Alors que la COP26 sur le climat approche, le spécialiste des relations internationales, du climat et des migrations, François Gemenne, revient dans cet entretien sur les enjeux des négociations climatiques. L’objectif de la COP26, qui se déroulera à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre est de concrétiser les engagements de l’Accord de Paris, en particulier, celui essentiel, de limiter le réchauffement à 2 °C. Cependant, le succès des négociations climatiques demeure incertain. Éléments d’explication avec François Gemenne.
Les enjeux de la COP26
La concrétisation des engagements de l’Accord de Paris sera-t-elle le seul enjeu de la COP26 ?
Non, ce n’est pas le seul enjeu, mais cela reste l’enjeu principal parce que nous sommes sur une trajectoire d’émissions qui nous mènerait vers 2,7 °C d’augmentation des températures si l’ensemble des gouvernements se conformaient à leurs engagements. Or, on sait d’expérience, et l’Histoire nous apprend, que les gouvernements ont tendance à ne pas respecter leurs engagements. Surtout si ces engagements sont pris de façon unilatérale sans aucune contrainte.
Ce qui signifie concrètement quoi pour les négociations à venir ?
Il y a donc un double enjeu. D’abord, il faut que les gouvernements revoient à la hausse leurs engagements de manière à ce que la somme des engagements nationaux corresponde à l’Accord de Paris. Et, ils doivent aussi trouver des moyens pour faire en sorte de respecter leurs engagements. C’est très compliqué car l’Accord de Paris n’est pas très contraignant sur les objectifs de réduction des émissions. Cela veut donc sans doute dire que les pays n’accepteront pas de se soumettre à la moindre contrainte. Même si le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris marque une forme de leadership américain sur le sujet, ce n’est pas si simple. En effet, Joe Biden souhaite s’affirmer comme le nouveau leader de la coopération internationale sur le climat, pourtant les États-Unis, même sous administration démocrate se sont toujours montrés réticents à tout mécanisme contraignant.
« Les gouvernements ont tendance à ne pas respecter leurs engagements. Surtout si ces engagements sont pris de façon unilatérale sans aucune contrainte. »
Et sur les volets financiers ?
La question de l’adaptation, notamment du financement du fonds vert pour le climat, sera également un des grands enjeux des négociations. L’objectif était de mobiliser 100 milliards de dollars par an, là, on est autour de 80 milliards. On parviendra sans doute à trouver et à combler la différence durant la COP26.
Encore peu connue du grand public, la question des pertes et préjudices (losses and damages) constituera un autre sujet important des discussions. Les mécanismes derrière les pertes et préjudices visent à compenser financièrement les pays subissant des impacts du changement climatique pour lesquels il n’y aurait pas de solution d’adaptation possible. On parle ici de la perte de territoire ou de culture. Cette revendication de justice climatique se révèle importante pour les pays du sud, tandis que les pays du nord renâclent à reconnaitre leurs responsabilités et encore plus à mettre la main au portefeuille.
« L’Accord de Paris n’est pas très contraignant sur les objectifs de réduction des émissions. »
Le dernier enjeu important sera la question du charbon. On espère bien que cette COP mettra un coup d’arrêt définitif au charbon. La Chine a déjà annoncé en amont de la COP mettre fin à ses investissements dans le charbon hors de Chine. Une grande interrogation demeure : est-elle prête à y renoncer en Chine ? On attend de cette COP plusieurs grosses annonces sur le désengagement et le désinvestissement dans le charbon.
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« On espère bien que cette COP mettra un coup d’arrêt définitif au charbon. »
Points de friction dans les négociations
Le retour des USA dans l’Accord de Paris a été salué, mais est-ce que cette COP et les ambitions climatiques ne risquent pas de devenir aussi un terrain d’affrontement entre la Chine et les USA ? D’en pâtir ? Voire que cette confrontation devienne un facteur de blocage pour aboutir à un accord….
