Les transports doivent connaitre une évolution, si ce n’est une révolution afin d’accompagner la transition écologique. Afin de réduire le plus possible leur impact, il existe 5 grands leviers d’actions à activer au plus vite, c’est ce qu’explique Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique dans les transports, dans cette tribune.
La France s’est fixée pour objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cela implique de diviser par 5,8 les émissions sur le territoire français entre 2015 et 2050, et de multiplier par 2 les puits de carbone, afin qu’ils puissent absorber l’équivalent des émissions restantes de gaz à effet de serre. Tels sont les objectifs fixés par la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) française, qui nécessite des transformations majeures à réaliser en seulement 3 décennies.
Des transports majoritairement dépendants du pétrole
Le secteur des transports doit pour sa part atteindre la décarbonation quasiment complète d’ici 2050, puisque seuls les transports aériens et maritimes conserveront une part d’énergies fossiles. Concrètement, cela implique notamment que plus aucune voiture, aucun poids-lourds, train, car ou plus aucune péniche ne consommera de pétrole d’ici 30 ans, alors que cette énergie représente encore 91 % des consommations du secteur. Ces consommations sont complétées par les biocarburants à 7 %, et par l’électricité, qui représente seulement 2 % des consommations d’énergie des transports pour le moment. Il faut noter que l’électricité dans la mobilité concerne surtout le ferroviaire.
Par ailleurs, la courbe des émissions des transports intérieurs sur la période 1960-2019 (en noir sur la figure ci-dessous) montre une très forte hausse des émissions sur la fin du 20ème siècle, avant une faible baisse depuis le tournant du millénaire. Seulement, cette courbe ne tient pas compte de l’ensemble des émissions des transports. Tout d’abord, elle inclut seulement les émissions de combustion de l’énergie, mais pas celles de production de l’énergie (des carburants, de l’électricité), des véhicules ou des infrastructures. Aussi, les émissions des biocarburants ne sont pas incluses, pourtant ils émettent aussi du CO2 à la combustion, que leur production ne permet pas de compenser (courbe en bleu foncé quand ils sont ajoutés). Enfin, les transports internationaux ne sont pas inclus dans le périmètre de la stratégie nationale (SNBC), et ajoutent encore aux émissions précédentes, les émissions de l’aérien étant en hausse pendant que celles du maritime baissent ces dernières années (courbe en bleu clair).
En incluant les émissions des biocarburants, 98 % de l’énergie consommée est fortement carbonée, et les émissions sont relativement stables depuis deux décennies. Cela contraste avec l’objectif de neutralité carbone, qui nécessite une très forte baisse de ces émissions dans les années à venir.
5 leviers pour décarboner les transports
Pour passer de 98 % d’énergie carbonée à quasiment 100 % d’énergie décarbonée d’ici 2050, la SNBC évoque 5 leviers pour réduire les émissions des transports : la modération de la demande de transport, le report modal, l’amélioration du remplissage des véhicules, leur meilleure efficacité énergétique, et enfin la décarbonation de l’énergie utilisée (facteur d’intensité carbone).
L’importance passée et à venir de ces leviers dans l’évolution des émissions, ainsi que les politiques publiques qui pourraient les influencer sont évoquées ci-dessous, en se focalisant ici sur la mobilité des voyageurs (hors transport de marchandises).
Réduire les distances parcourues plutôt que de les accroitre
La demande de transport concerne le nombre de kilomètres parcourus par la population. Entre 1960 et 2017, les kilomètres parcourus ont été multipliés par 4,7 en France (et par 5,4 lorsqu’on inclut l’aérien international), ce qui en a fait le principal facteur expliquant la hausse des émissions ces dernières décennies, multipliées par 4,2 sur la période. La forte hausse de la demande est due pour partie à l’augmentation de la population (+43 %), mais davantage encore à la multiplication par 3,3 du nombre de kilomètres par personne. Ainsi les distances parcourues ont fortement augmenté, à la fois pour les distances du quotidien qui se sont allongées, et par la hausse des voyages à plus longue distance. De manière étonnante, ces fortes hausses des distances se sont faîtes alors que le nombre de déplacements par jour (3 à 4 en moyenne), et les temps consacrés aux déplacements (environ 1 h/jour/personne) sont restés relativement constants. Cela indique que ce sont la distance par déplacement et les vitesses de déplacements qui ont fortement augmenté. Cela s’est fait principalement par la diffusion de la voiture, bien plus rapide que les modes qu’elle a remplacés, en particulier la marche qui représentait encore les 3/4 des temps de déplacement en 1960. Pour un même temps de déplacement, la voiture permet ainsi de faire des trajets bien plus longs, entretenant ainsi la dynamique d’étalement urbain de ces dernières décennies.
