Une énergie propre, sans risque d’accident grave et quasiment illimitée ? Cet objectif qui fait rêver est associé au principe de la fusion nucléaire depuis des décennies. À tel point qu’en 1986, malgré leurs fortes divergences, Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev proposèrent une coopération permettant de tester cette approche. Ce projet, rejoint depuis par l’Union européenne, l’Inde, la Chine, le Japon et la Corée du Sud a pris le nom d’« ITER », pour « Réacteur thermonucléaire expérimental international ». Finalement initié en 2006, il fournira une preuve de concept que la fusion peut être une source d’énergie. La prochaine étape, un prototype à l’échelle industrielle, est en conception et s’appelle Demo – elle serait certainement mise en œuvre en pratique si ITER démontrait que l’on peut tirer de l’énergie d’un tel réacteur.
Quels principes se cachent derrière ce nom désormais bien connu ? Comment développer un projet d’une telle envergure en pratique ?
Qu’est-ce que la fusion nucléaire ?
L’énergie nucléaire est connue car elle nous permet, notamment en France, de nous alimenter en énergie, mais aussi bien sûr à cause des risques qui lui sont associés et qui ont mené à des accidents célèbres, en particulier ceux de Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011.
Cette énergie est basée sur une réaction atomique, la fission nucléaire, qui consiste à casser un atome lourd en deux atomes plus légers. Dans les réacteurs actuels, c’est l’uranium qui est fissionné par collision avec un neutron, formant par exemple un atome de krypton et un second de baryum ou encore strontium et xénon. Lors de cette réaction, une partie de la masse initiale est convertie en énergie qu’on récupère et la réaction libère également un neutron qui, lui-même, va aller « casser » un autre atome et ainsi de suite. Hélas, il est possible de perdre le contrôle de ces réactions successives, ce qui peut mener à des accidents.
Dès les années 1940, les scientifiques G. P. Thomson et M. Blackman ont postulé, en déposant un brevet de réacteur, qu’il existait une approche qui consiste plutôt à « fusionner » deux atomes légers en un plus lourd avec là encore une perte de masse qu’on peut récupérer sous forme d’énergie cinétique (particule rapide), puis sous forme de chaleur. Cette réaction est celle qu’on retrouve au cœur de notre soleil et de la plupart des étoiles. Ces recherches ont commencé il y a 70 ans et ITER ne commencera à être testé qu’en 2025. Pourquoi est-ce si long ?
Pour une raison finalement assez simple. Pour fusionner deux atomes d’hydrogène – le plus petit et le plus simple des atomes à fusionner, il faut chauffer le gaz d’hydrogène à plusieurs millions de degrés lorsque le gaz est très dense (plusieurs dizaines de fois la densité de l’aire), comme c’est le cas dans le soleil. Pour des densités plus raisonnables, que l’on considère en pratique dans un réacteur (plusieurs milliers de fois moins dense que l’air), il faut atteindre une température entre 100 et 150 millions de degrés. Évidemment, aucun matériau connu ne peut résister à de telles conditions. Comment chauffer alors un gaz à cette température et l’enfermer dans un réacteur sans danger ?
Heureusement, à cette température les gaz deviennent chargés électriquement, les électrons se séparent des atomes et on parle de « plasma ». L’idée géniale des scientifiques russes Igor Tamm et Andreï Sakharov dans les années 1950 a été de proposer un dispositif appelé « tokamak ». Il s’agit d’enfermer le plasma dans une chambre en forme de donut, ou « tore » en langage mathématique, et de le contraindre à tourner à l’intérieur du tore sans jamais s’approcher des bords à l’aide de champs magnétiques extrêmement puissants qui confinent le gaz au centre du tore.
L’objectif d’ITER est de savoir si cette technologie peut être utilisable pour la production d’énergie. Pour cela, ITER cherche à produire plus 5 à 10 fois d’énergie que celle utilisée pour chauffer le plasma et pour le confiner pendant quelques minutes. Si tel est le cas, on pourra passer à des prototypes industriels d’ici à 2050 ou 2060.
