Par Monica G. Turner, University of Wisconsin-Madison
Aux États-Unis, de juin à novembre 1988, des brasiers massifs ont ravagé le parc national de Yellowstone, dans le Wyoming, touchant à peu près 500 000 hectares du parc et ses alentours. Faisant l’objet d’une forte couverture médiatique, la taille et l’intensité des feux avaient surpris les scientifiques, les gestionnaires du parc et le public. Plusieurs médias avaient proclamé la destruction totale du parc, ce qui était totalement faux.
J’étais là durant les feux et suis revenue juste après pour constater les dégâts.
Des forêts brûlées s’étendaient à des kilomètres, les troncs d’arbres noircis donnaient l’impression d’un paysage de désolation. En observant le parc d’un hélicoptère, nous étions cependant surpris de voir une mosaïque de parcelles brûlées mais aussi intactes.
J’ai étudié la régénération des forêts de Yellowstone depuis 1989, observant des paysages d’arbres carbonisés se transformer en jeunes forêts abondantes. Les feux jouent un rôle écologique important dans plusieurs écosystèmes et le parc de Yellowstone n’est pas une exception. La faune et la flore locales du site sont bien adaptées à ces cycles historiques de destruction et de régénération. Aujourd’hui, le paysage brûlé est dominé par de jeunes pins tordus.
De tels feux se sont majoritairement produits dans des parcs nationaux ou des zones sauvages, où la gestion post-incendie était minimale. Cela nous a beaucoup appris sur les réactions naturelles des écosystèmes à de tels événements.
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Les forêts de Yellowstone étant remarquablement résistantes, les incendies de 1988 n’ont pas constitué une catastrophe écologique. Aujourd’hui cependant, le changement climatique et la fréquence des feux pourraient pousser les forêts au-delà de leurs limites.
Chaleur, sécheresse et vents puissants
Des conditions météorologiques extrêmes ont été à l’origine des incendies de 1988 et sont responsables de beaucoup de feux aujourd’hui. L’été de 1988, exceptionnellement sec par rapport aux étés habituels à Yellowstone, est pointé du doigt comme cause principale.
En effet, cette année-là, les quantités de matières combustibles présentes (bûches, aiguilles de pin, arbres flammables) étaient habituelles. Les feux n’ont pu être causés que par de hautes températures, une sécheresse et des vents forts.
Des rafales de plus de 100 km/h m’avaient empêché de survoler les feux début juillet, bien avant le pic de l’incendie. Les routes, les rivières et même les canyons n’ont pas pu stopper les flammes qui ont continué à s’étendre lorsqu’il y avait du vent. Des bourrasques puissantes ont porté des branches enflammées, propageant l’incendie. Les feux ont aussi continué de brûler la nuit.
Comment les forêts récupèrent
Durant les 10 000 dernières années, des incendies se sont produits à Yellowstone, à des intervalles de 100 à 300 ans. Les « feux de cimes » brûlent la canopée, tuant les arbres tout en provoquant une poussée de végétation neuve. De tels feux sont habituels à Yellowstone, dans d’autres forêts à haute altitude et dans le Nord.
L’écorce fine des pins tordus est rapidement brûlée, mais les pommes de pin sont adaptées aux feux. Lorsqu’elles chauffent, elles sécrètent de grandes quantités de graines, permettant à la forêt de se régénérer à la suite des incendies. De plus, les feux créent des sols riches en minéraux et sont suivis d’une météo ensoleillée, conditions idéales pour la croissance.
À Yellowstone, des herbes et fleurs sauvages ont pu pousser à partir de racines survivantes, car les terres n’avaient pas brûlé en profondeur et avaient conservé des nutriments essentiels à leur croissance. Les plantes natives ont également poussé à nouveau.
Des peupliers trembles ont aussi pu s’établir à partir des graines semées à travers les forêts de pins brûlés, à plusieurs kilomètres des trembles matures les plus proches. Ces arbres se portent bien à de plus hautes altitudes qu’avant les feux.
Les écosystèmes forestiers de Yellowstone se sont régénérés rapidement, sans intervention humaine. Je pense que les visiteurs ne voient plus la trace des incendies de 1988 et admirent le paysage, la faune et la flore. Des mécanismes de régénération similaires ont été observés aux parcs nationaux des Rocheuses (Colorado), Glacier (Montana) et Grand Teton (Wyoming), qui ont également évolué avec des feux pendant des millénaires. Historiquement, des incendies de grande intensité tuent des arbres, mais ne détruisent pas la forêt.
Changement climatique et incendies
Les feux de 1988 ont inauguré une nouvelle ère de feux de forêt majeurs ; ils brûlent de plus en plus de forêts chaque année. Du fait du réchauffement climatique, la météo chaude et sèche, responsable de feux importants, n’est plus si rare. La neige fond de plus en plus tôt, les combustibles s’assèchent de plus en plus vite, la température bat des records et la saison des feux se prolonge. Récemment, des feux ont eu lieu dans plusieurs parcs nationaux, dont Bandelier, les Rocheuses, Glacier et Yosemite.
Un climat plus chaud et plus sec aggrave la sécheresse dans des endroits déjà chauds et secs. Dans l’ouest des États-Unis, le changement climatique a asséché des combustibles et quasiment doublé la surface incendiée entre 1984 à 2015.
Bien que la foudre soit responsable de la plupart des feux dans les Rocheuses, les feux de source humaine allongent les saisons de feux dans les zones peuplées. Même dans les forêts humides des Appalaches du Sud, la sécheresse a permis à un incendie d’origine humaine de s’étendre du parc national des Great Smoky Mountains à Gatlinburg dans le Tennessee, couvrant une surface de 72 km2.
Ce que l’avenir nous réserve
Dans un monde qui se réchauffe, même les forêts bien adaptées à de larges incendies ne sont plus à l’abri. À la fin du XXIe siècle, un climat chaud et sec comme l’été de 1988 pourrait devenir la règle à Yellowstone.
La fréquence des mégafeux va avoir tendance à augmenter. De tels feux ont déjà commencé à rebrûler des forêts bien avant qu’elles n’aient eu le temps de se régénérer. À Yellowstone et Grand Teton, des incendies en 2016 ont brûlé des forêts jeunes qui avaient déjà brûlé en 1988 et 2000. Nos études sur ces feux récents ont montré que les feux étaient plus intenses et les arbustes nés après l’incendie, moins nombreux. De plus, la survie de ces jeunes arbres dans un climat plus chaud n’est pas garantie.
Les parcs nationaux représentent les derniers paysages intacts des États-Unis, et nos meilleurs laboratoires pour comprendre les bouleversements que subit l’environnement. La recherche sur les feux de 1988 est devenue une référence pour évaluer les effets des incendies aujourd’hui. Yellowstone maintiendra sa beauté, ses espèces natives et sa capacité à nous inspirer. Cependant, seul le temps nous dira si ses forêts garderont leur résilience face aux incendies dans les futures décennies.
Cet article a été traduit par Malik Habchi.
Monica G. Turner, Professor of Ecology, University of Wisconsin-Madison
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Un commentaire
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Claude Courty
La « hantise forestière », est probablement parmi les pires marottes écolos, ne tenant pas compte de la capacité des espèces végétales à se régénérer, notamment suite à des incendies aussi vieux que le monde… et que l’eau, faite aussi pour les éteindre.