Effectivement, ce risque existe puisque les relations entre la Chine et les Etats-Unis sont tendues sur un certain nombre de dossiers. Jusqu’ici les questions climatiques ont été relativement épargnées par les tensions diplomatiques entre ces deux grandes puissances. Quelque part, le sommet virtuel USA-Chine d’avril 2021 a réussi à isoler les questions climatiques d’autres sujets de tensions internationales. Espérons qu’il en reste de même, toutefois, il est certain que le climat est devenu un enjeu majeur, on ne peut pas exclure que la négociation se trouve polluée par des tensions diplomatiques portant sur d’autres sujets.
« Jusqu’ici les questions climatiques ont été relativement épargnées par les tensions diplomatiques entre ces deux grandes puissances. »
Que peuvent dire et porter la France et l’UE lors cette COP ?
Quitter la vision strictement territoriale de leurs émissions sera un enjeu majeur pour la France et l’Union européenne. Aujourd’hui, l’UE et la France sont surtout concentrées sur la réduction de leurs propres émissions avec le souci d’apparaitre à la COP comme le plus irréprochable possible.
Elles ne sont pas assez concentrées sur le travail hors de leurs frontières avec d’autres pays afin de parvenir à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre. En Europe, on reste encore trop dans la logique d’action au sein de ses frontières nationales et on peine à se projeter au-delà. L’Europe comme la France passent à côté d’un enjeu essentiel étant donné que d’ici 2030, l’Europe ne représentera plus que 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ce qui veut dire qu’il faut dès aujourd’hui travailler sur la question des émissions importées qui représentent une part importante de l’empreinte carbone européenne. En France, les émissions importées représentent 40 % de l’empreinte carbone.
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« L’enjeu pour la France comme l’Union sera désormais de déployer l’action climatique hors de leurs frontières. »
Il faut également travailler davantage sur les questions d’accès à l’énergie. En effet, notre réflexion sur la technologie tourne uniquement sur les moyens de réduire nos propres émissions de gaz à effet de serre sans qu’on se préoccupe suffisamment de l’accès des pays émergeants et en développement à ces technologies. Pourtant, la lutte contre le réchauffement va aussi se jouer à Djakarta, Mexico ou au Caire… c’est-à-dire avec des pays avec lesquels nous ne travaillons pas assez. Parfois, je suis inquiet de voir que l’Union européenne est touchée par une sorte de péché d’orgueil en imaginant qu’elle va être l’exemple à suivre, « le phare dans la nuit », et que son comportement exemplaire va ensuite guider tous les autres pays à sa suite. L’Europe n’est plus le centre du monde et les gens ne la regardent plus comme un modèle à suivre. Par contre, l’Union Européenne dispose encore de la capacité de travailler avec les autres pays et de déployer son ambition climatique. L’enjeu pour la France comme l’Union sera désormais de déployer l’action climatique hors de leurs frontières.
Le scénario d’une COP « à la Copenhague » est-il possible ? c’est-à-dire qui suscite beaucoup d’espoir pour finalement déboucher sur un consensus manquant d’ambition…
Oui, c’est une possibilité. La COP26 de Glasgow est très attendue en raison de son report dû à la pandémie et aussi car les COP24 et 25 ont été des échecs. Il ne pouvait pas en être autrement puisque l’ancien président américain Donald Trump, le président brésilien Jair Bolsonaro et le Premier ministre australien Scott Morrison avaient décidé de saboter la négociation. Désormais, grâce à la dynamique impulsée par Joe Biden et les États-Unis, on est dans une autre phase. De plus, cette COP vient après la publication du premier volume du 6e rapport du Giec, elle est cruciale car il faut revoir à la hausse les efforts de réduction des gaz à effet de serre. Effectivement, il y a beaucoup d’espoir et les planètes semblent alignées pour cette COP, mais rien ne garantit son succès. L’échec reste une possibilité.
