On ne pourra pas achever la transition écologique sans réguler la mondialisation


Montevideo - Porte-conteneurs dans le port, département de Montevideo © Yann Arthus-Bertrand

L’arrêt de l’économie à cause de la pandémie de Covid-19, du confinement et du ralentissement des échanges internationaux a de nouveau soulevé la question de la place du commerce dans nos vies. Qui dit commerce dit accords. La pertinence de ces politiques commerciales est notamment remise en cause en raison de leurs impacts sur l’environnement, l’économie et la démocratie. Entretien avec Mathilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen et Samuel Leré, responsable plaidoyer de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, tous deux auteurs de l’ouvrage Après le Libre-échange, quel commerce international face aux défis écologiques , sorti en septembre 2020.

Vous écrivez que la question du commerce internationale semble avoir peu intéressée l’opinion publique depuis la fin du XXe siècle, pourquoi ?

Mathilde Dupré : Le blocage des négociations à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et l’éparpillement des discussions qui ont suivi avec des accords bilatéraux ont rendu le suivi très difficile. Ce n’est pas que l’opinion ne s’y intéresse pas. Ce n’est qu’après la crise financière de 2008, lorsque l’Union européenne (UE) a voulu négocier de nombreux accords bilatéraux qu’il y a eu une forte mobilisation de la société civile et un regain d’intérêt pour ces questions. Les organisations environnementales ont alors rejoint le mouvement et produit de l’expertise sur le sujet.

Quels sont les impacts du commerce sur l’environnement ?

Mathilde Dupré :  Par exemple, il y a l’impact du transport de marchandises sur le climat, la délocalisation de la pollution dans des pays moins regardants sur les normes de pollution. De plus, la mise en concurrence freine aussi le renforcement des standards environnementaux au sein de l’UE car on dit, et ce n’est pas faux, que cela n’est pas juste si on laisse entrer sur le territoire des produits venant de pays où ces normes n’existent pas.

Samuel Leré :  Il existe des situations problématiques rendues possible par des décalages de réglementation entre l’UE et ses partenaires. Il s’agit, par exemple, des pesticides dont l’usage est interdit en Europe, mais dont la production demeure autorisée pour l’exportation en dehors de l’UE. Ces produits prohibés sur le sol européen peuvent quand même être vendus ailleurs, utilisés sur des cultures puis revenir en Europe dans nos assiettes par le biais les aliments importés. Ces importations, en plus de rentrer en concurrence avec la production des agriculteurs européens, se révèlent absurdes puisqu’elles ne protègent pas le consommateur européen.

Pensez-vous que la crise climatique plus la pandémie vont pousser les citoyens à demander aux décideurs des changements dans ce domaine ?

Samuel Leré : Les enquêtes d’opinions et les sondages montrent une opposition assez forte des citoyens aux accords de commerce. Ils se mobilisent sur ce sujet car ils perçoivent les impacts néfastes du libre-échanges. Les citoyens comprennent assez facilement qu’il faut relocaliser l’économie et consommer des produits locaux. En revanchent, ce n’est pas le cas des décideurs politiques. Entre eux et les citoyens, il existe une vraie opposition.  Dans la sphère politique et la haute administration, que ce soit à Bercy ou à la Commission européenne, ce lien entre commerce, climat et biodiversité n’est pas du tout pris en compte. Pour changer ceci, il faut que l’opinion publique fasse pression.

 Mathilde Dupré : La question du commerce apparait encore comme un impensé majeure des politiques écologiques. Par exemple, le Green Deal de l’UE prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire. Mais cela n’a aucun sens sans la prise en compte des émissions importées, la déforestation importée ou tout simplement l’empreinte environnementale de l’Europe. La politique commerciale joue pourtant un rôle important.

Samuel Leré : Des travaux récents montrent que l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur entrainerait une accélération de la déforestation de 25 %. De telles données doivent servir d’électrochoc pour appeler à revoir les politiques commerciales. On ne pourra pas achever la transition écologique, ni lutter contre les inégalités, si on ne régule pas la mondialisation

Comment expliquez-vous cette divergence de vues entre les décideurs politiques et les citoyens ?

Samuel Leré : Nous l’expliquons par le dogme du libre-échange très présent dans la classe politique. Plus on va libéraliser les échanges, plus on va échanger, plus ce sera vertueux car on aura des points de croissance. Notre livre essaye de s’attaquer à cette idéologie-là très ancrée dans la classe politique.

Mathilde Dupré :  Les responsables publics en charge des négociations commerciales sont déconnectés des enjeux de société que notre génération affronte parce que la réglementation commerciale a été autonomisée du reste. Le commerce surplombe tout et apparaît comme la solution à de nombreux problèmes. On croit que les pays en devenant plus riches s’intéresseront plus à l‘environnement et échangeront des technologies vertes. On oublie de regarder au préalable les conséquences écologiques directes du commerce sur le climat ou la biodiversité.

Samuel Leré :  Le protectionnisme est souvent présenté comme la seule alternative, or ce dernier est défendu par le Front National auquel la plupart des politiques doivent absolument s’opposer. Nous pensons qu’il existe une troisième voie : le juste-échange. Le juste-échange signifie poursuivre les échanges en privilégiant la coopération et en avançant sur la transition écologique.

Dans le livre, pour résumer les contradictions du commerce, vous employez le concept de trilemme, pouvez-vous expliquer quelles sont-elles ?

Mathilde Dupré : L’économiste Dani Rodrik parle de trilemme pour expliquer que nous sommes allés trop loin dans la promotion des échanges. Aujourd’hui, c’est impossible de combiner à la fois l’hypermondialisation et  la capacité pour les États d’être redevables envers leurs citoyens, c’est-à-dire de la démocratie et du respect des préférences collectives locales. Pour résoudre ce trilemme, il faut revenir en arrière sur les règles commerciales afin de redonner aux États des marges de manœuvre pour qu’ils puissent répondre aux attentes des populations en matière de protection sociale et environnementale.

Quel serait, selon vous, un commerce international souhaitable, que vous nommez « le juste échange » ?

Samuel Leré :  Le juste échange vise à repenser entièrement les relations commerciales en prenant en compte d’autres aspects que le seul libre-échange. Il est intéressant de constater que, quand les États-Unis décident de taxer certains produits européens, on voit immédiatement une riposte européenne et des sanctions. Mais, quand ils quittent l’Accord de Paris, on a des grands discours offusqués qui sont suivis d’aucun passage à l’acte. Le juste échange permettrait de rendre contraignant l’Accord de Paris en prévoyant des sanctions sur le plan commercial si un pays ne respecte pas ses engagements climatiques. Il intégrerait des clauses-miroirs afin de garantir des standards communs et pour s’assurer que les pesticides ou les farines animales proscrits dans l’UE le soient aussi dans les produits importés.

Mathilde Dupré : Ce qui nous inquiète est que pour le moment le contenu des accords commerciaux négociés ne bouge pas. Or, ils vont déterminer les relations pour les décennies à venir. Il y a urgence à opérer des changements rapidement si on veut tenir les engagements internationaux pris sur le climat et la biodiversité. Cela fait au moins 15 ans que l’idée d’une taxe carbone aux frontières circule. La Commission s’y met enfin. C’est une bonne nouvelle même si on constate que personne n’a encore planché sur son fonctionnement concret.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Un commentaire

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    • Chaumien

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