« Ils n’ont cassé que des cabanes, nous sommes toujours là et nous ne partirons pas ! » Comme Lucie*, qui vit sur le site du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes près de Nantes, les habitants de la ZAD, pour Zone d’aménagement différé – rebaptisée en « Zone à défendre » –, ne comptent pas quitter les lieux. En réponse à l’opération César, orchestrée par les forces de l’ordre il y a quelques semaines et au cours de laquelle plusieurs personnes ont été violemment expulsées et leurs habitations détruites, ils ont organisé samedi 17 novembre une vaste opération de réoccupation des terres, l’opération Astérix.
Près de 38 000 personnes venues de la France entière (selon les organisateurs) mais aussi d’Europe ont ainsi investi le bocage nantais, bottes aux pieds et outils à la main. Car plus qu’une simple manifestation, c’est une véritable opération de reconstruction qui attendait les participants à cette journée de mobilisation contre un projet vieux de 40 ans, coûteux – entre 500 millions et 3 milliards d’euros – et écologiquement dévastateur – le site choisi abrite des zones humides importantes pour la biodiversité de la région et l’aviation est un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre dans le monde.
« On va gagner ! », lance un homme sur le point de rejoindre le bourg de Notre-Dame-des-Landes pour le départ de la manifestation. La cinquantaine, ce Nantais explique qu’il était des luttes au Larzac dans les années 70, mais aussi à Plogoff, au Carnet ou encore au Pellerin, autant de noms qui renvoient à des mouvements antinucléaires des décennies passées. Pour beaucoup, Notre-Dame-des-Landes est un nouveau Larzac mais dans le cortège ne défilent pas que des soixante-huitards nostalgiques.
A pied, à vélo ou même en fauteuil roulant, petits et grands, familles, retraités, adolescents, punks, rastas ont répondu présents. Et partout, des drapeaux blancs avec un cercle rouge et un avion barré, le symbole des anti-aéroport. A part quelques drapeaux bretons et des pancartes avec des slogans, aucun autre drapeau d’une quelconque organisation ne dépasse de ce serpent long de 5 kilomètres. Pourtant, Greenpeace, les Amis de la Terre, ATTAC, la Confédération paysanne pour ne citer qu’eux étaient présents, de même que certains hommes politiques mais tous sont restés discrets afin de faire bloc, comme l’avaient demandé les organisateurs. En tête du cortège, une banderole et un message : « Contre l’aéroport et son monde, seule la lutte décolle ! »
Sur le chemin se dresse le lieu dit de la Vache Rit. Cette grange qui sert de quartier général aux opposants à l’aéroport symbolise, comme la Bergerie du Larzac en son temps, la résistance à ce projet et abrite aussi désormais les expulsés de l’opération César. Plus loin, à côté d’un hangar rempli de bottes de pailles où des musiciens jouent de la guitare électrique devant les clowns de la BAC (Brigade activiste des clowns), se tient une buvette où l’on sert du jus de pomme issues des vergers voisins ainsi que de la soupe pour réchauffer les manifestants. Il ne pleut pas mais l’air est frais et humide.
L’ensemble du cortège a rendez-vous dans un immense champ prêté par un agriculteur afin d’accueillir toutes ces personnes. Au son des batucadas, un chapiteau et des tentes y sont installées pour abriter l’infirmerie, la cantine, la buvette et un espace de prise de parole des différents acteurs engagés dans la lutte.
« Le moment des expulsions a aussi été celui du rassemblement, souligne Dominique Fresneau, co-président de l’ACIPA (Association citoyenne Intercommunale des Populations concernées par l’Aéroport de Notre Dame des Landes). Mais qu’ils prennent garde, car plus la lutte se renforce sur le terrain, plus elle s’étend ! » Ovationné par la foule, il cède la place à Michel, un agriculteur dont la famille est installée sur la ZAD depuis plusieurs générations qui remercie l’ensemble des résistants à l’aéroport qui, « au pire moment de la lutte, en ne cessant d’y croire, ont fait naître l’espoir d’une victoire » et rappelle que « les habitants de la ZAD, les squatteurs, proposent une utopie autrement réjouissante que celle proposée par Vinci et les autres promoteurs de l’aéroport ! […] Il est temps de nous réapproprier l’aménagement du territoire, le moment arrive où désobéir est un devoir ! »
Lui succéderont d’autres intervenants dont un représentant de la coordination NO TAV en Italie, qui s’oppose à un autre grand projet inutile imposé (GPII), la ligne Lyon-Turin, ainsi qu’une jeune fille venue d’Allemagne où des citoyens résistent à un projet de mine de charbon mené par le groupe RWE qui menace la forêt de Hambach, et bien d’autres encore.
Plus loin, les travaux ont commencé. Certains défrichent des chemins, d’autres forment spontanément des chaînes humaines pour acheminer le matériel des tracteurs jusqu’au lieu de construction. Planches en bois, palettes, pneus, bâches, tôles circulent ainsi de main en main. La solidarité, l’entraide et la bienveillance qui animent et lient toutes ces personnes renforce leur sentiment d’être « in-Vinci-bles », comme on peut lire sur une route. En tout, ce sont cinq cabanes qui sortent petit à petit de terre : une salle de réunion, des dortoirs, une cantine, des sanitaires et un atelier. Aidés par des dizaines de personnes, les équipes de chantier avancent à une allure impressionnante. « On ne s’attendait pas à un tel engouement, c’est extraordinaire », avoue Andy, qui coordonne la construction de la salle de réunion.
Festive et populaire, cette journée de mobilisation marquait le début d’une semaine de reconstruction. Tout au long de la semaine, les habitants de la ZAD aidés par des anonymes reconstruisent ce qu’ils ont perdu pour créer un véritable foyer de résistance. Et pour éviter que ces nouvelles constructions soient à leur tour détruites, des propriétaires en cours d’expropriation leur ont prêté des terrains, ce qui permettra de retarder toute nouvelle opération des forces de l’ordre. Agriculteurs, familles, habitants illégaux, élus, associations, simples citoyens, la diversité des opposants à l’aéroport est sans doute une de leur plus grande force pour résister à ce projet controversé.
Les sourires et les rires sur les visages des milliers de personnes présentes samedi 17 novembre n’en font pour autant pas oublier que dans les jours ou les semaines à venir, les expulsions risquent de reprendre. Au Rosier, première maison occupée par des personnes extérieures depuis 5 ans et sous le coup d’une intervention des forces de l’ordre depuis le 16 novembre, la tension est palpable. Tous les chemins et routes qui y mènent sont bloqués par des barricades et on écoute en permanence Radio Klaxon, une radio pirate installée sur 107.7 FM, la fréquence de la radio Autoroute FM, gérée par… Vinci.
Installé derrière ses billig pour faire des crêpes aux personnes du Rosier, Ludo et Virginie ont vécu sur la ZAD il y a trois ans. « On s’était promis de revenir lorsque les expulsions commenceraient. On est là », racontent-ils. Sur un mur, une banderole : « Nous lutterons contre l’aéroport par tous les moyens. » Samedi 17 novembre, la lutte que certains estimaient n’être qu’une problématique locale est devenue une cause nationale. Et sur l’estrade de prise de parole, un zadiste répétait ce message : « Le mouvement contre l’aéroport et son monde prend de l’ampleur. Une lutte collective qui ne fait que commencer. »
*Tous les prénoms ont été changés.
Benjamin GRIMONT
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