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« Il y a beaucoup d’espoir et les planètes semblent alignées pour cette COP, mais rien ne garantit son succès. »
Après deux années marquées par les événements climatiques extrêmes, alors qu’on sait désormais qu’il ne sera plus possible d’empêcher le réchauffement climatique et ses conséquences, la question de l’adaptation se pose. Est-ce que la question des futurs réfugiés climatiques et de leur statut peut revenir sur la table lors de cette COP ?
On en parle comme on en parle à toutes les COP. La COP21 à Paris a créé une task force, un groupe de travail, qui doit formuler des recommandations en matière de protection des droits de celles et ceux qui sont déplacés pour des raisons climatiques. Il va poursuivre son travail. Ce ne sera pas le sujet principal de la COP et j’ai envie de dire que ce n’est pas un sujet qui doit se traiter dans le cadre des négociations sur le climat. Le sujet a été abordé dans le cadre du Pacte mondial sur les migrations approuvé à Marrakech à la fin de l’année 2018 et qui est resté lettre morte. Il faut déborder du cadre des négociations sur le climat afin de travailler sur la protection des déplacés climatiques.
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« Les pays du G20 portent une responsabilité historique considérable. »
Les attentes envers les pays du G20 ne sont-elles pas trop hautes ? Ne tendent-elles pas à masquer le rôle et les efforts des nouveaux pays industrialisés…
Oui, mais dans le même temps, les pays du G20 portent une responsabilité historique considérable. Bien sûr, les pays émergents doivent faire partie de la solution. Mais les pays du G20 n’ont aucune légitimité ni aucun droit à leur dire comment se développer. La logique n’est pas d’imposer quoi que ce soit aux autres, mais de travailler en commun. La responsabilité des pays du G20 est de voir comment ils peuvent travailler avec ces pays émergents pour qu’ils ne suivent pas la même trajectoire de développement carboné. Les pays du G20 peuvent monter que c’est dans l’intérêt de tous, y compris les pays émergents mais pour ça il faut faciliter l’accès aux technologies et aux financements.
« La responsabilité des pays du G20 est de voir comment ils peuvent travailler avec ces pays émergents pour qu’ils ne suivent pas la même trajectoire de développement carboné. »
Que pensez-vous des recours en justice au niveau national, comme l’Affaire du siècle en France, afin de contraindre les États à respecter leurs engagements internationaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ?
Au-delà des implications juridiques, ce sont surtout des exercices importants de communication qui permettent de rappeler au grand public que les États ne respectent pas les engagements qu’ils ont eux-mêmes pris. D’une certaine manière, le respect ou non de ces engagements pose des questions de droits et aussi, de libertés des générations futures. L’un des plus beaux arrêts en matière de justice climatique a été rendu en avril dernier par la Cour Constitutionnelle allemande qui enjoignait l’État allemand à en faire davantage afin de protéger les droits et libertés des générations futures. Je pense donc que c’est utile pour rappeler ces principes fondamentaux, par contre, malheureusement, je reste assez pessimiste sur le fait que des décisions de justice puissent réellement infléchir la courbe d’émission de différents États.
« Rappeler au grand public que les États ne respectent pas les engagements qu’ils ont eux-mêmes pris. […] Je reste assez pessimiste sur le fait que des décisions de justice puissent réellement infléchir la courbe d’émission de différents États. »
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Est-ce que la COP26 sur le climat peut apporter quelque chose aux futures négociations internationales sur la biodiversité qui sont en cours dans le cadre de la COP15 de la CBD (Convention sur la diversité biologique des Nations Unies) ?
Certainement, désormais nous savons très bien que les sujets climat et biodiversité sont liés. Mais, les régimes de gouvernance internationale des deux sujets sont aujourd’hui très différents et trop séparés. Je regrette que les deux COP n’aient pas plus été liées l’une à l’autre. Or, se rapprocher, c’est pourtant ce que le GIEC (pour le climat) et l’IPBES (pour la biodiversité), les deux groupes d’experts internationaux sur ces sujets, ont fait en publiant un premier rapport commun. Il serait logique de mêler les deux approches dans la gouvernance car sur des sujets comme l’agriculture ou la déforestation, les liens sont tout à fait évidents.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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4 commentaires
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Guy J.J.P. Lafond
Bon papier et bonne entrevue. Merci!
