Romain Garrouste est chercheur à l’Institut de Systématique Evolution Biodiversité (MNHN/CNRS/Sorbonne Université). Dans cette tribune, ce scientifique, spécialiste notamment des insectes qui travaille dans la réserve naturelle de la Plaine des Maures, alerte sur les répercussions de l’incendie de 2021. Le feu, en plus d’avoir ravagé la végétation et la faune dont les célèbres tortues d’Herman, a ouvert la porte à un démantèlement de la réserve en fragilisant sa gouvernance. Alors que le processus de régénération naturelle du milieu démarre, l’existence de la réserve se trouve menacée par les intérêts agricoles et viticoles. Ces derniers mettent en avant la prévention du risque incendie grâce aux cultures coupe-feu pour étendre leurs activités au détriment de la lente régénération naturelle de ces espaces protégés meurtris et de son accompagnement par la science qui doit comprendre ces phénomènes de mégafeux, que le changement climatique risque d’amplifier.
En août 2021, un terrible incendie a dévasté le Massif des Maures dans le Var et a impacté près de 70 % la réserve naturelle nationale de la plaine des Maures. Au-delà de la régénération en cours que nous avons observée, nous sommes très inquiets pour l’avenir de cette réserve que le gestionnaire, le conseil Général du Var a décidé d’abandonner à son sort. L’État, sous la pression des élus locaux qui veulent modifier le statut de la Réserve, voire la faire disparaître, doit trouver un repreneur compétent très rapidement. C’est une situation unique en France qui fragilise une des plus belles Réserves Naturelles de France après une catastrophe sans précédent.
Réchauffement climatique et incendies
Ces feux sont dévastateurs. Les incendies modifient profondément les paysages et les écosystèmes, mais ils restent des perturbations « naturelles » même si ils se rajoutent aux effets du réchauffement climatique, dont ils sont aussi une des manifestations. Il y a donc un « emballement » du système (intensité et fréquence des feux). Ce sont des perturbations normales des milieux méditerranéens et pour beaucoup de forêts, des tropiques aux milieux tempérées. Ainsi le fonctionnement écologique des écosystèmes est normalement adapté à ces terribles perturbations, principalement par les adaptations des espèces qui les composent, essentiellement les végétaux qui possèdent des caractéristiques biologiques particulières.
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Dans la plaine des Maures, la régénération a repris rapidement, les arbres survivants commencent à avoir des nouvelles feuilles, de nombreux arbustes repoussent du pied (comme les arbousiers et les bruyères), les feuilles d’iris pointent hors du sol, ainsi que certaines espèces protégées comme les fragiles gagées de Bohême qui fleurissent en hiver, les insectes du sol retournent sous les pierres, les araignées chassent à nouveau sur le sol, pourtant nu et quasi minéral, des oiseaux reviennent sur les branches noircies et les sangliers continuent à fouir dans les sols humides. Les mares se remplissent avec les pluies, les tortues aquatiques survivantes y retournent chasser. L’hiver est une saison où les écosystèmes méditerranéens sont actifs mais ralentis, ce qui participe à la régénération post-incendie.
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C’est probablement la faune qui subit le plus ces feux, et surtout les organismes qui se déplacent lentement comme les amphibiens, les reptiles et de nombreux invertébrés, ou ceux qui vivent dans les cavités des arbres. Comme les insectes, qui ne sont pas tous ailés ou capables de fuir les flammes. En effet, même les organismes ailés subissent les feux.
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La tortue d’Hermann, espèce emblématique et première victime des feux
Parmi les reptiles, c’est bien entendu la tortue d’Hermann, l’une des espèces emblématiques de cette réserve unique en France, qui a payé un lourd tribut à cette catastrophe. Entre impacts directs et impacts indirects, on a pu observer après le sauvetage d’espèces blessées que la plupart des individus ont été finalement retrouvés morts malgré des soins prodigués.
