Suite à la perturbation de la projection d’un film consacré aux loups par des manifestants anti-loups à Tendé dans les Alpes-Maritimes, un éleveur prônant la cohabitation entre élevage et faune sauvage a souhaité réagir. Voulant rester anonyme par peur de représailles, il explique dans cette tribune comment, d’un côté, le loup est une contrainte réelle pour les bergers et les éleveurs et, de l’autre, pourquoi nos sociétés ont la responsabilité écologique et morale de préserver les prédateurs à une époque où elles font face à l’érosion du vivant. Il termine en levant le voile sur la récupération qui est faite de la colère que suscitent les attaques par certains syndicats et certains élus.
À Tende, dans les Alpes-maritimes, le 2 août dernier, des anti-loups ont empêché la projection du film de Jean-Michel Bertrand « Marche avec les loups », n’hésitant pas à insulter et à intimider les personnes présentes. Ce fait, parmi d’autres, révèle un profond malaise au sein de certains territoires ruraux, malaise exacerbé par la prédation sur les troupeaux, au point que beaucoup réclament l’éradication de l’espèce. Pour tenter de mettre à jour les enjeux autour de la présence des loups, tentons l’hypothèse la plus folle : d’un coup de baguette magique, éradiquons les 560 loups français (estimation printemps 2020). Essayons alors de répondre à cette question un peu provocatrice : Qu’est-ce que ça change ? Ou, dit autrement, : qui a besoin du loup ?
Pour les bergers, fini les parcs de regroupement, fini de porter les postes d’électrification et de poser et ranger les filets d’un bout à l’autre de l’estive. Fini les nuits d’angoisse, les sursauts et les doutes quand les chiens aboient fort. Fini de chercher les brebis manquantes, fini les interminables questions, où sont-elles, quand ont-elles disparues ? Fini de scruter le troupeau après chaque attaque à la recherche des blessées. Fini de photographier les boucles, les cadavres, d’appeler les gardes, les éleveurs. Pour les bergers, la disparition des loups signifie la fin de beaucoup de problèmes et de contraintes. Une épine de moins, et pas des moindre.
Pour les éleveurs, fini de monter leur troupeau en estive en sachant que certaines brebis seront tuées. Fini le décompte des brebis à remplacer. Fini la paperasse pour toucher les indemnisations. Fini de râler quand les expertises ne sont pas possibles et qu’il n’y aura pas indemnisation. Pour certains, quelques-uns, c’est aussi la fin de la triche, parce qu’il ne sera plus possible d’attribuer au loup des pertes qui ne lui sont pas dues. Pour les autres, la majorité, c’est d’abord un énorme souci de moins et la fin d’un sentiment d’agression.
Comme il n’y a plus de loups, finies aussi les aides financières aux salaires des bergers et aides-bergers et finies les aides aux chiens de protection : sans chien de protection, plus de promeneurs mordus en montagne et fini les énormes problèmes qui vont avec. Mais retour des vols et des attaques de chiens divagants sur les fermes. Les éleveurs ont besoin de « l’argent du loup » mais pas du loup. Sans loups, il est probable qu’il faudra aller chercher de nouvelles sources de financement pour aider la filière, déjà très subventionnée.
Dans la nature, les loups participent à la régulation des ongulés et tiennent ainsi leur rôle de super-prédateurs en haut de la chaîne alimentaire et de protection de la forêt. S’ils régulent les cerfs et les chevreuils, il y a concurrence entre super-prédateurs humains et lupins. Les chasseurs ont-ils besoin du loup ? Ils diront que non.