Bien que le principe des tokamaks existe depuis la fin des années 50, la construction d’ITER n’a commencé qu’à la fin des années 2000. En effet, la technologie des tokamaks est très compliquée et on a construit, au fur et à mesure des années, des tokamaks de plus en plus complexes et de plus en plus grands jusqu’à ITER qui devrait être le premier à produire plus d’énergie que celle utilisée pour le faire fonctionner.
Quand le numérique permet de mieux contrôler les risques et les coûts
Une des difficultés centrales pour faire fonctionner la fusion nucléaire est la gestion des « instabilités » : le confinement du plasma à 100-150 millions de degrés par le champ magnétique aura forcément de petits défauts. Ces défauts peuvent conduire une portion du plasma à « s’échapper » vers le bord de la chambre de confinement, conduisant au mieux à une perte d’énergie, au pire à des dégâts très lourds sur la chambre de confinement (ce type de dégâts ne donnerait pas lieu à un accident nucléaire type Fukushima, mais aurait un coût financier très important).
Un enjeu central est donc de détecter et prédire ces instabilités afin de les contrôler ou de les éviter. Une chambre de confinement ainsi que la plupart des dispositifs sont très chers et on ne peut pas se permettre de tester directement les solutions pour le contrôle des instabilités dans un vrai tokamak. Par conséquent, les physiciens utilisent des modélisations mathématiques et numériques de la dynamique du plasma dans la chambre de confinement afin de tester de potentielles méthodes de contrôle et de détection. Il s’agit d’abord de transcrire le problème sous la forme d’équations mathématiques (très complexes, car couplant des phénomènes se déroulant à différentes des échelles de temps et d’espace), puis de résoudre ces équations à l’aide de superordinateurs ce qui va permettre de prédire l’évolution du plasma et sa réponse à une nouvelle méthode de contrôle.
Ce processus de modélisation/simulation est en fait très fréquemment utilisé dans l’industrie et en physique : en météorologie pour prévoir la météo, pour la prédiction de tsunami, en médecine pour les jumeaux numériques ou encore dans l’automobile et l’aviation pour tester les prototypes. Ce type d’outils est utilisé pour simuler séparément les différents phénomènes présents dans un tokamak, car on ne sait pas encore modéliser le fonctionnement complet. Cela a déjà permis de proposer plusieurs pistes pertinentes pour le contrôle d’instabilités ces dernières années.
Depuis peu, ces modèles numériques combinent approches physiques (modèles de mécanique des fluides et d’électromagnétisme) et méthodes d’intelligence artificielle, qui permettent de construire des modèles prédictifs à partir de données expérimentales ou de données issues des simulations.
D’un point de vue scientifique, ITER est un projet hors norme. Il est issu d’un partenariat entre plus de trente pays pour un budget d’environ 20 milliards d’euros sur plusieurs décennies. Il mobilise physiciens théoriciens, ingénieurs, spécialistes des matériaux, informaticiens, mathématiciens, qui collaborent afin de faire de ce vieux rêve une réalité pour la génération suivante pour qui l’enjeu énergétique sera central.
Emmanuel Franck, Chargé de recherche, Inria
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Un commentaire
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Balendard
Lorsque la décision a été prise d’installer le reacteur expérimental ITER basé sur la fusion nucléaire en France à Cadarache pour assurer notre approvisionnement en énergie j’ai estimé que cette orientation ne pourra solutionner nos problèmes énergétique avant longtemps. Ceci alors qu’il y a urgence. voir
http://www.infoenergie.eu/riv+ener/energie-sans-riviere/La%20fusion-nucleaire-controlee.htm
Si l’on en croit Goodplanet je me suis peut-être trompé au niveau du timing mais à l’aube du réchauffement climatique comment ne pas émettre des doutes sur le bien fondé de s’orienter vers une chaine énergétique passant par les très hautes temperatures pour solutionner nos problèmes d’énergie.
De plus prétendre que le numérique pourrait aider à contrôler les instabilités de la fusion nucléaire ne me semble pas très raisonnable en ce qui concerne la sécurité