La question de savoir si l’écologie reste ou non une préoccupation de riches reste dans les esprits alors que bien souvent les plus précaires figurent parmi les premières victimes des nuisances environnementales. Début avril 2021, l’Institut Paris Région a publié une note La transition, un levier de développement pour les quartiers populaires. Elle souligne un renouveau la manière de penser l’écologie dans les quartiers populaires en mettant en avant l’émergence d’incitatives locales de transition. Un des auteurs de la note, l’urbaniste au Département Urbanisme, aménagement et territoires de l’Institut Paris Région Nicolas Laruelle a répondu par email à 3 questions autour du sujet.
De quelle manière les inégalités sociales et environnementales se recoupent-elles dans les quartiers populaires d’Ile-de-France ?
D’un côté, les 272 « quartiers prioritaires de la politique de la ville » retenus pour l’Île-de-France par la loi Lamy en 2014 en raison de leur part de ménages à bas revenus rassemblent 13 % de la population régionale. De l’autre côté, les 864 « points noirs environnementaux » identifiés par L’Institut Paris Région en 2015 en raison de leur multi-exposition aux pollutions et nuisances concernent, eux aussi, 13 % de la population régionale. Il peut être tentant d’imaginer que ces deux géographies, celle de la défaveur sociale et celle de la défaveur environnementale, se recouvrent parfaitement.
« Les 864 « points noirs environnementaux » identifiés par L’Institut Paris Région en 2015 en raison de leur multi-exposition aux pollutions et nuisances concernent, eux aussi, 13 % de la population régionale. »
C’est en fait loin d’être le cas, puisque plus des trois-quarts des personnes résidant dans un quartier populaire ne sont pas concernées par un point noir environnemental (certains quartiers populaires offrant même un cadre de vie particulièrement agréable) et, à l’inverse, plus des trois quarts des personnes concernées par un point noir ne résident pas dans un quartier populaire (certains points noirs concernant même une population plus aisée que la moyenne francilienne). Mais attention, si 22 % de la population des quartiers populaires franciliens est concernée par un point noir environnemental, ce n’est que 12 % de la population hors de ces quartiers qui est concernée par un point noir. Une personne résidant dans un quartier populaire a donc près de deux fois plus de probabilités qu’une autre d’être concernée par un point noir (22 % contre 12%) !
« Attention, si 22 % de la population des quartiers populaires franciliens est concernée par un point noir environnemental, ce n’est que 12 % de la population hors de ces quartiers qui est concernée par un point noir. »
Surtout, les personnes résidant dans les quartiers populaires sont d’autant plus vulnérables à l’exposition aux pollutions et nuisances, comme d’ailleurs à la crise sanitaire actuelle, que, premièrement, elles présentent une plus forte sensibilité (liée notamment à leur état de santé et à leurs conditions de logement) qui accroît les risques sanitaires de l’exposition. Et que, deuxièmement, elles montrent une plus grande « difficulté à faire face » (liée notamment à leur défaveur sociale et économique et à leur difficulté d’accès aux soins et aux droits) à ces risques sanitaires lorsqu’ils se concrétisent. Ainsi, même si ces personnes n’étaient pas exposées à plus de pollutions et nuisances que le reste de la population francilienne, elles seraient bien plus touchées.
« Les personnes résidant dans les quartiers populaires sont d’autant plus vulnérables à l’exposition aux pollutions et nuisances. »
Comment la transition socio-écologique peut-elle devenir un levier de développement pour les quartiers populaires ?
La transition a d’abord un impact symbolique, qui me rappelle les propos d’un responsable de chantiers d’insertion remarquant que la motivation des jeunes stagiaires était bien plus forte quand il s’agissait, plutôt que de réparer les bancs de leur quartier, d’aller rénover les bâtiments publics patrimoniaux du centre-ville, et peut-être ainsi d’accéder symboliquement à une citoyenneté plus large et plus valorisante. De la même façon, avec la transition socio-écologique, la composante environnementale de la politique de la ville s’élargit bien au-delà des enjeux très locaux de pollutions et de nuisances – qui restent bien sûr importants – pour intégrer les défis planétaires de l’énergie, de l’alimentation, de la biodiversité, du climat… : les habitantes et habitants des quartiers populaires peuvent désormais s’emparer de la possibilité de changer le monde, pas seulement leur monde mais notre monde commun à tous, ce qui améliore l’image que ces personnes ont d’elles-mêmes et renforce leur capacité d’action. On peut parler d’empowerment (ou encapacitation), « processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper » [1].
« Avec la transition socio-écologique, la composante environnementale de la politique de la ville s’élargit bien au-delà des enjeux très locaux de pollutions et de nuisance. »
Il en résulte un foisonnement d’initiatives locales de transition socio-écologique, portées dans de multiples domaines (mobilité durable, économie circulaire, agriculture urbaine…) par des associations, des collectifs ou des coopératives qui forment depuis longtemps un tissu économique « social et solidaire » très dense dans certains quartiers populaires. Avec un impact très concret : un développement plus « endogène » et à plus forte « valeur sociale ajoutée », marqué par la capacité à mobiliser dans des ateliers ou des chantiers d’insertion des personnes très éloignées du marché du travail, même si certains types d’initiatives doivent encore consolider leur modèle économique ou pouvoir accéder à des locaux plus adaptés (notamment pour l’agriculture urbaine, l’économie circulaire ou la logistique urbaine). Des emplois accessibles au plus grand nombre, le plus souvent non délocalisables et, surtout, considérés comme particulièrement utiles à tous.
