits et peu d’entreprises sont à même de les recycler.
Ensuite, les choix de confection et d’embellissement peuvent aussi rendre le recyclage plus complexe ; les boutons, fermetures éclair et autres incrustations de strass devant être retirés pour que le textile soit recyclable.
Idéalisation du recyclage
Il faut en outre souligner que le recyclage reste un processus technologique que les consommateurs et les consommatrices peuvent avoir tendance à idéaliser.
En effet, le recyclage n’est pas neutre. Il s’agit d’un processus technologique qui consomme des ressources notamment énergétiques, qui peut aussi être polluant par le rejet d’émissions et le recours à des produits potentiellement dangereux pour la santé et néfastes pour l’environnement.
Ensuite les consommateurs et les consommatrices n’ont pas à l’esprit que seule une infime partie des acteurs de l’industrie peut prétendre au « recyclage en boucle fermée » et au « recyclage à l’infini », qui restent très difficilement atteignables au vu des volumes de l’industrie du textile et de la nature des articles produits. En l’état, l’écrasante majorité des technologies de recyclage ne permet pas de se passer d’apport de matières vierges pour compenser à la fois la dégradation des matières dans le processus de recyclage et les pertes en matière inhérentes au processus.
Enfin, s’il est vrai que même les procédés de recyclage les plus gourmands en énergie et en ressources consomment malgré tout moins que la production de nouveaux articles en matières vierges, cela ne doit pas nous faire oublier pour autant qu’il existe des solutions qui consomment très peu et ont un impact bien moindre. Il s’agit des autres « R » qui accompagnent le recyclage : réutiliser et réparer, auxquels on peut aussi ajouter refuser et réduire.
Si l’industrie de la mode continue sa trajectoire, les ventes totales de vêtements pourraient atteindre 175 millions de tonnes en 2050, soit plus de trois fois le volume actuel. Si cette tendance devait se vérifier, la question des déchets textiles deviendrait de plus en plus critique. Plutôt que de consommer toujours plus de vêtements dont une part croissante composée de matières recyclées nous pourrions, en tant que consommateurs et consommatrices, nous tourner vers les autres « R ».
Chercher en premier lieu à consommer les vêtements de manière plus modérée, privilégier la seconde main, échanger, donner, faire réparer, apprendre à réparer. Comme ont à cœur de le rappeler les activistes de Fashion Revolution, « le vêtement le plus durable est celui qui se trouve déjà dans votre garde-robe ».
Cet article a été écrit sous la supervision de Valérie Guillard, professeure des Universités à l’Université Paris Dauphine.
Edith de Lamballerie, Doctorante en sciences de gestion, Université Paris Dauphine – PSL
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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