Le plaidoyer de la bergère des collines Florence Robert pour un pacte de responsabilité avec le vivant dans le cadre d’un élevage non industriel

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Vache et cerisiers Bessenay Monts du Lyonnais, Rhône, France (45°46’ N, 4°33’ E). © Yann Arthus-Bertrand

Florence Robert est bergère dans les Corbières. Pour témoigner de la beauté et de la rudesse de ce métier, elle a écrit Bergère des collines, publié aux éditions José Corti dans la collection Biophilia. Dans cette tribune, elle explique toute la complexité du métier d’éleveur et revient sur les difficultés de la profession à se faire entendre, au moment où cette dernière est mise en cause face aux injonctions contradictoires du gouvernement et de l’opinion. Elle rappelle qu’il existe des alternatives à l’élevage industriel qui permettent de concilier une consommation de viande raisonnée, un élevage dans le respect du vivant et du consommateur. La transition écologique doit constituer l’opportunité de rebâtir le pacte de responsabilité qui lie éleveur et animaux au sein de la société.

Les exhortations à arrêter de consommer de la viande sont nombreuses, fondées principalement sur le poids de l’élevage dans les émissions de gaz à effet de serre, ainsi que sur les conditions d’élevage et d’abattage désastreuses révélées par les associations de défense des animaux. Le récent coup de gueule d’une éleveuse de bovin Bio [lire sur le site de France3 Saône-et-Loire : le coup de gueule d’une éleveuse bio contre le film de Yann Arthus-Bertrand qui lui répond] face aux accusations portées sur l’élevage industriel par Yann Arthus-Bertrand (président de la Fondation GoodPlanet) dans son dernier film Legacy a mis en évidence le silence assourdissant qui règne quand il s’agit de présenter les pratiques d’élevage non industrielles. Yann Arthus-Bertrand a depuis précisé le champ de sa critique et rappelé son soutien de longue date aux agriculteurs.

L’agriculture et l’élevage : une diversité de pratiques

Ce silence s’explique de différentes façons. Rappelons d’abord qu’il existe une diversité importante dans l’agriculture. Exploitations Bio, paysannes, raisonnées, conventionnelles, traditionnelles, labellisées ou non, liées à leur terroir ou non, à taille humaine, familiales… Cette absence de critères lisibles et même de nom commun, crée un no man’s land où aucune prise de parole globale ne peut se faire au nom des élevages qui ne relèvent pas de l’agro-industrie.

La difficulté des éleveurs à porter leur parole

Une autre raison tient à la difficulté qu’ont les agriculteurs à prendre la parole. L’intense quantité de travail en élevage ne saurait à elle seule l’expliquer. Leurs quotidiens, leurs pratiques, sont tissés de savoir-être et de savoir-faire bien difficiles à faire valoir à l’écrit comme à l’oral. C’est la raison pour laquelle de nombreux agriculteurs invitent les consommateurs à venir visiter leurs fermes et à les voir travailler avec leurs animaux : pour leur faire toucher du doigt les dimensions physiques, concrètes mais aussi immatérielles de leur métier.

Et puis, entre agribashing, sentiment de déconsidération et mise à jour de pratiques révoltantes dans les abattoirs, les éleveurs sont toujours plus stigmatisés et mal à l’aise. Ce ne sont pas des conditions propices à une prise de parole sereine.

La communication des syndicats sur le sujet n’est guère plus claire. Leurs actions se veulent surtout percutantes et défensives. On doit cependant souligner ici le travail de fond mené par la Confédération paysanne sur le sujet, qui réclame haut et fort une agriculture tournée vers un plus grand respect des animaux et du vivant, en promouvant, par exemple, les abattoirs mobiles et les labels Bio, Nature et Progrès et Demeter, qui est le label de la biodynamie.

L’élevage, un sujet plus que sensible aux résonances multiples

D’autre part, le terrain est glissant. Car en décidant de communiquer avec précision et sincérité sur les conditions d’élevage et d’abattage, on risquerait d’ouvrir plus largement la boite de Pandore. D’abord parce ce qu’on évoque l’abattage lui-même, donc le droit de mort et la mort elle-même, sujet tabou s’il en est. Ensuite, parce qu’en soulevant la question des conditions d’élevage dans l’agro-industrie, on appuie sur un des points de fracture qui cisaille le monde agricole. La guerre est ouverte entre les uns et les autres à propos du fondement même de ce qui nous occupe : le rapport au vivant. Enfin, parce qu’en reconnaissant l’animal capable de sentience, c’est à dire de ressentir douleurs et émotions, on est amené à interroger d’autres domaines où les animaux sont tués : la chasse, la prédation par les grands carnivores, l’abattage de ceux-ci, l’élevage des animaux pour leur fourrure, la vivisection ou encore la corrida. À chacun d’entre eux, un corpus d’enjeux économiques et d’acteurs très organisés, peu à même de remettre en cause leurs pratiques et peu empressés de voir le citoyen lambda s’emparer de ces sujets.