Autrement, j’ai entendu dire que la Chine ne participera pas à la COP26. C’est regrettable car la Chine a développé un modèle économique et politique particulier qui donne des résultats surprenants! Et les États-Unis de Joe Biden prendront par conséquent une place beaucoup plus prépondérante à cette conférence des pays. J’ai très hâte de connaître les avancées qui seront faites à l’issue de cette rencontre internationale. En tout cas, le Québec ne prend aucun risque et a décidé d’envoyer son premier ministre lui-même à cette conférence. Et c’est tant mieux pour tout l’ensemble des Amériques!
Rappel important à tout l’Occident: la raison libérale n’est pas seulement faites de libertés individuelles, elle est aussi articulée sur des responsabilités individuelles.
Nous devrons donc ajuster nos comportements afin d’agir en plus grande harmonie avec notre milieu naturel.
Avec la COP26, le message continue d’être clair. Nous voulons tous coopérer et mettre en branle un plan commun qui assurera un développement humain plus durable et en meilleure symbiose avec nos milieux naturels.
J’aimerais bien voir une feuille de route ambitieuse à l’issu de cette conférence. Nous pourrions par exemple aider rapidement deux États insulaires avec leurs problèmes de surpopulation d’une part et avec leurs enjeux de perte de biodiversité d’autre part.
Dans les Amériques par exemple, Haïti est devenu un État dans une situation de crise extrême. Si l’Allemagne avait réussi à accueillir un million de réfugiés syriens, pourquoi tous les pays membres de l’ONU ne seraient-ils pas capables de déplacer très rapidement 5 millions d’Haïtiens? Si on réussi, Haïti devra par contre promettre d’adopter une politique nataliste qui garantira la reforestation rapide de son territoire et la protection de sa biodiversité.
À suivre,
@Guy Lafond @Famille Lafond:
À nos vélos, à nos espadrilles de marche, à nos vêtements de plein air! Car le temps file et car les enfants comptent.
https://twitter.com/UNBiodiversity/status/1395129126814691329
https://www.cbd.int/action-agenda/contributions/action/?action-id=5eb4392ee9f0fa00018b947d
michel CERF
Il est naif de croire que la Chine , le plus grand pollueur de la planète tiendra sa parole , le Dirigeant chinois se moque bien du climat et de la biodiversité , sa seule ambition est de rester au Pouvoir , d’asservir son peuple et de dominer le monde .
Henri DIDELLE
LA POLLUTION DE L’AIR FAIT PLUS DE MORTS QUE LA COVID…
Et pourtant… Le brulage de fils électriques pour en récupérer le cuivre se porte bien tout en se heurtant à trois illégalités:
1. la récupération des fils électriques est bien souvent l’objet d’un vol
2. le brûlage du caoutchouc est très toxique et il est strictement interdit
3. la revente du cuivre brûlé est aussi strictement interdite
La FNE a bien voulu mettre une alerte sentinelles sur son site le 9 juin 2020 (17 mois) – https://sentinellesdelanature.fr/alerte/10150/. Malgré 2 relances, j’attends toujours les réponses de Macron, Castex, Pompili, Piolle et Dupont-Moretti… Je viens d’apprendre que le procureur aurait classé sans suite !!!
Après avoir fait leurs brûlages la nuit , le problème semble en partie résolu d’autant qu’il existe des moyens mécaniques pour dénuder les fils sans les brûler. Il faut quand même noter que ce problème se pratique partout en France et que le cours du cuivre est en train d’exploser.
Dans ces conditions, comment voulez-vous espérer le succès de la COP26 ?
Claude Courty
Rien de réaliste ni de durable ne sera fait sans traiter franchement de la dimension démographique du problème.
À quoi sert la réduction de la pollution d’une population dont les membres les plus nécessiteux, donc appelés à consommer davantage, ne cesse pas d’augmenter ?