L’évolution de la demande explique aussi la stagnation des émissions du début des années 2000, liée à un plafonnement de la vitesse moyenne des déplacements et des distances parcourues par personne. Les variations des émissions d’une année sur l’autre sont généralement liées également à l’évolution des distances parcourues, qui réagit fortement aux évolutions du prix du pétrole, du PIB et des vitesses sur routes.
Pourtant, bien que ce facteur soit majeur dans l’évolution des émissions, la modération des distances de déplacements ne fait étonnamment que très peu l’objet de politiques publiques spécifiques, que ce soit dans le domaine des transports, de l’énergie ou du climat. Pour la courte distance, cette modération de la demande nécessite d’orienter l’aménagement du territoire et des activités vers une réduction des distances, par davantage de proximité pour les achats, le rapprochement des lieux de domicile et de travail, ou encore par la redynamisation du centre des villes petites et moyennes. Pour la longue distance, les principaux risques portent sur la hausse de la demande en avion, pour lequel il n’existe pas de solution technologique de décarbonation à court et moyen termes. Il faudra donc limiter le trafic aérien et faciliter les vacances plus proches, nécessitant de réinventer en partie le voyage, avec des modes plus lents et moins consommateurs d’énergie. Cela passera notamment par le redéveloppement des trains de nuit, ou par le cyclotourisme, qui est actuellement en plein essor et présente des bénéfices importants pour l’économie locale et le tourisme de nombreuses régions.
A l’inverse de l’accélération passée des transports, les évolutions vers davantage de sobriété dans les déplacements pourraient se traduire par un certain ralentissement des déplacements.
Se déplacer autrement
La réduction des distances permettrait aussi de favoriser le second levier, appelé report modal, qui consiste à se tourner des modes les plus émetteurs (la voiture, l’avion) vers les modes plus vertueux (la marche, le vélo, le train, les bus et cars). Les modes actifs que sont la marche et le vélo, seront ainsi plus faciles à développer si les distances de déplacement sont limitées. La marche doit ainsi être priorisée pour les déplacements de proximité, dans les centres villes mais aussi ailleurs. Et le vélo a un très fort potentiel de développement tant la France a pris du retard par rapport à d’autres voisins européens. Le vélo est particulièrement adapté pour les distances de 1 à 15 km (en incluant les vélos à assistance électrique), qui représentent entre 42 et 67 % des déplacements selon les territoires. Pour les plus longues distances et les flux plus importants, les transports en commun et en particulier le train, plus efficace et déjà largement décarboné, devront aussi venir autant que possible en substitution des trajets en voiture et en avion.
Pour faciliter ces transformations, l’espace public en ville et jusque dans le centre des villages devra se transformer, pour cesser d’être conçu comme un espace de circulation et de stationnement pour les voitures, mais davantage comme un espace de vie, propice aux activités sociales, qui redonne de la place aux piétons, aux vélos, et à la végétation. Cela ne pourra se faire sans reprendre de la place à la voiture, fortement consommatrice d’espace, qui doit être davantage réservée aux utilisateurs qui en sont les plus dépendants, notamment les personnes à mobilité réduite ou dans les zones peu denses où les alternatives sont pour l’instant souvent inexistantes.
Sortir de l’autosolisme
Le troisième levier, particulièrement adapté pour ces zones peu denses, concerne le remplissage des véhicules, et en particulier le développement du covoiturage. Le remplissage moyen des voitures est passé de 2,3 personnes par voiture en 1960 à environ 1,6 personnes en moyenne aujourd’hui. Historiquement, nous avons donc dé-covoituré, sous l’effet de la hausse du nombre de voitures dans les ménages et d’une baisse du nombre moyen de personnes par ménage.
Le covoiturage s’est redéveloppé plus récemment sur la longue distance, sans réels bénéfices climatiques puisque la moitié des usagers auraient pris le train et une petite partie ne se seraient pas déplacés sans l’existence du covoiturage. Pour les déplacements du quotidien dans des zones très fortement dépendantes à la voiture, de tels effets rebonds seraient beaucoup moins forts, et les politiques publiques visant à favoriser le covoiturage (ou des formes proches de l’autostop) devraient être ciblées en particulier dans ces territoires.
Rendre le parc de véhicules plus efficace
Le quatrième levier concerne l’efficacité énergétique des véhicules, soit la baisse des consommations d’énergie par kilomètre parcouru. Cette efficacité regroupe des évolutions technologiques, telles que l’hybridation ou les progrès sur le rendement des moteurs, ce rendement s’étant déjà très fortement amélioré par le passé. C’est aussi surtout sur ce levier que repose la SNBC pour faire baisser les émissions à court terme, sans que les résultats soient à la hauteur des attentes pour le moment. Car les améliorations techniques récentes pour les véhicules neufs ont été compensées par le regain de l’essence par rapport au diesel, et surtout par la croissance des SUVs (sport utility vehicles), des véhicules moins aérodynamiques et plus lourds. Cela pointe aussi l’importance des évolutions vers plus de sobriété pour gagner en efficacité, notamment sur la taille, la puissance, le poids et l’aérodynamisme des véhicules. En poussant la réduction du poids, les quadricycles (l’équivalent de voitures de moins de 500 kg) pourraient se développer, telles que la Renault Twizy ou la Citroën Ami, toutes deux électriques et avec 2 places.
