Des scientifiques de l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) estiment que le secteur de la pêche aux anchois au large du Pérou risque d’être confronté à un risque d’effondrement d’ici la fin du siècle en de l’augmentation de la température des océans. D’après leurs derniers travaux publiés dans la revue Science, la hausse des températures des eaux océaniques devrait modifier la répartition de la composition des espèces vivant dans le courant d’Humboldt au large du Pérou d’ici la fin du siècle. Les températures plus chaudes et l’appauvrissement en oxygène y réduiront considérablement l’abondance de l’anchois, un poisson gras, au profit de poissons plus petits mais d’un moindre intérêt commercial. Cet écosystème marin situé dans l’Océan Pacifique offre actuellement les conditions les plus propices au développement des bancs d’anchois. Près de 6 % des prises de la pêche mondiale y ont lieu.
« Dans des océans plus chauds, la taille des poissons tendra donc à diminuer », écrit l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Leur étude Des espèces de poissons plus petites dans un courant de Humboldt chaud et pauvre en oxygène tente de comprendre la manière dont le réchauffement des eaux conduit la taille des espèces à se réduire. Est-ce une diminution de la taille des individus au sein d’une espèce ou est-ce que les espèces présentes dans un écosystème plus chaud sont des espèces différentes et plus petites ? Apporter une réponse à cette question est délicat à l’heure actuelle en raison de l’impact de la surpêche qui affecte le métabolisme des espèces de poissons car elle empêche une partie des spécimens d’atteindre la pleine maturité. Les scientifiques ont pu mesurer la taille et la composition des espèces présentes dans le courant d’Humboldt à une période préhistorique (lors de la dernière période interglaciaire, il y a 130 000 à 116 000 ans) où les conditions du milieu correspondaient à celles attendues d’ici la fin du XXIe siècle en raison du réchauffement climatique. Ils ont ainsi pu constater que la taille des poissons n’avait pas évolué au sein d’une même espèce. Par contre, la répartition des espèces dans le milieu était différente et favorisait des espèces de poissons de plus petite taille. Concrètement, il y avait beaucoup moins d’anchois, poisson gras d’une vingtaine de centimètres beaucoup plus de poissons gobies d’une taille de 5 centimètres. Les conditions de température et d’oxygène du milieu étaient plus favorables aux petites espèces. Étant donné que de par le passé leur population ont diminué pour des raisons climatiques, les chercheurs estiment donc qu’avec le réchauffement climatique les populations d’anchois au large du Pérou seront amenées à décliner dans les décennies à venir. Ainsi, les eaux du courant d’Humboldt seront dominées par des espèces plus petites comme les poissons gobies qui présentent un intérêt moindre pour les pêcheurs.
La fin de l’Eldorado de l’anchois
« Nous ne pouvons pas prédire précisément quand cet effondrement drastique de la population d’anchois interviendra, ni s’ils seront remplacés à coup sûr par des gobies, mais il est probable que tôt ou tard des espèces plus petites, sans intérêt alimentaire et socio-économique, vont proliférer », explique Arnaud Bertrand, directeur de recherche à l’IRD. « Or, aujourd’hui, 98% des anchois péruviens sont transformés en farine destinée à des élevages de poissons et animaux partout dans le monde ce qui contribue au réchauffement climatique, complète Renato Salvatteci qui a mené son doctorat au sein de l’unité LOCEAN de l’IRD. Au vu de nos résultats, la filière industrielle péruvienne de l’anchois qui représente 6 % de la pêche marine mondiale, toutes espèces confondues, doit donc se réformer et utiliser l’anchois pour l’alimentation humaine directe ».
Les scientifiques travaillent avec les pêcheurs locaux qu’ils alertent sur la non-durabilité de leurs activités et appellent à se préparer à la disparition de leur principale source de revenus. Ils déplorent également qu’aujourd’hui les anchois soient pêchés pour servir d’abord de composant dans la fabrication de farines animales plutôt que pour nourrir les populations humaines. Ce qui serait pourtant, comme le souligne Arnaud Bertrand, bénéfique à de nombreux points de vue : « l’anchois destiné à la consommation humaine nécessite moins de poissons, de meilleure qualité, et plus de bras pour les préparer. Et si les prix augmentent, ce sera socio-économiquement intéressant. Néanmoins, il faut aussi qu’ailleurs dans le monde, les gens arrêtent de consommer des poissons carnivores d’élevage sous peine de voir la farine de poisson remplacée par celle de soja dont l’impact écologique est aussi catastrophique avec notamment la destruction de la forêt amazonienne ! »
Julien Leprovost
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