Ce foisonnement d’initiatives locales se double d’un mouvement de rénovation urbaine ambitieuse de nombreux quartiers populaires dans le cadre du programme national de rénovation urbaine (PNRU puis NRPNRU) qui a eu, dès son lancement en 2003 sous l’égide de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), le double objectif « de mixité sociale et de développement durable ». Avec pour l’instant un impact encore limité en termes d’emplois, car les petites entreprises locales du bâtiment ou les associations intermédiaires pourtant éligibles aux « clauses sociales » ne peuvent pas toujours répondre aux exigences techniques des gros marchés de rénovation, ou s’inscrire avec succès dans les circuits de réemploi des déchets de démolition.
N’existe-t-il pas un risque d’éco-gentrification ?
Bien sûr, il faut rester vigilant. Mais la reconnaissance de trente opérations de rénovation urbaine franciliennes en tant que « quartier durable » (labellisation « écoquartier » par l’État et/ou accompagnement financier par la Région), si elle a amélioré l’image des quartiers concernés (Mantes-la-Jolie, Nanterre-Université, Villiers-le-Bel…), s’est heurtée à la violence des phénomènes de polarisation sociale à l’œuvre dans la région et ne semble pas encore avoir eu l’effet escompté sur la mixité sociale, par l’attraction significative de populations plus aisées. Si d’aucuns pouvaient craindre une « éco-gentrification » des quartiers populaires par la rénovation urbaine, ce processus d’éviction des populations les plus défavorisées sous l’effet de l’amélioration de l’environnement ne semble poindre que dans un nombre limité de quartiers anciens de Paris et de la Petite couronne, où la part de logements locatifs sociaux est insuffisante pour jouer son rôle d’amortisseur en maintenant sur place une population plus modeste.
« Si d’aucuns pouvaient craindre une « éco-gentrification » des quartiers populaires par la rénovation urbaine, ce processus d’éviction des populations les plus défavorisées sous l’effet de l’amélioration de l’environnement ne semble poindre que dans un nombre limité de quartiers anciens de Paris et de la Petite couronne. »
Il en va de même pour l’instant pour ce qui est du foisonnement d’initiatives de transition socio-écologique. Certes, la localisation de certaines initiatives dans les quartiers populaires ou à leurs abords a parfois des motivations opportunistes (disponibilité de locaux abordables, exonérations fiscales, aides publiques…), qui peut faire penser aux phénomènes d’éco-gentrification observés notamment à Détroit par la chercheuse Flaminia Paddeu. Mais la plupart des initiatives que nous avons recensées en Île-de-France semblent au final être bien ancrées localement et bâtir de vraies passerelles sociales et spatiales en mêlant, parmi leurs salariés et bénévoles comme parmi leurs clients et bénéficiaires, des personnes du quartier populaire et des quartiers environnants. Par exemple, le FoodLab95, « incubateur culinaire inclusif » implanté dans l’ancienne cuisine centrale de Goussainville, privilégie l’accompagnement des porteurs de projets de son territoire.
« Les initiatives qui sont menées de part et d’autre des frontières de ces quartiers populaires sont sans doute une belle opportunité de réenvisager de façon plus inclusive, plus positive, plus enthousiasmante pour tous, une politique en faveur des quartiers populaires. »
Ainsi, dans notre travail sur les « hauts lieux de la transition » en Île-de-France, ces portions d’espace de l’ordre d’un kilomètre de côté qui concentrent une forte densité et une grande diversité d’initiatives de transition socio-écologique, nous avons été surpris de remarquer que plusieurs de ces hauts lieux se trouvent à cheval entre un quartier populaire et un quartier environnant, souvent de centre-ville. Les initiatives qui sont menées de part et d’autre des frontières de ces quartiers populaires sont sans doute une belle opportunité de réenvisager de façon plus inclusive, plus positive, plus enthousiasmante pour tous, une politique en faveur des quartiers populaires qui a longtemps été essentiellement réparatrice voire compensatrice, et souvent stigmatisante.
Propos recueillis par Julien Leprovost
RÉFÉRENCES [1] Bacqué Marie-Hélène, « L’intraduisible notion d’empowerment vue au fil des politiques urbaines américaines », Territoires, n°460, 2005, p. 32-35
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2 commentaires
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michel CERF
N’oublions pas que la pollution concerne aussi nos campagnes !
Guy J.J.P. Lafond
Réflexion très intéressante! Merci.
Je crois au levier de la langue française (« soft power ») pour assurer un bon exemple partout sur cette si fragile planète bleue quand il s’agit de protéger des besoins essentiels tels l’air pur et l’eau cristalline.
À suivre,
t: @GuyLafond @FamilleLafond
À nos vélos, à nos espadrilles de course, à nos équipements de plein air! Car le temps file et car nos enfants comptent et savent compter.
@:-)