On peut estimer à plus de 70 % de pertes de la population de cette tortue emblématique présente dans les territoires brulés de la réserve et encore plus hors réserve. Pour les autres organismes, il est plus difficile d’évaluer les pertes, mais elles sont certainement considérables. En général, on a besoin des réserves qui portent des populations qui peuvent aider au repeuplement des zones non protégées, c’est ce qu’on appelle l’ « effet réserve ». Suite aux dommages sur la faune et la flore de la Réserve Naturelle de la Plaine des Maures, nous comptons en partie sur les zones intactes alentours pour contribuer à la reconquête des milieux dégradés par le feu et à leur régénération au sein de la réserve. C’est une situation paradoxale, peu courante et douloureuse pour notre patrimoine naturel.
Heureusement, il y a aussi des zones intactes ou peu atteintes dans la réserve qui vont aussi aider à ces repeuplements.
Une réserve en danger
Ce qui est aussi inquiétant que le feu lui-même et ses conséquences directes et indirectes est la volonté affichée des élus locaux et des organisations agricoles de faire disparaitre cette réserve, en prétextant de manière fallacieuse qu’elle favorise les incendies de forêt puisque gérée pour préserver les habitats et les espèces et non pas pour constituer des coupures de combustibles . Le gestionnaire de la Réserve, le Conseil Départemental 83, a donc dénoncé son contrat de gestion avec l’Etat (pourtant renouvelé en 2020 pour 6 ans !). 14 agents dédiés à cette réserve ont alors été démis de leur service. Ils avaient pourtant été recrutés, formés et compétents pour cette tache spécialisée et d’intérêt général de gestion et préservation de la biodiversité et des paysages d’un territoire unique qui est une fierté nationale (plus de 200 espèces protégées, des habitats prioritaires, une espèce emblématique (la tortue d’Hermann) et celle de beaucoup de Varois.
C’est une situation regrettable et assez unique, d’une collectivité gestionnaire d’un espace naturel protégé national qui profite d’une catastrophe écologique pour dénoncer un conflit d’usage entre la nécessaire conservation des écosystèmes dans un hot spot de biodiversité (les écosystèmes méditerranéens) et les activités humaines comme l’agriculture dont la viticulture (ni raisonnée, ni biologique) ou l’exploitation forestière en s’appuyant sur la défense contre les incendies qu’évidement seule l’agriculture (avec des grandes vignes comme pare feu et des barrages…) où l’exploitation forestière (déjà permise dans la réserve) pourrait permettre. Ainsi la seule Réserve Naturelle Nationale du Var subit donc une double peine. L’Etat est obligé de rechercher rapidement un nouveau gestionnaire, avec de multiples pressions locales pour alléger le règlement de cette réserve où déjà pas grand chose n’est interdit par rapport aux autres Réserves nationales. Cette réserve meurtrie pourrait purement et simplement disparaitre sous la pression des élus locaux, elle serait alors remplacée par un Parc Naturel Régional. Ce qui n’a rien à voir en matière de protection. Sauf de partager le mot « naturel ».
Ainsi la situation administrative de la Réserve dont le service actuel n’existera plus fin avril, même si il était prolongé de quelques semaines, fragilisant à la fois son existence, sa gestion à un moment critique s’il en est, et les suivis scientifiques nécessaires à la gestion et la compréhension de ce qui va se passer (régénération, retour de la faune, restauration du fonctionnement des écosystèmes, bilan de l’impact réel de l’incendie, avec les effets induits directs et indirects). Par exemple, aucun suivi n’a pu être encore mis en place alors que la régénération a commencé dès les pluies automnales (voire avant, avec la réserve d’eau des sols). La science qui sera faite par la suite risque d’être imparfaite par manque d’état de référence pour les études nécessaires qui seront mises en place. Alors que nous pourrions faire de ce site un atelier unique de compréhension des phénomènes de régénération post-incendies et de l’impact des méga-feux et du réchauffement climatique, transposable à l’ensemble des écosystèmes méditerranéens, et utilisant des méthodes originales comme la bioacoustique (étude de tous les sons du vivant, des insectes aux mammifères), l’imagerie 3D au drone, les sciences participatives où tous les acteurs et le public pourraient être impliqués… La question de la reprise (quel gestionnaire et surtout…quelle gestion ?) de cette Réserve à la fois meurtrie et remise en question reste épineuse et compromet les initiatives scientifiques qui échappent aux réalités locales.
