Germinal Rouhan, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Serge Muller, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Tout comme le ginkgo, le séquoia de Chine et le pin de Wollemi, la welwitschia appartient au groupe des gymnospermes, dont les graines sont souvent protégées dans des cônes, comme c’est le cas pour les sapins et les épicéas. Les gymnospermes, à la différence des sophoras ou des catalpas par exemple, ne sont donc pas des plantes à fleurs (appelées, elles, angiospermes).
La diversité des gymnospermes a été maximale au Mésozoïque (-250 à -66 millions d’années) avant de fortement régresser. Il n’en subsiste aujourd’hui que mille espèces environ, surtout répandues dans les régions boréales et montagneuses.
Certaines lignées de gymnospermes ne sont plus représentées que par une seule ou quelques espèces, souvent considérées comme « reliques » de ces groupes anciens. La welwitschia, que l’on trouve dans les déserts d’Afrique australe, fait partie de ces « espèces reliques ».
Comment reconnaître la welwitschia ?
Unique représentante de son genre, de sa famille (Welwitschiaceae) et même de son ordre (Welwitschiales), la welwitschia (Welwitschia mirabilis Hook.f.) présente un tronc court et épais issu d’une racine pivotante de 2 à 3 m de profondeur.
Ce tronc se termine par un disque, en bordure duquel se développent uniquement deux feuilles opposées, épaisses et coriaces. Elles ont une croissance continue tout au long de la vie de la plante, et peuvent atteindre des dimensions de 2 à 4 mètres, avec un port torsadé ondulé, couché sur le substrat sableux ou caillouteux.
Le sable abrasif, dont l’effet est décuplé par les vents, contribue à diviser les feuilles longitudinalement en nombreuses lanières, ce qui donne alors l’illusion que ces deux uniques feuilles laciniées sont beaucoup plus nombreuses. Les organes de reproduction sont des cônes, et comme il s’agit d’une espèce dioïque, les cônes mâles et femelles sont portés par des individus différents.
La croissance des welwitschias, comme celle d’un arbre, est visible dans les cernes annuels concentriques du tronc, et l’âge des individus peut donc être grossièrement estimé en comptant ces cernes. L’espèce présente une longévité de plusieurs siècles, voire jusqu’à 2000 ans selon certains auteurs. Le plus grand individu connu, « The Big Welwitschia », atteint 1,4 m de hauteur et 4 mètres de diamètre avec son feuillage. Le désert du Namib (Afrique australe) est le seul endroit au monde où Welwitschia mirabilis pousse naturellement.
Dans son roman Le Tour du monde d’un gamin de Paris, publié à la fin du XIXe siècle, Louis-Henri Boussenard en fait la description suivante :
« Une véritable forêt croissait à perte de vue. Nous disons forêt, car il n’existe pas d’autre mot pour désigner en général une agglomération d’arbres et en particulier celle des welwitschias […]. Ces arbres, trapus, ou plutôt aplatis, avaient pris tout leur développement en largeur. Le tronc semblait un énorme billot dur comme du bois de fer d’où s’échappaient deux feuilles uniques, ligneuses, épaisses, monstrueuses, longues de deux mètres et larges de soixante-quinze centimètres. L’impression produite par la vue de ces culs-de-jatte végétaux tenait de la stupeur, presque du dégoût […]. C’est par trop fort. Jamais, depuis que le monde est monde, on n’a rien vu de pareil. »
Comment elle a été « découverte »
Cette espèce étonnante a été découverte en 1859 par Friedrich Welwitsch, un botaniste autrichien, directeur du jardin botanique de Lisbonne, lors d’une expédition en Angola. Selon ses propres déclarations, Welwitsch tomba à genoux sur le sol brûlant et fixa la chose sans vouloir la toucher, de peur qu’elle ne se révèle être le fruit de son imagination.
L’émotion surmontée, Welwitsch récolta des échantillons et les transmis à J.D. Hooker, directeur du jardin botanique royal de Kew (Londres), qui ne fut pas moins intrigué par cette espèce, comme il le consigne en 1863 :
« C’est une plante que je n’hésite pas à considérer d’un point de vue botanique comme la plus merveilleuse qui ait été découverte au cours du siècle actuel. »
Après des échanges nourris avec d’autres biologistes, en particulier Charles Darwin (qui la compare à un ornithorynque végétal !), Hooker la décrit et l’illustre en 1862 à la demande de Welwitsch.
Hooker dédie le genre nouveau à son découvreur autrichien, après avoir convaincu ce dernier de renoncer au nom qu’il avait proposé, Tumboa – un nom vernaculaire que les populations locales appliquaient à la plante en question (qu’elles connaissaient donc déjà), mais également à d’autres espèces de plantes.
