Quand les sciences participatives partent explorer le rapport de chacun à l’évolution de l’environnement, cela donne Histoires de Nature, un projet inédit dans lequel les participants sont invités à témoigner des évolutions de notre rapport à la nature à partir de documents et de récits. Ce qui permettra aux scientifiques de comprendre comment les rapports entre humains et nature évoluent tout en servant de base pour concevoir des expositions sur ces thèmes. De plus, le projet possède une vocation européenne puisqu’il est porté conjointement par le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris et le Museum für Naturkunde de Berlin.
Le fonctionnement est simple : Histoires de Nature propose à chacun de déposer sur une plateforme en ligne www.changing-natures.org un document accompagné d’un récit. L’objectif est de collecter des témoignages du déclin de la biodiversité.
Histoires de nature, collecter des d’objets et de récits hétéroclites témoignant de l’anthropocène
« La force de ce projet est qu’il a vocation à documenter la transformation de la biodiversité à travers une base de données participative et numérique. Il contribuera à mieux appréhender et comprendre l’ampleur des changements environnementaux à l’œuvre en les abordant dans une dimension européenne », explique Bruno David, président du Muséum national d’Histoire naturelle. Bruno David présente d’ailleurs dans la vidéo ci-dessous l’objet qui témoigne le plus des évolutions dans la perception de la nature selon lui : un livre pour enfants Riquiqui les belles images. Il s’étonne de constater que dans cet ouvrage pour la jeunesse les différentes espèces d’oiseaux et d’arbres sont nommées et représentées précisément tandis que, le protagoniste principal de cette histoire pour enfants, Riquiqui est confronté au sujet de la chasse à la glu.
Histoires de Nature s’avère donc une programme scientifique atypique en construction. La démarche participative se situe à la croisée des sciences de l’environnement, des sciences sociales et de l’Histoire. Elle doit aider à appréhender la manière dont le regard sur le vivant a évolué. À date, plus de 150 témoignages ont été recueillis : ils sont consultables en ligne. Quant aux objets collectés associés à chacun à une prise de parole, ils vont de la recette de cuisine avec des ingrédients moins courants de nos jours à la photo de glacier qui s’est réduit sous l’effet du réchauffement, en passant par la chaussure de ski devenue inutile à Berlin en raison d’un manque de neige, ou encore un article de 1972 faisant l’éloge du DDT, un pesticide dorénavant prohibé…
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Amener un peu de la sensibilité de chacun à la compréhension du monde par la science
« Chacun d’entre nous a une expérience des changements environnementaux. Une photo, une chanson, un livre ou un ancien article de presse remémore des souvenirs enfouis. Nous demandons à chacun, à partir d’un document de son choix, de livrer son point de vue, son récit et ses émotions sur ces changements. Chacun à quelque chose à dire », résume Frédérique Chlous, professeure d’anthropologie au Museum qui travaille sur les relations humains-environnement et est une des 2 pilotes du projet Histoires de Nature. Elle considère celui-ci comme « une démarche de science participative avec une approche qui relève plutôt d’un questionnement anthropologique. »
« Les citoyens et les participants ont quelque chose à dire sur l’évolution de la nature qui est plus du registre du familier et de l’intime », affirme Frédérique Chlous. « À côté des connaissances scientifiques sur l’érosion de la biodiversité déjà bien documentée, par exemple par l’IPBES [NDLR le « Giec de la biodiversité], il fallait laisser une place à l’intime et au familier pour constater et documenter autrement ces changements. »
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En effet, les spécialistes de l’environnement savent qu’il est difficile de mesurer à l’échelle d’une vie humaine l’érosion du vivant. Ils parlent « d’amnésie environnementale ». Individuelle ou générationnelle, cette amnésie signifie qu’il est difficile de se rendre compte des évolutions du vivant. C’est pourquoi la démarche scientifique et participative proposée par Histoires de Nature s’appuie sur des documents. Frédérique Chlous : « ces éléments scientifiques, à la fois récits puis documents, peuvent nous permettre de mieux comprendre, sur une large échelle, ces relations à l’environnement. Comment on en parle, qu’est-ce qu’on en dit, quelles sont les émotions associées… on espère en tirer des éléments précieux ».
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Histoires de Nature, une approche scientifique unique à la croisée de nombreuses disciplines
Le projet Histoires de Nature permet à tous de devenir le témoin d’un monde qui change. La variété des objets collectés et des témoignages rend le projet riche et ambitieux, mais aussi complexe à concevoir au niveau de la méthodologie. Les chercheurs espèrent obtenir des données, des récits et peut être ainsi des métarécits sur les transformations du monde. Il faudra encore attendre au moins 2 à 3 années avant d’obtenir les premiers résultats d’Histoires de Nature.
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Mieux comprendre les évolutions du vivant et leur perception peut également aider à trouver des solutions pour préserver la biodiversité, sensibiliser le public et le pousser à l’action. « Chaque pièce de la collection nous raconte une histoire. Ici, nous voulons apprendre de vos objets et de vos histoires, car c’est ensemble que nous pourrons relever les défis du changement climatique et de la perte de biodiversité », estime Johannes Vogel, Ph.D., Museum für Naturkunde à Berlin.
Julien Leprovost
Pour aller plus loin sur Histoires de Nature et témoigner
Le site d’Histoires de nature pour y laisser vos objets, récits et témoignages et consulter ceux des autres partipants
La page consacrée à Histoires de Nature sur le site du Muséum National d’Histoire Naturelle
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