Les programmes « zéro émission nette » – ou « neutralité carbone » – gourmands en terres, pourraient entraîner une hausse de 80 % du prix des denrées alimentaires et une aggravation de la faim dans le monde, tout en permettant aux pays riches et aux entreprises d’entretenir un statu quo néfaste.
Selon un nouveau rapport d’Oxfam publié aujourd’hui, l’utilisation des terres pour compenser les émissions de carbone dans le monde afin d’atteindre le « zéro émission nette » – ou neutralité carbone – d’ici 2050 est hautement contre productive et dangereuse. Selon cette stratégie, il faudrait planter au moins 1,6 milliard d’hectares de forêts – soit l’équivalent de cinq fois la superficie de l’Inde, ou encore plus que la totalité des terres arables de la planète – pour absorber tout le carbone émis dans l’atmosphère.
Le rapport d’Oxfam intitulé « Pas si net » révèle que trop de gouvernements et d’entreprises cachent leurs desseins derrière des programmes de « stockage du carbone » peu fiables, non éprouvés et surtout irréalistes. Cette stratégie de diversion est utilisée pour pouvoir prétendre aboutir à la neutralité carbone en 2050 à travers des plans de lutte contre le changement climatique insuffisamment ambitieux. En réalité, les décideurs politiques et économiques ne parviennent pas à réduire les émissions d’une manière suffisamment rapide et décisive pour éviter un dérèglement climatique catastrophique. La multiplication récente des annonces de neutralité carbone repose sur des promesses démesurées de planter des arbres à grande échelle sur de vastes étendues de terre en vue de piéger les gaz à effet de serre de l’atmosphère.
Pour limiter le réchauffement à moins de 1,5 °C et prévenir les dommages irréversibles causés par le changement climatique, il faudrait que le monde soit en bonne voie pour réduire de 45 % les émissions de carbone d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2010. Les coupes les plus franches incombent aux plus gros émetteurs. Or, les plans actuellement mis en œuvre par les pays ne permettront de réduire les émissions que de 1 % environ à l’échelle mondiale d’ici à 2030.
La crise climatique a d’ores et déjà des conséquences désastreuses pour l’agriculture dans le monde entier. Elle entraîne, en outre, une aggravation des crises humanitaires, de la faim et des migrations. Les personnes pauvres et vulnérables, notamment les agricultrices et les autochtones, sont les plus touchées. Cette crise sape tous les efforts déployés pour lutter contre la pauvreté et les inégalités dans le monde.
Comme l’affirme Armelle Le Comte, responsable du plaidoyer climat à Oxfam France : « Le « zéro émission nette » devrait reposer sur un objectif « zéro émission réelle » qui exige une réduction drastique et tangible des émissions, une élimination progressive des combustibles fossiles et un investissement conséquent dans des sources d’énergie et des chaînes d’approvisionnement propres. Au lieu de cela, trop d’engagements pris sous le prétexte d’aboutir à la neutralité carbone ne font que masquer l’inaction climatique. C’est un jeu dangereux pour l’avenir de notre planète. »
« Les solutions fondées sur la nature et l’utilisation des terres pour piéger le carbone constituent une part importante des efforts à déployer pour réduire les émissions mondiales, mais elles doivent être mises en œuvre de manière beaucoup plus modérée. Selon les plans actuels, il n’y a tout simplement pas assez de terres dans le monde pour que ces solutions se matérialisent dans leur intégralité. Au lieu de cela, elles risquent de provoquer encore plus de faim, d’accaparement de terres et d’atteintes aux droits humains, tandis que les pollueurs s’en servent comme alibi pour continuer à polluer. »
Oxfam a récemment relayé que le prix des produits alimentaires a augmenté de 40 % à l’échelle mondiale au cours de l’année écoulée. En conséquence, 20 millions de personnes supplémentaires vivent de la faim à des niveaux extrêmes et la prévalence de personnes vivant dans des conditions proches de la famine a été multipliée par six. Si elles sont déployées à grande échelle, les méthodes de stockage du carbone reposant sur l’utilisation des terres, telles que la plantation massive d’arbres, sont susceptibles d’entraîner une flambée des prix alimentaires mondiaux, de l’ordre de 80 % d’ici 2050.
En vue de la COP26 qui se tiendra à Glasgow en novembre prochain, plus de 120 pays – dont les trois principaux producteurs d’émissions au monde,à savoir les États-Unis, la Chine et l’Union européenne – se sont engagés à atteindre « zéro émission nette » d’ici 2050. Leurs promesses sont pour la plupart imprécises et ne s’appuient pas sur des plans assortis de résultats mesurables.
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Même un pays aussi petit que la Suisse aurait besoin d’une superficie équivalente à celle de l’île de Porto Rico pour planter suffisamment d’arbres afin d’atteindre son objectif « zéro émission nette ». La Suisse a récemment conclu des accords de compensation des émissions de carbone avec le Pérou et le Ghana.
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La Colombie s’est fixé un objectif « zéro émission nette » qui exige le reboisement de plus d’un million d’hectares de terres d’ici 2030, alors même que le pays est en proie à une déforestation galopante.
Un cinquième des 2 000 plus grandes sociétés cotées en bourse dans le monde se sont également fixé des objectifs « zéro émission nette » qui dépendent, eux aussi, des puits de carbone terrestres.
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Les promesses de quatre des plus grandes sociétés pétrolières et gazières du monde (BP, Eni, Shell et TotalEnergies) les contraindraient à reboiser une superficie équivalente à plus de deux fois la superficie du Royaume-Uni pour atteindre l’objectif « zéro émission nette » d’ici 2050.
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Le rapport d’Oxfam montre que si l’ensemble du secteur de l’énergie (dont les émissions continuent de grimper en flèche) se fixait des objectifs « zéro émission nette » similaires, il lui faudrait une superficie à peu près équivalente à celle de la forêt amazonienne, soit un tiers de toutes les terres arables du monde.
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À elle seule, la société TotalEnergies aura besoin d’une superficie équivalente à celle du Rwanda d’ici à 2050.
À moins de 100 jours de la conférence des Nations Unies sur le climat à Glasgow, les gouvernements et les entreprises doivent accorder beaucoup plus d’importance à une réduction drastique et rapide des émissions de carbone à court terme, en commençant par leurs propres activités et chaînes d’approvisionnement. Si des objectifs « zéro émission nette » sont utilisés, ceux-ci doivent être mesurables, transparents et donner la priorité à une diminution franche des émissions d’ici 2030. Les plans de stockage du carbone ne sauraient se substituer à ceux destinés à réduire les émissions, et celles-ci doivent être comptabilisées séparément.
« La terre est une ressource précieuse et limitée. Des millions de petits exploitants agricoles et de peuples autochtones du monde entier en dépendent pour leur subsistance. Nous dépendons tous de la bonne gestion des terres, notamment pour notre propre sécurité alimentaire. Le monde entier bénéficie de la protection des forêts et de la sauvegarde des droits fonciers des agriculteurs et des peuples autochtones », conclut Armelle Le Comte.
« Zéro émission nette » : un dangereux moyen de faire diversion face à l’impératif de réduction des émissions
Oxfam dénonce que l’objectif «zéro émission nette» est un dangereux moyen de faire diversion face à l’impératif de réduire les émissions
par Oxfam International
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