Nous avons tout à fait les moyens de faire disparaître ces espèces à l’état sauvage, ours, lions, panthères et tigres. Faut-il le faire ? Non, bien sûr. Si nos pays, qui se veulent exemplaires, ne sauvent pas leurs grands carnivores, comment expliquer aux autres qu’ils doivent le faire ? Nous avons collectivement besoin d’une biodiversité préservée, véritable bien commun. C’est la réponse des états à travers la convention de Berne, qui protège les loups parmi tant d’autres. Mais si nous avons collectivement besoin des grands carnivores, nous avons aussi besoin de nous en protéger efficacement. Là où les mesures de protection sont bien mises en œuvre, chiens de protection, filets, les dégâts sont moins fréquents, mais il est utopique de dire qu’une protection totale est possible. Des voix s’élèvent pour proposer d’autres types de mesure, d’autres pistes de recherche. Dans d’autres pays, européens ou non, certaines sont déjà à l’essai (viande de brebis empoisonnée, mais non létale, qui dégoûte les carnivores des brebis, filets opaques, etc…) et portent des fruits. À l’inverse, les tirs létaux maintiennent l’illusion d’une bataille menée contre le loup : ils assouvissent un certain besoin de vengeance sans doute, ils font baisser la pression de prédation globale, mais les meutes n’apprennent pas à ignorer les troupeaux et continuent à les attaquer. Les médias locaux, informés comment ? et par qui ? toujours en quête de sensationnalisme, n’en finissent pas de décrire des situations critiques, qui à l’étude ne l’étaient pas toutes, loin de là, et pour lesquelles il est très difficile de publier un large démenti. Tout cela entretient la colère des éleveurs et des milieux traditionalistes, colère facilement récupérée par certains organismes, syndicats ou associations, ou encore par des élus. Ceux-ci n’ont plus qu’à galvaniser leurs troupes pour que se produisent des manifestations coup de poing comme la perturbation voire l’interdiction de la projection d’un film ou le dépôt de cadavres de brebis devant une préfecture. Où commence la manipulation ? Où commence le besoin du loup ?
Un berger engagé pour la cohabitation entre élevage et prédateurs
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14 commentaires
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CERF philippe
Enfin un éleveur digne de ce nom un homme responsable et respectueux du vivant défendant la biodiversité certainement pas seul j espère mais avec un environnement de voyous preuve qu’ il doit s exprimer sous l anonymat par peur de représailles. Bravo monsieur et merci pour votre témoignage.
Henri DIDELLE
Cet article est très intéressant mais ne donne pas la solution…
Posons le problème d’une manière très simple:
– l’éradication du loup est impossible, la pression écologique est trop forte.
– la fin du pastoralisme n’est pas souhaitable, il entretient la montagne.
– CONCLUSION: il faut tout faire pour rendre possible la cohabitation. CQFD
Avec des collègues nous avons aider notre berger qui voulait abandonner la partie à cause d’une meute de loup. Nous lui avons réaliser un enclos sécurisé pour la nuit (COPIER CE LIEN : »Savoie : des éleveurs construisent un enclos en dur pour préserver leur bétail du loup »). Bien entendu maintenant les loups attaquent le jour, mais là c’est l’affaire du berger qui n’a pas toujours tenu ses engagements !!!
Aucun responsables ou éleveurs ne nous a soutenu pour une raison alambiquée en 3 points:
– les éleveurs voudraient éradiquer le loup
– les Politiques soutiennent mordicus les éleveurs/électeurs
– pour eux, protéger les moutons c’est accepter le loup et donc c’est aussi protéger le loup (ce qui est faux…).
Voilà comment, en croyant bien faire, je me suis critiquer par la France entière. Cela dit nous avons vécu une belle aventure humaine qui n’a pas entamé mes convictions.
Je continue de penser que la priorité c’est de protéger les troupeaux pour que contraindre le loup à se retourner vers la faune sauvage qui est d’abord sa vocation.
ARRETONS D’OFFRIR AU LOUP DES GIGOTS SUR PIEDS !!!
Annie ETIENNE
Totalement d’accord avec ces 2 commentaires !je ne souhaite pas la mort des loups à-ux conditions qu’on ne leur fournisse pas la nourriture sur un plateau, ou ils n’ont qu’à se servir gratuitement , gracieusement comme c’est le cas , depuis que ce prédateur a été réintroduit volontairement près des troupeaux … il y a 30 ans ? plus ? moins ? je ne me souviens plus ! Mon sentiment est le même pour les ours …. ces animaux sauvages ne doivent pas être mis en présence de troupeaux ovins , caprins , bovins ; les éleveurs de ces troupeaux ne les élèvent pas pour nourrir des animaux sauvages …. c’est trop facile de réintroduire des animaux sauvages au beau milieu des troupeaux domestiques ….. et ensuite de s’en laver les mains , sans se préoccuper des conséquences !!!!!!!!!!!!!!
