Marc Jedliczka, porte-parole de l’Association négaWatt : « la conjugaison de ces deux familles de mesures, sobriété et efficacité, permet de diviser par 2 la consommation finale d’énergie de la France »

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Pylône électrique d'une ligne haute-tension et jardins ouvriers dans les Yvelines © Yann Arthus-Bertrand

Depuis une quinzaine d’années, l’association négaWatt propose des scénarios de transition énergétique pour la France. Marc Jedliczka, l’un de ses porte-parole revient sur la faisabilité du scénario négaWatt qui mise sur la réduction de la consommation d’énergie pour permettre aux énergies renouvelables de répondre à la demande énergétique du pays.

Qu’est-ce que le scénario négaWatt ?

Le scénario négaWatt est un scénario de transition énergétique qui permet d’atteindre la neutralité carbone tout en fermant progressivement les 56 réacteurs nucléaires en activité, en ne lançant pas la construction de nouveaux réacteurs et en ne démarrant même pas l’EPR de Flamanville. Pour autant, la sortie du nucléaire n’est pas une fin en soi. Notre scénario vise avant tout à sortir complètement des énergies fossiles tout en s’inscrivant dans le respect des 17 Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. négaWatt montre que pour ce faire, le nucléaire n’est pas nécessaire.

Concrètement qu’est-ce que cela signifie ?

Si le scénario envisage de se passer du nucléaire à terme, il ne s’agit pas pour autant de sortir de cette énergie du jour au lendemain, mais de mener les réacteurs actuellement en service au terme prévu de leur durée de vie dans des conditions de sécurité acceptables. Notre hypothèse de travail propose de miser d’une part sur des mesures de maitrise de la consommation d’énergie grâce à l’efficacité et la sobriété, d’autre part sur le développement des énergies renouvelables. C’est ce qui permet de ne pas prolonger la durée de vie des centrales outre-mesure ni de démarrer de nouveaux réacteurs.

Comment y parvenir ?

La sobriété correspond à des comportements individuels ou collectifs qui visent à réduire la demande d’énergie pour rendre ce que l’on appelle « des services énergétiques » tels que se chauffer, s’éclairer, se déplacer, communiquer, etc.. Un exemple typique est la réduction de la vitesse sur les routes qui permet de répondre au besoin de se rendre d’un point A à un point B certes en prenant un peu plus de temps mais en consommant beaucoup moins d’énergie et en émettant beaucoup moins de gaz à effet de serre. Les mesures d’efficacité quant à elles visent à améliorer les rendements en travaillant par exemple sur l’isolation des bâtiments ou le rendement des moteurs, afin qu’ils consomment moins à performances équivalentes. Le scénario négaWatt a démontré dès 2011 que la conjugaison de ces deux familles de mesures, sobriété et efficacité, permet de diviser par 2 la consommation finale d’énergie de la France. Les énergies renouvelables peuvent alors répondre à une demande réduite en énergie. Cette ambition a d’ailleurs été reprise dans les objectifs fixés par la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015. Ajoutons que la France est un pays privilégié puisque notre géographie et notre météorologie offrent beaucoup de vents, de soleil, de forêts et de rivières pour produire localement l’énergie renouvelable dont nous avons besoin pour répondre à une demande divisée par 2.

Quelle surface du territoire faudrait-il consacrer à cette production d’énergies renouvelables ?

Les besoins en surfaces dédiées sont raisonnables. Il nous faudrait environ 20 000 éoliennes terrestres (contre 8 000 actuellement), soit moins que le parc aujourd’hui en service en Allemagne et, par ailleurs, les côtes françaises sont assez étendues pour permettre de développer l’éolien off-shore sans saturer l’espace. Les panneaux photovoltaïques peuvent être installés sur les bâtiments ou recouvrir des infrastructures existantes telles que les parkings ou encore les friches industrielles. Il n’y a pas besoin d’aller installer des énergies renouvelables en allant chercher des terrains agricoles ou des espaces naturels à préserver. La surface totale de panneaux à installer représente entre 900 et 1 200 km2, soit entre 0,17 et 0,23 % de la superficie totale du territoire de la France métropolitaine, Cela reste un faible pourcentage du territoire. Enfin, le scénario négaWatt mise aussi sur la biomasse (bois et biogaz), sans recourir aux cultures énergétiques qui entreraient en concurrence avec l’alimentation.