Enfin, de forts gains d’efficacité sont possibles par le passage à 110 km/h sur autoroutes. Celui-ci rejoint le ralentissement évoqué sur la demande de transport, et présente des interactions également avec le report modal, décourageant les plus longs trajets en voiture pour favoriser le train ou les autocars.
Et disposer d’énergies décarbonées
Le cinquième et dernier levier est relatif à la décarbonation de l’énergie, pour passer du pétrole à l’électrique, l’hydrogène, les biocarburants ou le biogaz, à condition que ces énergies soient produites de manière durable. Pour le moment, cette décarbonation a été très faible comme il a été vu en introduction, et les plus forts espoirs sont désormais tournés vers l’électrique, particulièrement adapté pour les véhicules les plus légers. Cependant, si les émissions sont environ 2 à 3 fois moindres en analyse de cycle de vie des véhicules, les émissions plus fortes à la fabrication ainsi que ses autres impacts environnementaux (notamment en raison de la batterie) doivent inviter à penser son développement en interaction avec les mesures de sobriété citées plus haut.
De même, l’électrique est beaucoup moins adapté pour les poids-lourds, le maritime ou l’aérien, en raison du poids de batteries qu’il faudrait embarquer. Les autres énergies telles que l’hydrogène, les biocarburants ou le biogaz pourront ainsi être développées. Cependant, leurs émissions indirectes, les potentiels de production parfois limités ou leurs coûts élevés pourraient contraindre leur développement à la hauteur des enjeux, pointant à nouveau l’importance des facteurs de demande, de report modal, de remplissage et d’efficacité, aussi bien pour le transport de voyageurs que de marchandises.
Combiner les leviers technologiques et de sobriété
Jusqu’à maintenant et tel qu’illustré par la stratégie nationale bas-carbone et les récents plans de relance, les politiques publiques se sont surtout focalisées sur les leviers technologiques. Ceux-ci sont
indispensables pour atteindre les objectifs de décarbonation, mais restent insuffisants s’ils ne sont pas mis en œuvre en interaction avec les mesures de sobriété. La sobriété peut pourtant permettre de faire la moitié du chemin vers la décarbonation des transports, avec de forts co-bénéfices sur d’autres impacts environnementaux et sur la société (baisse des coûts de transports, de la congestion, de la sédentarité, des consommations de ressources, du bruit, etc.). Des freins d’acceptabilité, de changements de comportement ou parfois d’impacts indirects sur l’emploi de certains secteurs (aérien, automobile notamment) doivent encore être levés pour aller vers plus de sobriété. Mais les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat (notamment sur la réduction de la place de la voiture, de l’aérien, le 110 km/h ou le malus sur le poids des véhicules) montrent bien que les citoyens bien informés sur le changement climatique sont prêts à enclencher ces changements. Reste à partager largement et à concrétiser ces attentes dans les politiques publiques nationales et locales, au sein des entreprises, et pour l’ensemble des citoyens et usagers des transports.
Voilà tout un programme que de réussir à combiner les évolutions technologiques et de sobriété, un défi majeur que le secteur des transports doit relever dans les 30 ans à venir !
Transports : les 5 leviers pour sortir de la dépendance au pétrole
Aurélien Bigo
Pour davantage d’informations sur les éléments évoqués, voir les résultats de recherche d’Aurélien Bigo sur cette page.
4 commentaires
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Serge Rochain
Depuis 60 ans on exporté le travail à l’autre bout de la planète en inventant le besoin de créer les distances à parcourir, alors le plus simple est certainement de les supprimer.
Le nucléaire
Savez-vous que l’électricité actuellement est produite par une énergie fossile : le nucléaire ?
DESCLAUD Patrice
Au plan théorique ou technocratique, on ne pourrait être que d’accord. Mais si on considère sa position dans la pyramide des âges (73 ans), dans la vie active (retraité), son habitat (maison individuelle à 8 Km des commerces), et bien on ne vendra plus désormais (donc on ne déménagera pas en ville), on a 2 voitures (GPL, E85 : pas électriques car cher et pas d’autonomie), alors on fait quoi en pratique au quotidien, même si on sort assez peu ? On culpabilise ? On ne fait plus de vélo, on ne prend plus l’avion …
Donc on attend des progrès auprès de fabriquant qui eux vendent des SUV (qu’on achète pas non plus …). Pas simple …
jean sireyjol
Cet article m’a été conseillé par un ami de l’association TaCa. Je le trouve en effet tres clair et avec la hauteur de vue nécessaire, et le recul historique pour apprécier l’ensemble du problème. Nous allons le mettre en ligne dans la partie « Solutions » du site web de taca.asso.fr