Magic Ben
Une correction par rapport à un commentaire précédent : le loup n’a jamais été réintroduit en France, il est revenu seul.
Franck
“Sans loups, fini les aides du loup” Idem pour les ours. Notre berger cohabitationiste anonyme oublie un peu vite – ou n’a t il pas connu?- que les aides à l’économie de montagne existaient avant l’arrivée des super prédateurs, versées par le ministère de l’Agriculture, et qu’elles ont été purement et simplement détournées par le MTES au profit des plans loups et ours. Lorsque les bergers pouvaient sereinement faire leur métier sans crainte de voir décimer le troupeau, qu’ils ne travaillaient -que – 15 h par jour et POUR le troupeau ( pas CONTRE. Les prédateurs), ces aides suffisaient largement… Quant à penser que les éleveurs seraient incapables de tenir des chiens de protection sans subventions, ni protéger leur troupeaux des chiens errants…un peu de respect ne lui nuirait pas!
Qui a besoin du loup, de l’ours, en France, en 2020, alors que nos aînés ont tout fait pour supprimer cette cohabitation impossible et que ces espèces sont largement représentées, même en Europe? Sauf à vouloir s’acheter une bonne conscience écologique sans engagement personnel, pas grand monde…
Forget
Qui a besoin du loup en 2020?…. Moi ! J’ai besoin de savoir qu’on est assez intelligent pour cohabiter avec lui, j’ai besoin de savoir qu’on est moins stupides que ceux qui l’ont éradiqué sans chercher d’autres moyens que le poison , le piège ou le fusil, j’ai besoin de savoir que l’égocentrisme humain n’est pas une fatalité. Moi j’en ai besoin en 2020 et j’ai l’impression que je ne suis pas la seule…loin de là.
Matthias Heilweck
Lorsqu’une lionne poursuit une harde de gazelles et en attrape une, les autres se remettent à brouter et le calme revient.
Lorsqu’un loup poursuit un troupeau de moutons et en attrape un, les autres continuent de courir, ce qui excite le loup qui va en égorger d’autres.
Les animaux domestiqués ont perdu cet instinct originel de survie, ce qui aggrave le problème.
Michel CERF
La nature a besoin du loup et se porterait si bien sans les humains .
Chaumien
Pour réintroduire une espèce sauvage, il faut lui laisser de quoi subsister. Messieurs les chasseurs ne tuez pas leur gibier. vous n’en avez pas besoin pour vivre
Lucy
Tous ces espaces naturels pris sans états d’âme pour en faire un gain financier, redonnons les à ces animaux sauvages. Redonnons à ces loups leur territoire !
Méryl Pinque
Les loups sont revenus de leur plein gré en France.
Comme tous les animaux, ils ont des droits fondamentaux inaliénables en vertu de leur sentience.
Or en France, on les massacre alors même qu’ils appartiennent à une espèce protégée (!!), tout cela pour protéger le fric des éleveurs-exploiteurs d’autres animaux condamnés, eux, à l’abattoir pour fournir fromage et viande.
Si on tue les loups et les ovins, c’est parce que des humains veulent bouffer du fromage.
Honte aux consommateurs de produits d’origine animale : vous êtes responsables du pire à l’oeuvre.
Michel CERF
Les propos de FRANCK dénotent une méconnaissance profonde de la nature , des animaux sauvages et de leur utilité , nous sommes en 2020 et sont état d’esprit n’a hélas pas évolué , ah c’est sûr , il ne peut pas s’acheter une bonne conscience qu’il ne saurait trouver .
Jean-Louis
Bonne analyse de la situation. Je retiens le concept » Les éleveurs ont besoin de l’argent du loup, mais sans le loup »
Maxime
Quand on sait qu’un certain nombre d’attaque sont le fait de chien errant et dans ce cas pas d’indemnistion, les experts aprés destruction de brebis préfèrent dire que c’est une attaque du loup. L’éleveur sera indemnisé et il est content sinon attention aux représailles….