Le parc national du Mercantour organise ce 30 mai son vingtième lâcher en vingt ans de gypaètes barbus. Alain Morand, responsable scientifique du parc, revient sur les conditions qui ont permis la réintroduction réussie de ce grand vautour dans les Alpes françaises.
Pourquoi réintroduire cette espèce ?
Il s’agit d’une espèce à haute valeur symbolique et emblématique de la nature sauvage. C’est un message important qui est envoyé, celui du respect de la nature sauvage. Les hommes peuvent permettre à une espèce qu’ils ont pourtant chassée de revenir. Surtout lorsque la connaissance scientifique permet de dépasser les préjugés sur une espèce. Après, c’est le fruit d’un travail conjoint entre gestionnaires et chercheurs et de leur persévérance. Ce qui témoigne d’un engouement pour la protection de la nature.
Qu’est ce qui a causé la disparition du gypaète barbu ?
Le gypaète barbu a longtemps souffert d’une mauvaise image. Considéré comme un fléau, il a même été surnommé, un temps, la « hyène des airs ». A tort, les gens le considéraient comme un rapace prédateur (d’enfants ou d’agneaux) alors qu’il n’est que nécrophage, c’est-à-dire qu’il se nourrit uniquement de restes animaux comme des lambeaux de tendons ou la moelle des os. Il a disparu des Alpes au 19e siècle, mais est parvenu à se maintenir ailleurs comme dans les Pyrénées. Comme de nombreux autres vautours, il a souffert de son apparence, des préjugés ainsi que de nombreuses légendes forgées par les gens de la montagne.
Jusqu’en 1850, il était encore présent quasiment dans toutes les Alpes françaises. Mais 50 ans plus tard, il avait disparu car chassé pour ses trophées. Ses plumes et ses œufs de grande taille étaient prisés des chasseurs collectionneurs. Certains musées français ou italiens comptent plusieurs spécimens d’adultes naturalisés, jusqu’à une vingtaine parfois. De plus, le gypaète a été aussi une victime indirecte d’empoisonnement de prédateurs comme le loup, au travers de carcasses laissées abandonnées.
Quels sont les résultats ?
Dans les Alpes, alors que l’espèce avait disparu, 179 jeunes gypaètes ont relâchés au travers de ce programme de réintroduction depuis 1986. Dans les Alpes du sud, depuis 1993, 41 individus à la fois côté Mercantour ou Parco Naturale Maritime en Italie. Au niveau de l’arc alpin, il y a aujourd’hui 20 couples reproducteurs. 83 naissances ont été observées. Pour le moment dans les Alpes du Sud, un seul couple est réellement fidélisé et se reproduit chaque année depuis 2007.
Quel rôle le gypaète joue-t-il dans l’écosystème ?
Il nettoie les écosystèmes des cadavres de mammifères comme les bouquetins ou les chamois. Nécrophage, il se nourrit de carcasses, de lambeaux de tendons et aussi de la moelle d’os qu’il extrait en brisant les os en les larguant de plusieurs centaines de mètres de hauteur. Sous certaines conditions et en respectant la réglementation, les éleveurs peuvent lui laisser certaines carcasses. En les ingérant, il participe à la santé des écosystèmes et évite que des corps se décomposent près de points d’eau qui seraient alors pollués. Comme il ne s’attaque pas aux animaux vivants, il n’y a pas de problème de cohabitation avec les éleveurs, les bergers ont su oublier les légendes du passé. Ils se plaisent à observer ces grands oiseaux et participent activement à leurs observations.
D’où viennent les gypaètes qui seront relâchés le 30 mai ?
Il s’agit d’un mâle et d’une femelle qui proviennent de 2 centres d’élevage, l’un en Autriche , l’autre en Espagne. Pendant plusieurs semaines, ils resteront dans une grotte, nourris et surveillés par une équipe de spécialiste. L’envol survient globalement une centaine de jours après l’éclosion. Concernant l’apprentissage du vol, si les premiers vols s’effectuent de façon intuitive (inné), les oiseaux apprennent plus rapidement si ils bénéficient de l’expérience d’autres grands rapaces comme les vautours fauves ou moines qui fréquentent le territoire du Mercantour en été. De plus, il arrive aussi que des gypaètes plus âgés prennent des jeunes sous leur aile.
Quel est le coût de l’opération ?
Les programmes de réintroduction ont bénéficié de financement en provenance du Ministère de l’Ecologie, de la région et de l’Europe. Aujourd’hui, nous travaillons également avec des partenaires comme la fondation Albert II de Monaco. Il faut savoir que deux individus comme ceux que nous allons relâcher coûtent 15 000 euros dans les centres d’élevages. A cela, il faut ajouter le suivi, avec des équipements comme des balises Argos, et les équipes. Au final, s’il fallait évaluer depuis 20 ans le coût d’un tel programme, je l’estimerais à quelques centaines de milliers d’euros. Mais, il faut relativiser ce budget, qui sur plusieurs années, est équivalent au coût d’un seul rond-point [dont le coût peut dépasser 300 000 euros et dont il existerait plus de 30000 en France].
Propos recueillis par Julien Leprovost
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