Dans le cadre des divers engagements et positions du gouvernement français, sur notre territoire et à l’international, quelques mois après l’événement international qu’a constitué le Congrès Mondial de la Nature de l’UICN à Marseille en 2021, c’est donc une situation très paradoxale et assez unique qui se joue à quelques kilomètres de là et qui inquiète. En effet après ce terrible incendie qui a eu lieu à peine les tentes démontées du Congrès, et cette mise au pilori injustifiée et inédite de l’équipe gestionnaire avec comme toile de fond la remise en question des principes la protection de la biodiversité, y compris réglementaires, qu’en restera-il vraiment ?
Rappelons ici l’un des engagements de la France, pays hôte du Congrès Mondial de la Nature, Extraits du Manifeste de Marseille, UICN, septembre 2021 :
“Parvenir à 30 % d’aires protégées au niveau national d’ici 2022, et protéger fortement 5% de ses aires maritimes méditerranéennes d’ici 2027, soit une augmentation de 25 fois par rapport à aujourd’hui ».
Mais également de la Région Sud à « restaurer des écosystèmes afin de contribuer de manière substantielle et significative au rétablissement post-pandémique et à la réponse aux urgences en matière de biodiversité et de climat ».
Après les discours, la réalité des enjeux montre une situation bien plus éloignée de ces belles paroles. La recherche de compromis, même en période électorale, ne doit pas faire oublier les réalités du terrain et la nécessité de la préservation de nos écosystèmes, pour le bien de tous, et particulièrement dans ces temps de bouleversements climatiques. La prise en compte de l’environnement est inscrite dans notre Constitution et dans la Loi, ainsi que dans les engagements internationaux signés par la France.
Incendies de l’été 2021 : que reste-t-il de la Réserve Naturelle Nationale de la Plaine des Maures dans le Var ? Par Romaine Garrouste
À lire aussi sur la biodiversité et les incenides
La tribune de Romain Garrouste dsur le site du monde Incendie dans le Var : « Ces “mégafeux” modifient l’écosystème, et peut-être pour toujours » (article payant réservé aux abonnés)
Le site Internet de la réserve
Opération sauvetage de tortues dans une réserve naturelle du Var ravagée par le feu
Reforestation spontanée : quand la forêt profite de l’abandon des terres agricoles
La thèse en « 180 secondes » de Bastien Romero sur l’inflammabilité des pins dits « pyrophiles »
Des réserves de vie sauvage privées pour protéger la nature en France
Le « rewilding », futur de la protection de la biodiversité ?
2 commentaires
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Bousquet
Bonjour, Il semblerait que les sècheresses à répétition soient plus préjudiciables que les incendies. Ces derniers, étant combattus par des moyens mis en oeuvre par les municipalités, départements et autres – bien que très spéctaculaires – n’atteignent pas le manque de pluviométrie dans tous ces départements du Sud. La régénérescence (affichée sur vos photos) montrent bien cette capacité qu’a la nature de se remettre de ces actes -souvent- criminels. Seule la faune pâtit de son incapacité à renouveler sa place dans ces éco-systèmes.. Même par introductions importées de diverses régions ou autres sources. ( Les espèces ne s’implantant pas comme on le ferait pour des végétaux. Les nidifications détruites ne se remplaçant pas d’une manière artificielle ou programmée.
Kretz
Pourquoi pas l’ONF ou, je sais pas pas si cela existe dans le Var, mais en Lorraine nous avons le conservatoires des sites de Lorraine, un organisme similaire Varrois