Ce qui caractérise et distingue l’élevage non industriel

Sans chercher à justifier le principe de l’élevage, mon ambition est d’exposer ce qu’auraient en commun les éleveurs non industriels :

– Un lien fort au territoire, avec une part importante de pâturage, qui façonne le paysage et qui favorise la biodiversité (dans certaines conditions bien définies) et avec une alimentation animale produite localement et non transformée. Le pastoralisme est à ce titre le mode d’élevage le plus résilient.

– Un lien fort aux animaux : il est très difficile de travailler en force avec les animaux dès lors qu’ils ont accès au pâturage, qu’ils sont traits ou gardés par un berger. Au contraire, une relation de confiance se crée, basée sur l’attention réciproque, l’écoute, la disponibilité. Nous avons tous pleuré au moins une fois de dépit et de tristesse pour une bête morte sans raison compréhensible, que nous avons découverte au matin, impuissants. Nous avons tous un attachement viscéral à notre troupe, faite d’individus que nous connaissons.

– Un véritable pacte avec le vivant. Nous organisons leur quotidien, leur environnement, nous ne pensons qu’à elles. Là où les antispécistes ne voient qu’une forme d’esclavage, nous mettons en œuvre savoir-faire, patience, détermination. Là où on nous accuse de faire profit de la mort, nous faisons d’abord profit de la vie, nous lui offrons le meilleur. Ce « contrat avec la vie », profondément intégré, contient l’idée de mort. Elle fait partie de notre quotidien, tout autant que la bonne santé et la maladie, l’acte d’euthanasie et la naissance. Rien n’est moins symbolique, rien n’est plus direct, que de fouiller une brebis, d’y trouver un agneau, parfois sans savoir s’il est mort ou vivant, et de tout faire pour le sortir en espérant sauver la mère et l’agneau. Cette frontalité est intégrée parfaitement. À l’heure où il est question de réinventer de nouveaux modèles, les éleveurs vivent, travaillent, avec celui que propose la nature, qui de façon immémoriale fête les vivants et inclute la mort et la consommation même de la mort. Selon l’expression d’un ami berger, les agneaux sont les fruits tombés de l’arbre que nous soignons et faisons grandir. Nos compétences sont nombreuses et nous accumulons les heures et les soucis, au profit de la santé et du bien-être des animaux. Si certains éleveurs ne sont pas ceux-là, beaucoup se reconnaîtront dans ce portrait. Les animaux enfermés dans des loges où ils ne peuvent pas se retourner nous horrifient, la violence lors de l’abattage des animaux nous révulse. Notre sensibilité est autre cependant. Là où collectivement on préfère « ne pas trop savoir », ou, au contraire, on refuse tout en bloc, nous assumons la frontalité exigée par la transformation de l’animal vivant en viande bonne à consommer.

Des questions légitimes à se poser sur la place de l’élevage et de la viande dans nos sociétés

À l’heure d’une conscience de plus en plus avertie des problèmes environnementaux et de la cause animale, la consommation de viande nous pose trois questions majeures : a-t-on le droit de tuer les animaux ? a-t-on le droit de faire souffrir les animaux ? a-t-on le droit d’ignorer la pollution qu’engendre sa production ?

Les éleveurs restent étrangement silencieux et peinent à répondre. J’affirme que dans la plupart des exploitations, ces derniers ont conclu un pacte de responsabilité avec le vivant, qui incluts la question de la mort. Cette conception associe la sensibilité, le fait de prendre soin, à la question de l’abattage. S’ils répondent donc oui à la première question, ils répondent non à la deuxième question, très fermement. Leurs pratiques, par des logiques intrinsèques à leur taille modeste, minimisent leur impact environnemental, notamment en incluant le pâturage au maximum, et ce d’autant plus qu’elles sont Bio et plus.

Ce métier qui recouvre toutes les dimensions du vivant, du plus symbolique au plus charnel, devrait être parmi les plus beaux du monde : produire une nourriture goûteuse et pourvoyeuse de bonne santé, issues d’animaux élevés et abattus dans les meilleures conditions, et respectueuses de l’environnement. Formulé et exercé ainsi, il répond à une notion fondamentale, grande oubliée de notre société, et qui intègre la dimension de la mort : la vitalité.

Il reste au consommateur à faire l’effort de choisir sa viande avec soin, à en manger peu, et en la dégustant pour ce qu’elle est dans tout système résilient : un produit d’exception.

Florence Robert
Les conseils de lecture de Florence Robert pour lire sur le sujet

http://blog.afaad.net/temoignage-eleveuse-sur-les-scandales-recents-dans-les-abattoirs/
Cause animale, cause paysanne, défaire les idées reçues, propositions et paroles paysannes. Manifeste de la Confédération paysanne, éditions Utopia.

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