Difficile d’imaginer meilleur symbole de triomphe de l’homme sur la nature que les barrages, qui domptent la puissance des flots. Dopés par cette image d’Epinal, près de 50 000 ouvrages de plus de 15 mètres de haut ont été construits sur les fleuves et les rivières de la planète – une modification sans précédent de l’hydrologie terrestre.
Les avantages des barrages sont bien connus. Ils fournissent une électricité relativement « propre » et adaptable à la demande. Surtout ils favorisent l’irrigation et permettent ainsi un accroissement considérable des rendements agricoles : les 20 % de cultures irriguées du monde représentent 40 % de la production. La majorité des barrages du monde ont d’ailleurs une finalité agricole et non énergétique.
Mais les barrages ont également une face sombre, révélée par un groupe d’experts internationaux –la Commission Mondiale des Barrages. Trois critiques principales ont été formulées. Economique, d’abord : les coûts prévisionnels de ces ouvrages, presque toujours supportés par les contribuables, sont systématiquement dépassés. Les bénéfices, en revanche, notamment en matière de développement, ont très souvent été surestimés. Sociale, ensuite, car ces bénéfices –notamment dans les pays du sud- ont rarement profité à tous. Bien souvent, les barrages ont chassé vers les villes les petits paysans qui peuplaient les vallées inondées. Enfin, du point de vue écologique, le piégeage des sédiments par les ouvrages a eu des conséquences néfastes sur les deltas de presque tous les grands fleuves de la planète, qui subissent désormais une érosion et un enfoncement accrus. De nombreuses zones humides riches en biodiversité ont été noyées, la qualité de l’eau a été perturbée et la circulation des poissons interrompue. Enfin, sous les tropiques, beaucoup de barrages émettent du méthane, contribuant au réchauffement climatique.
Désormais, une approche plus précautionneuse s’annonce. La volonté de domestiquer la nature commence à faire place au désir de « collaborer » avec elle. Une ère de barrages plus petits, basés sur des études d’impacts plus complètes va sans doute succéder au temps de la toute-puissance des ingénieurs.
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