Dans votre scénario, vous voyez donc le nucléaire comme une énergie de transition plutôt qu’une énergie durable ?

Nous exploitons au mieux le nucléaire existant, dont la durée de vie peut être prolongée sous certaines conditions. Mais nous refusons la construction de nouvelles centrales car la filière a montré ses limites et se trouve dans une impasse technologique partout dans le monde, notamment sur la question de la gestion des déchets. En France, 80 % des réacteurs ont été construits en 10 ans, ils arrivent donc tous au même âge à peu près en même temps, ce qui fait qu’on subit « un effet falaise » qui complexifie la transition car cela impose de raisonner réacteur par réacteur si l’on veut éviter les risques à la fois sur la sécurité d’approvisionnement et sur la sécurité tout court.

Le nucléaire peut donc être considéré comme une énergie de transition, au même titre que le gaz fossile communément appelé « naturel » que l’on l’importe principalement de Russie ou d’Algérie. Il émet moins de CO2 que le charbon et peut jouer un rôle à court terme dans la mobilité, notamment des véhicules les plus lourds, avant d’être progressivement remplacé par du gaz renouvelable qui peut être issu de la méthanisation des matières organiques (biogaz), de la gazéification du bois ou des excédents d’électricité renouvelable (via la « méthanisation » de l’hydrogène) – quand il y en aura, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, la France étant très en retard sur ses propres objectifs en la matière.

Pensez-vous que les gens sont prêts à faire des efforts pour aller vers plus de sobriété que ce soit à l’aide de la technologie ou en modifiant leurs comportements ?

Penser que les gens vont spontanément faire des efforts, c’est se bercer d’illusions. Le sujet doit impliquer l’ensemble de la société, à commencer par nos dirigeants s’ils ont une once de sincérité dans leurs engagements climatiques. Des efforts de pédagogie restent plus que jamais nécessaires. Il faut aussi sortir du mythe de la croissance infinie dans un monde fini et de certaines contradictions. Par exemple, comment dire qu’il faut réduire l’impact de notre consommation, si la publicité ne cesse d’inciter à consommer davantage sans se soucier de l’avenir de la planète… comment va-t-on y arriver ? Les incitations ne suffiront pas. Les tergiversations autour de la loi climat et résilience, qui s’avère très décevante alors qu’elle était censée reprendre « sans filtre » les mesures proposées par la Convention Citoyenne pour le Climat, montrent bien la difficulté de l’exercice.

Propos recueillis par Julien Leprovost

 Le site de l’association négaWatt

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2 commentaires

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    • Jean Grossmann

    Le porte-parole des lutins thermiques est d’accord avec Marc.
    et le scénario Negawatt qui vise avant tout à sortir complètement des énergies fossiles. Ce scénario montre aussi qu’il est possible de satisfaire notre besoin en énergie en respectant les 17 Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. sans le nucléaire. Voir
    http://www.infoenergie.eu/riv+ener/ONU.htm

    Maintenant que l’erreur de Flamanville est commise notre intérêt est, pour satisfaire dans l’immediat notre besoin énergétique, de franchir au mieux cette mauvaise passe en démarrant l’EPR dans les meilleures conditions possibles.

    Pour se faire, Paris qui semble-t-il ne peut rien faire sans passer par l’aspect législatif et qui souhaite se positionner en tant que leader en ce qui concerne notre transition énergétique, devrait en ce qui concerne le chauffage de l’habitat établir sans attendre un texte de loi n’autorisant l’utilisation de l’électricité en provenance de Flamanville que dans le cadre de la « Solar Water Economy » (SWE).

    Ceci en interdisant les « grilles-pain »

    • Jean Grossmann

    Excuse pour le lien

    http://www.infoenergie.eu/riv+ener/LCU_fichiers/ONU-17objectifs.pdf