A son aise dans les déserts d’Afrique australe
Les welwitschias poussent aujourd’hui exclusivement dans le désert du Namib, le long d’une bande côtière de moins de 200 km de large, depuis la Namibie jusqu’à l’Angola.
Bien qu’aucune eau de surface n’y soit permanente, la plante semble adaptée à cet environnement : si l’aridité règne ici, il y a aussi la fraîcheur humide provenant de la côte et de ses brumes. En se condensant sous forme de rosée pendant la nuit, l’eau de la brume est captée par les feuilles, alors que la large racine conique s’enfonce assez profondément dans le sol pour atteindre une humidité souterraine en même temps qu’elle ancre fermement la plante dans le sable.
Même dans des déserts sans aucune précipitation annuelle, les welwitschias font bien plus qu’y subsister, puisqu’elles sont aussi capables de s’y reproduire. Les graines mûres restent viables durant des années jusqu’à l’arrivée d’une période de pluie de plusieurs jours : c’est un événement si exceptionnel que les plantes de certaines populations ont toutes le même âge, étant issues de germinations ayant eu lieu durant une rare et unique année pluvieuse.
Malgré des prélèvements très importants et désormais réglementés, l’espèce reste encore assez abondante bien que forcément restreinte aux déserts de Namibie et d’Angola. Des études récentes ont toutefois établi sa vulnérabilité face au changement climatique, et conduisent à signaler certaines populations en danger d’extinction.
La question de la conservation de l’espèce est pertinente sur l’ensemble de l’aire de répartition, puisqu’elle est en fait représentée par plusieurs populations correspondant à deux sous-espèces, mirabilis en Angola et namibiana dans la partie sud de l’aire de répartition. La sous-espèce namibiana a d’abord été mise en évidence en culture au jardin botanique de Berlin-Dahlem en 2001 et rend compte de différences de phénologie et morphologiques au niveau des cônes mâles. Des chercheurs ont estimé que ces différences justifieraient de reconnaître deux espèces à part entière.
Où voir des welwitschias ?
Du fait de ses exigences écologiques, l’espèce n’a bien sûr pas pu être acclimatée en extérieur dans des parcs ou jardins botaniques sous nos climats tempérés. Mais elle est cultivée et peut être admirée dans les serres de plantes désertiques, présentes dans de nombreux jardins botaniques français, à Paris, Nantes ou encore Nancy, de même qu’à Bruxelles, Berlin, Londres, Bâle… En allant un peu plus loin, au jardin botanique de Kirstenbosch (Afrique du Sud), on peut même visiter une serre dédiée à cette espèce phare, la Welwitschia House.
Les collections de botanique de l’Herbier du Muséum en présentent également une plante adulte, récoltée en 1937 par le botaniste Henri Humbert, ainsi qu’une jeune plantule illustrant bien les deux feuilles opposées typiques de l’espèce.
Qui sont ses « voisins » ?
Inclassable depuis sa découverte, Welwitschia a plongé les scientifiques dans la perplexité, en raison des difficultés à déterminer sa nature et ses relations avec les autres plantes.
Seule espèce actuelle de son genre, de sa famille et même de son ordre, on la place dans la classe des Gnetopsida avec deux autres genres de plantes actuelles, Ephedra et Gnetum. Mais les relations de parenté entre les Gnetopsida et les autres plantes restent incertaines. En effet, les Gnetopsida présentent des affinités morphologiques avec les angiospermes (plantes à fleurs) aussi bien qu’avec les gymnospermes actuelles (conifères, ginkgos, cycas), raison pour laquelle elles ont d’abord été considérées comme un groupe de transition dans l’évolution des plantes à graines.
Les travaux de Shu-Miaw Chaw, soutenus récemment par ceux de Jin-Hua Ran en phylotranscriptomique, ont révolutionné cette idée en montrant que les données génétiques pouvaient favoriser une toute autre hypothèse évolutive, qui confirmait Welwitschia et les autres Gnetopsida comme gymnospermes, mais en position de plus proches parents de la famille des Pinaceae (sapins, pins…) au sein des conifères !
Cela impliquerait que les caractères morphologiques partagés entre angiospermes et Gnetopsida seraient apparus deux fois de façon indépendante au cours de l’évolution des plantes. C’est une hypothèse qui reste controversée car les caractères partagés concernent des structures complexes, comme les organes de reproduction qui sont semblables à des fleurs et mettent en jeu une double fécondation. Ainsi, le placement de Welwitschia et des autres Gnetopsida reste débattu dans la reconstruction phylogénétique de l’arbre du vivant. Plus de 150 ans après sa « découverte », Welwitschia demeure toujours mystérieuse…
Germinal Rouhan, Maître de conférences, chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (ISYEB), botaniste systématicien, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Serge Muller, Professeur, chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205 ISYEB, CNRS, MNHN, SU, EPHE), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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